Alors que se multiplient les appels à fluidifier les relations entre ville et hôpital , cette affaire met en lumière l’une des situations de conflit potentiel rencontrées : l’organisation d’une prise en charge à domicile par l’hôpital sans prise en compte d’un IDEL déjà identifié auprès du patient d’un. C’est ainsi qu’une IDEL chargée par un CHU d’accompagner à domicile un patient âgé en soins palliatifs après sa sortie d’hospitalisation a été condamnée à une interdiction d’exercer de 6 mois avec sursis par la chambre disciplinaire de première instance de Basse-Normandie. Une décision sur laquelle la chambre nationale a dû statuer en appel le 12 décembre dernier.
Compérage et vol de patientèle
En juin 2019, une IDEL porte plainte contre une autre infirmière libérale, directrice d’une structure en ville qui gérait, à la date des faits, 12 infirmiers. Selon sa version, l’infirmière attitrée du patient n’aurait pas été informée de sa sortie d’hôpital, ni par la famille ni par sa consœur, alors même qu’elle était disponible pour prodiguer les soins. « Elle allègue avoir reçu les récriminations de la famille du patient se plaignant d’un passage quotidien et non satisfaisant alors que l’ordonnance prévoyait deux passages par jour », ajoute la chambre dans son rendu de décision. Plusieurs infirmiers salariés de l’association sont intervenus au domicile du patient, est-il précisé. À noter que, par la suite, la famille, qui n’est d’ailleurs pas partie plaignante, a préféré mettre fin à la prise en charge par la structure, pour la confier de nouveau à leur infirmière.
L’IDEL incriminée, elle, se défend en indiquant avoir été informée par le CHU que celui-ci n’avait pas d’autre solution de prise en charge, si ce n’est de s’adresser à elle, « par suite de l’impossibilité d’intervention de l’infirmier traitant » comme du service d’hospitalisation à domicile (HAD). L’une des filles du patient lui aurait par ailleurs confirmé la prise en charge. Quant à l’ordonnance qui n’aurait pas été respectée, elle répond que le médecin hospitalier en charge du patient aurait « fait établir une nouvelle ordonnance » remplaçant la précédente, qui prévoyait alors deux passages quotidiens au domicile.
Ce que dit la loi
Que reproche-t-on à la mise en cause ? De s’être rendue coupable de « captation de patientèle », contrevenant ainsi au devoir de bonne confraternité, et d’avoir établi une concurrence déloyale par compérage avec le CHU – qui plus est alors qu’elle s’appuie sur une association et ne relève donc pas d’un petit cabinet infirmier indépendant ; et de ne pas avoir respecté l’ordonnance fournie par le CHU.
- Selon l’article R. 4312-25 du code de santé publique: « Les infirmiers doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité», rappelle ainsi la chambre disciplinaire. Une règle qui implique donc que, en toutes circonstances, « un infirmier prenant en charge un nouveau patient, s’enquiert si celui-ci était antérieurement suivi ou non par un confrère ou consœur » et, dans le cas où il en a connaissance, l’informe de la prise en charge.
- L’article R4312-29 interdit quant à lui à tout infirmier « d’accepter une commission pour quelque acte professionnel que ce soit » et toute forme de compérage, soit « l’intelligence entre deux ou plusieurs personnes en vue d’avantages obtenus au détriment du patient ou d’un tiers. »
Selon la chambre, l’infirmière mise en cause n’a en réalité que concouru au devoir de continuité des soins .
Une erreur en toute « bonne foi »
En appel, la chambre disciplinaire nationale a choisi de réformer la décision prise en première instance. Elle argue qu’il appartient « à tout hôpital public ainsi que le recommande la Haute Autorité de santé (HAS) dans sa « Check-list de sortie d'hospitalisation supérieure à 24h », en vigueur de gérer sous son entière responsabilité les sorties d’hospitalisation de patients retournant à domicile. » L’infirmière mise en cause n’a donc en réalité que concouru « au devoir de continuité des soins ». Sollicitée par le CHU, elle a en effet pu « de bonne foi présumer que sa consœur avait été jointe par le CHU et décliné, pour raisons d’indisponibilité immédiate », ce qui l’a affranchie de la prévenir. Il peut donc difficilement lui être reproché d’avoir détourné la patientèle de la plaignante et d’avoir méconnu les dispositions relatives au libre choix des patient, estime la chambre. Qui a donc choisi de lever la sanction qui pesait sur elle.
Quid du libre choix du patient ?
Pour autant, elle se dit « sensible à la légitime interrogation » de la plaignante « sur les conditions dans lesquelles tout service hospitalier relevant du service public gère les sorties des patients ». Car se pose ici la question, notamment, du libre choix du patient, qui suppose de la part des établissements qu’ils recherchent avant toute sortie d’hospitalisation les professionnels de santé avec lesquels il peut être en lien. Une interrogation d’autant plus compréhensible que les relations entre IDEL et services de HAD ne sont pas toujours au beau fixe. « S’il ne parait pas anormal que les établissements hospitaliers se tournent pour les sorties d’hospitalisation vers des interlocuteurs centralisant des offres de soin infirmiers », tels que HAD ou Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), la chambre renvoie toutefois le conseil interdépartemental de l’Ordre infirmier de Basse-Normandie à ses responsabilités « pour que soit mieux pris en compte les cabinets d’infirmiers libéraux non regroupés ».
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