On reste mal payés par rapport aux responsabilités
Julien, 30 ans
Infirmier diplômé en juillet 2016
Infirmier anesthésiste en CHU depuis octobre 2023, titulaire, échelon 2
- En août 2016, Julien occupe son premier poste à l'hôpital public comme infirmier en soins généraux en réanimation. Sa fiche de paie affiche : 1625,66 euros nets et 2025,66 bruts (en comptant les indemnités de son stage de 3e année en tant qu'infirmier : 400 euros)
- En janvier 2017, il change de service et arrive en soins intensifs de cardiologie. Il est alors payé 1992,19 euros bruts, soit 1601,70 nets.
- Il est titularisé en mars 2020. Il passe à l'échelon 2 et son salaire de base augmente avec un brut à 2108,52 euros (en comptant deux week-end travaillés par mois pour lesquels il touche : 93,68 euros) et 1736,41 euros nets, après prélèvement à la source.
- Le Ségur de la santé correspond à une revalorisation à partir de juillet 2020 de 155,44 euros d’augmentation. En août 2020, son traitement indiciaire de base est de 2273 euros bruts et 1805,83 nets après impôts.
- Après deux ans de formation (Master) pour devenir IADE, financé par son établissement, pendant lesquels il conserve son salaire, ses primes et continue d'avancer dans les échelons, il réintègre son CHU en tant qu'IADE en octobre 2023. Entre temps, il a pris un échelon donc il arrive comme IADE échelon 2. Il touche alors 2 865,73 euros bruts, soit un net avant impôts à 2 413,71 et un net après impôts à 2 281,25 euros. Au mois de décembre, il touche une prime inflation de 301,63 euros nets.
«Globalement, on reste mal payés en tant qu'infirmiers, par rapport aux responsabilités du métier. C'est encore plus vrai en tant qu'infirmier anesthésiste, alors qu'on travaille en collaboration étroite avec les médecins anesthésistes et les chirurgiens et que les responsabilités sont encore plus importantes. On remarque que malgré le Master, l’évolution de salaire n’est pas notable. Avant j’avais le sentiment que mon salaire me permettait de vivre confortablement, sachant que j’habite en province, mais l’inflation m'a appauvri - alors même que je n'ai pas de frais d’essence, contrairement à des collègues qui ont besoin de prendre leur voiture chaque jour. Personnellement, j’ai quand même vu la différence avec le Ségur, qui a coïncidé avec ma titularisation : mon salaire a augmenté de 400€ en l’espace d’un mois. C’est ce qui m’a permis de faire un crédit et d’accéder à la propriété. Dans le privé, on démarre avec des salaires plus élevés mais l’évolution est plus lente que dans le public. Par ailleurs, j’ai eu la chance d’être dans un établissement qui m’a soutenu et financé ma formation d'IADE. Actuellement, on traverse une grosse crise d’attractivité et le salaire reste un élément important. On a des contraintes : moi par exemple, je travaille de nuit, j’ai des gardes... Nos conditions sont difficiles. Si le salaire ne suit pas, l’attractivité non plus».
Aujourd'hui, j'ai le même diplôme, j'ai gagné en expérience mais j'ai perdu en salaire...
Célia
28 ans
Infirmière scolaire au sein d'une académie, agent contractuel à temps plein
Diplômée en 2018
- En février 2019, Célia commence sa carrière en pédopsychiatrie, en tant que contractuelle, avant stagiérisation : on est avant le Ségur (sans nuit et sans week-end). Sa fiche de paie affiche : 1635€ bruts, soit 1403€ nets.
- En juin 2021, le Ségur est passé par là. Célia est à présent titulaire, à l'échelon 2, 2400€ brut donc 1900€ nets (toujours sans nuit et sans week-end)
- En janvier 2022, elle est à l'échelon 2, elle travaille à présent la nuit et le week-end et touche 2634€ bruts, soit 2078€ nets.
- En novembre 2022, juste avant de quitter l'hôpital, elle est à l'échelon 3, sans nuit ni week-end, à 2 575€ bruts donc 2023,71€ nets.
- Depuis septembre 2023 : elle est infirmière scolaire sur 10 établissements (4 primaires, 4 maternelles et 2 collèges). Elle a donc perdu la prime Ségur et son salaire est tombé à 2175 euros bruts, soit 1737 euros nets.
«Devenir infirmière scolaire était un choix de carrière : je voulais quitter l'hôpital public et les rythmes décalés, parce que j'ai eu un enfant. Je me plait beaucoup dans ce nouveau secteur, mais le manque de moyens reste criant et j'ai l'impression d'avoir sacrifié mon salaire. Il faut dire que les infirmières scolaires ont été exclues de la prime Ségur, ce qui implique que je l'ai d'abord touchée comme infirmière à l'hôpital et que je l'ai ensuite perdue en devenant infirmière scolaire. Le fait d'être contractuelle contribue aussi à baisser mon salaire. Aujourd'hui, j'ai le même diplôme, j'ai gagné en expérience mais j'ai perdu en salaire...
Enfin, les infirmières scolaires représentent quand même un accès au soin pour les enfants et les jeunes, notamment à travers un gros travail de prévention et alors même que l'accès au soin en ville devient de plus en plus compliqué. Je trouve que l'on n'est pas assez valorisé par rapport à la mission essentielle qu'on doit mener. Quand en plus on regarde les conditions de travail : je dois pour ma part jongler entre 10 établissements ... Ne même pas passer la barre des 1800 euros, c'est indécent».
Les infirmiers sont de vrais couteaux suisses et on devrait les chérir !
Anne
46 ans
Infirmière libérale dans le Var, PACA.
Diplômée en 2005.
- Janvier 2006 : premier salaire en clinique chirurgicale : 1274,01 euros nets – 1665,72 bruts.
- 3 mois plus tard : elle intègre une clinique psychiatrique et gagne dorénavant : 1472,42 euros nets – 1899,50 bruts avec 2 dimanche travaillés.
- octobre 2007 : elle s'installe en libéral. Pour ce premier exercice, son chiffre d'affaire s'élève à 5000 euros sur 3 mois (elle vient de commencer et de créer son cabinet) 2500 € BNC ( bénéfice non commercial)
- Entre 2007 à 2018, elle travaille une semaine sur deux en binôme avec une autre infirmière, à raison de 100h par semaine (15 jours chacune par mois) . Son chiffre d'affaire varie entre 70 000 et 80 000 euros par an avec des bénéfices qui vont de 33 000 jusqu'à 42 000 euros. ( 5h30-13h30 et 15h30-21h00) avec 2 dimanche travaillés
- Il y a cinq ans, comme le rythme est trop intense, elle se sépare de sa collègue et change sa manière de travailler. Son chiffre d'affaire varie alors entre 50 000 et 52 000 euros, avec un bénéfice qui varie entre 19 000 et 27 000 euros. (7h30-13h00 et 16h00-19h00) environ 18 jour par mois, avec 2 dimanche travaillés.
«Il y a 10 ans en arrière, je ne regardais pas la dépense. Je n'avais pas d'enfant, j'étais fatiguée, mais je gagnais bien ma vie. Cette manière de travailler, au bout d'un moment, ne m'a plus convenu (l’âge avançant, les tendinites aussi). Aujourd'hui, j'ai un plus de temps pour mes patients mais je me sens toujours écrasée par les charges qui augmentent et mes frais professionnels carburant, matériel etc. On a énormément d'administratif à gérer. On fait aussi énormément de débordement de tâches (On court sans cesse après les médecins pour que les ordonnances soient conformes, par exemple). Pour ma part, j'ai aussi beaucoup de coordination à faire pour mes patients qui sont isolés. Je passe beaucoup de temps à appeler les acteurs de la coordination. C'est du bénévolat mais je suis obligée de le faire sinon je suis pénalisée car il n’y aura pas de médicaments si une auxiliaire de vie n’est pas en place, ou alors je travaille dans un domicile insalubre ( chez certains patients asticots, punaises, puces) . Ajoutons à cela : les urgences du secteur qui sont fermées la nuit, des médecins qui ne se déplacent plus, pas de SOS médecin pour les week-end, des patients isolés désorientés qui sortent des urgences en pleine nuit alors que personne n'est là pour les accueillir...
Je suis aujourd'hui en reconversion pour quitter le métier d'infirmière, que j'adore pourtant. J'ai fait un bilan de compétences. Je ne reconnais plus le métier que j'ai commencé à faire il y a 17 ans : c'est épuisant de tenir tout ça à bout de bras. Comme mon équilibre financier est aussi en jeu, c'est beaucoup de pression psychologique au quotidien. Notre responsabilité est énorme, jusqu'à notre responsabilité pénale qui est toujours mise en jeu. On se sent sur un fil. Je suis actuellement en formation pour devenir mandataire judiciaire à la protection des majeurs MJPM (un professionnel assermenté dont la mission est d’assurer le suivi de personnes majeures sous mesures de protection judiciaire).
Aujourd'hui je suis un peu écœurée. Nos honoraires n'ont pas été augmentés depuis plus de 12 ans. Donc en moyenne, on a perdu autour de 30% de pouvoir d'achat. C'est énorme. On nous parle des IPA, des déserts médicaux, mais on ne prend pas soin des acteurs de terrain déjà existants et pourtant compétents. Les infirmiers sont de vrais couteaux suisses et on devrait les chérir. On ne prend pas la mesure de leur rôle sur le territoire. Il faut que les pouvoir publics se réveillent».
On avance mais il y a encore du travail pour rendre nos métiers attractifs.
Malik
32 ans
infirmier de nuit dans une Unité de Soins Intensifs Cardiologiques (usic).
Diplômé en 2014
- En décembre 2014, Malik occupe un poste d'infirmier comme contractuel au centre hospitalier, aux urgences de jour. Son traitement indiciaire est alors de 1 944 euros bruts et 1 590 euros nets (primes comprises).
- En mars 2015, il passe dans le privé et ses salaires sont variables car il exerce en intérim en 12h : ils passent de 900 euros nets à 3 000 euros nets. Une journée lui était alors payée : 179 euros bruts soit 137 euros nets.
- En janvier 2016, il intègre un poste à temps partiel (60%) de nuit à l'hôpital public du Havre et il cumule ce salaire avec des vacations dans le privé : le brut est alors de 1 615 euros pour un échelon 1, encore contractuel, soit 972 euros nets (primes incluses pour les nuits). Il complète son salaire en poursuivant ses contrats en intérim dans le privé. Il effectue alors à peu près deux jours de vacations soit environ 200 euros nets de plus par mois, pour arriver quasiment à 1 200 euros nets par mois.
- En décembre 2016, il passe à temps plein, de nuit, à l'hôpital public (un poste de nuit se libère) : il gagne toujours 1 525 euros bruts de traitement indiciaire (toujours échelon 1, il est alors contractuel mais à temps plein). Il cumule plusieurs primes : primes de nuit, prime de dimanche et jours fériés ainsi que la prime de début de carrière : il arrive ainsi à 1 954 euros bruts, soit en net : 1 574 euros.
- En janvier 2017 : il change de service et intègre l'Unité de Soins Intensifs Cardiologiques. En janvier 2018, en tant que stagiaire de la Fonction Publique Hospitalière, son salaire brut est de 1 836 euros, et de 2 340 euros primes comprises, soit un net de 1 905 euros.
- En décembre 2019, il est titularisé, et il est à l'échelon 3 : son traitement indiciaire brut est alors de 1 949 euros, et de 2 465 euros primes comprises, soit un net de : 1 865 euros.
- En décembre 2020, il obtient la prime Ségur. Son traitement indiciaire est de 1 977 euros bruts, auxquels il faut ajouter 229 euros de prime Ségur ainsi que d'autres primes. Il touche alors 2 756 euros bruts soit en net : 2 118 euros.
- En janvier 2022 : il faut ajouter à son salaire une prime pour les infirmiers de soins intensifs de 118 euros nets mensuels. (pour reconnaître leur spécialisation et la technicité de leur travail).
- L'année 2023 marque le doublement de l'indemnité de nuit passée de 1,07 à 2,14 bruts par heure de nuit entre 21h et 6h.
- Au 1er janvier 2024 : la prime de nuit disparait au profit d'une revalorisation : 25% de plus du traitement indiciaire sur les heures de nuit. Il est à l'échelon 4 et touche 3,84 euros par heure de nuit, en plus du salaire de base, soit 38 euros bruts par nuit au lieu de 19 euros.
«Le salaire de nuit n'est fait que de primes (qui ne sont pas comptées pour la retraite). On a quand même une grosse avancée depuis le Covid avec le Ségur. On reste en retard par rapport aux salaires européens, mais ça a quand même été une avancée. Les conditions de travail reste le problème initial. On nous retient à coup de primes ou de revalorisations mais le problème de fond n'est pas traité : la pression, le turn-over. On n'arrive plus à fidéliser les soignants. On avance mais il y a encore du travail pour rendre nos métiers attractifs. On n'arrive plus à fidéliser les jeunes diplômés. Dans le public, on se rapproche de plus en plus du management du privé, au détriment de la qualité de vie au travail. On rentre dans une dynamique de rentabilité, de limiter les pertes financières alors qu'on sait que la santé n'est pas rentable. Nous on est par exemple passés en 12h, une manière de baisser la masse salariale, ce qui n'améliore pas les conditions de travail, au contraire. Je n'ai pas fait ce métier pour le salaire, mais par conviction. J'aime l'adrénaline, ce n'est pas routinier. Moi c'est vraiment les conditions de travail qui m'inquiètent. Par exemple on nous augmente mais on nous ajoute des tâches annexes (ex : scannage de dossiers, autrefois réalisés par les secrétaires médicales, ou des commande de matériel...)»
Après 36 ans d'activité à temps plein, je trouve que mon salaire n'est pas à la hauteur
Laurence
57 ans
Infirmière en psychiatrie sur un dispositif ambulatoire de crise enfants et adolescents dans L'Essonne. (DDCEA)
Diplômée en 1991
- En 2001, elle est infirmière en milieu carcéral, échelon 5, catégorie B et touche 13 486 francs en brut et 11 203 francs en net, soit 2 974,26 euros bruts et 2 470,76 Euros.
- En décembre 2020, elle exerce comme infirmière en CMP (Centre Médico Psychologique) à l'échelon 9, catégorie A et touche 2 783 euros en bruts, soit 2 502 euros nets.
- Infirmière en psychiatrie à l'hôpital Barthélemy (Essonnes) - elle est au 9e échelon : sa fiche de paie affiche un brut à 3 204 euros soit 2 755 euros nets.
«Je suis aujourd'hui à 4 ans de la retraite (retraite anticipée). Finalement en fin de carrière, après 36 ans d'activité à temps plein, je trouve que mon salaire n'est pas à la hauteur. Je travaille avec des adolescents suicidaires, dans un contexte de pénurie de médecins. Si l'on prend en compte les conditions de travail difficiles et la responsabilité qu'engage l'exercice, le salaire reste bas. La prime Ségur a correspondu à une revalorisation mais elle est intervenue très tard».
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