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QUESTION DE DROIT

Liberté d’expression face au devoir de confraternité, la justice a tranché

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Publié le 25/05/2023

Dans quelle mesure les infirmiers peuvent-ils faire valoir leur liberté d’expression dans le cadre de leur exercice ? C’est la question sur laquelle la chambre disciplinaire nationale a dû se pencher dans une affaire opposant une infirmière libérale à un médecin.

Droit et pratique infirmière

Crédit photo : Pexels-Pavel Danilyuk

Quand la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre infirmier se réunit, ce lundi 16 janvier, c’est pour traiter d’une question un peu particulière : celle de la liberté d’expression et la manière dont les infirmiers peuvent l'exercer. L’infirmière qui se présente en appel est en effet mise en cause par un médecin-conseil chef du service du contrôle médical Grand-Est, qui a porté plainte contre elle car elle serait contrevenue au devoir de bonne confraternité interprofessionnelle.

Une affaire de courriers

L’affaire remonte à 2018. L’infirmière libérale fait à l’époque l’objet d’un contrôle de ses activités par la Sécurité sociale, qui se solde par la notification, le 8 mars 2019, d’un indu de 35 171,38 euros. Un indu que l’infirmière ne sera finalement pas contrainte de payer puisque le 30 mars 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg prend la décision, néanmoins non définitive, de l’annuler. Mais entretemps, l’infirmière s’est fendue d’un certain nombre de lettres, écrites en son nom personnel et envoyées à plusieurs « personnalités politiques, (ministre de la santé, parlementaires, élus municipaux », afin d’exprimer « ses reproches sur la conduite des contrôles du service du contrôle médical », relate la chambre. Les propos y sont « vifs, voire inappropriés et inadéquats ». Le médecin-conseil visé dans ces courriers, qui en a eu connaissance par la voie hiérarchique et par « les copies des réponses des destinataires », dépose une plainte contre elle le 21 mars 2019 auprès du conseil interdépartemental de l’Ordre infirmier du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. En février 2021, la professionnelle est condamnée en première instance et reçoit un avertissement ; elle fait appel le mois suivant et réclame l’annulation de cette décision.

Ce que dit la loi

Que lui reproche-t-on ? Essentiellement, d’avoir contrevenu à un devoir de bonne confraternité, qui suppose de ne pas déconsidérer la profession infirmière, certes, mais aussi les autres professions de santé.

  • Selon l’article R.4312-9 du Code de santé publique, tout infirmier doit en effet s’abstenir de « tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ». Dans « toute communication publique, il fait preuve de prudence dans ses propos et ne mentionne son appartenance à la profession qu’avec circonspection. »
  • S’y ajoute l’article R.4312-28, qui rappelle que l’infirmier doit « entretenir de bons rapports avec les membres des autres professions de santé », cela dans l’intérêt du patient. « Il lui est interdit de calomnier un autre professionnel de santé, de médire de lui ou de se faire l’écho de propos susceptibles de lui nuire dans l’exercice de sa profession. »

En résulte que les lettres envoyées par l’infirmière sont tombées, pour la chambre de la première instance, sous le coup d’un manquement à la bonne confraternité interprofessionnelle.

Une décision finalement réformée

Pour autant, en appel, la chambre disciplinaire nationale en a jugé autrement. Dans sa décision rendue le 17 mars 2023, elle note en premier lieu que les lettres litigieuses, puisqu’adressées directement à des autorités de nature politique, ne possèdent pas « le caractère d’une communication publique » tel qu’il est défini dans le Code de la santé. Elles ont été rédigées « pour les sensibiliser » au point de vue de la professionnelle et se plaindre des contrôles auxquels elle a été soumise. Car si ceux-ci sont institués par la loi, les citoyens, en ce qu’ils vivent dans une démocratie, sont tout à fait autorisés à les critiquer.

Quant à la mise en cause explicite du médecin-conseil, « pour maladroite et inélégante » qu’elle soit, elle ne contient pas « de propos susceptibles de lui nuire dans l’exercice de sa profession », estime la chambre. Et ce d’autant plus que toute mise en cause du médecin ciblé a été écartée par le procureur de la République.  Dans ces conditions, l’IDEL, « qui n’a fait qu’exercer –même avec maladresse- la liberté d’expression qui appartient à toute personne y compris professionnel de santé, et à qui il appartenait en tout état de cause de mieux diriger sa critique juridique en saisissant utilement les voies de droit, n’a pas commis de manquement caractérisé aux règles déontologiques », tranche-t-elle. Et de réformer la décision de la première instance en rejetant la plainte du médecin-conseil et en levant toute sanction contre l’infirmière.

À noter toutefois que l'Ordre applique une limitation à ce droit d'expression lorsqu'un patient est susceptible d'être victime de mauvais traitements, encadrée par l'Article R4312-18 du Code de santé publique. Soumis à un devoir de protection et d'alerte, l'infirmier doit demeurer prudent dans la formulation de ses propos, « car la liberté d’expression n’est pas absolue et ne peut justifier des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs », rappelle-t-il.


Source : infirmiers.com