La profession d’infirmier est réglementée. Son exercice exige ainsi de la part de ses membres de se conformer à un ensemble de règles professionnelles édictées depuis 2016 dans le code de déontologie des infirmiers. Outre un certain nombre de devoirs (entre autres de moralité, probité, loyauté et d’indépendance professionnelle...), les infirmiers doivent aussi respecter les modalités propres à l’exercice de la profession. Dont notamment celles relatives aux liens d’intérêt et avantages en nature ou en espèces.
Des liens d’intérêt à rendre publics
Rémunération occasionnelle ou non, membre d’une instance dirigeante ou consultative, prestation de conseil, participation à une opération promotionnelle…, les infirmiers peuvent avoir, au cours de leur exercice professionnel, des liens d’intérêt divers avec des entreprises de la santé (laboratoires pharmaceutiques, fabricants de dispositifs médicaux…). Cela n’est pas interdit. Cependant, ils doivent les faire connaître au public « soit de façon écrite […] soit de façon écrite ou orale1 » dès lors qu’ils se retrouvent dans des circonstances telles une participation à une manifestation publique (colloque/congrès professionnel, conférence), un enseignement universitaire, une formation continue, une action d’éducation thérapeutique, une expression dans les médias...
Si le contenu de l’information à délivrer n’est pas dûment précisé dans l’article 51 du code de déontologie, les professionnels de santé peuvent a minima mentionner « l’identité de la personne avec laquelle existent des liens d’intérêt et leur nature (convention, octroi d’un avantage, si oui de quel type…) » suggère Stéphane Brissy, maître de conférences en droit privé à l’Université de Nantes, dans sa version commentée du code de déontologie. Et ce dernier d’ajouter que seuls les liens d’intérêt actuels doivent être rendus publics, « c’est-à-dire ceux que l’infirmier a au moment où la présentation est faite ». À noter également que les infirmiers, selon leur mode d’exercice, peuvent être soumis à d’autres obligations en ce domaine du fait d’un règlement intérieur s’ils exercent dans le secteur privé ou de la loi s’ils sont fonctionnaires2.
Une stricte interdiction de recevoir des avantages
En revanche, pas question pour eux – comme pour l’ensemble des acteurs de santé – de recevoir des avantages en nature ou en espèces (don de matériel, repas, transport, hébergement, par exemple) et de façon directe ou indirecte « provenant d’entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale », c’est-à-dire des fabricants de médicaments, de dispositifs médicaux, des sociétés d’assurance… sous peine de sanctions disciplinaires et pénales. D’ailleurs, « Depuis le 1er octobre 2020, de nouvelles règles sur l’encadrement des avantages consentis par les industriels à certains acteurs de la santé sont entrées en vigueur, avec des conditions plus strictes qu’auparavant et de nouvelles procédures à respecter », indique le ministère de la Santé sur son site internet.
Des dérogations pour la rémunération ou l’indemnisation d’activités de recherche
Reste que des dérogations sont admises par la loi et applicables aux infirmiers. C’est le cas, par exemple, de « la rémunération, de l’indemnisation et du défraiement d’activités de recherche, de valorisation de la recherche, d’évaluation scientifique, de conseil , de prestation de services ou de promotion commerciale, dès lors que la rémunération est proportionnée au service rendu et que l’indemnisation ou le défraiement n’excède pas les coûts effectivement supportés par les professionnels de santé », ou encore, « du financement ou de la participation au financement d’actions de formation professionnelle ou de développement professionnel continu3 ».
À noter encore que « s’il est dérogé à l’interdiction d’offrir des avantages, les parties doivent établir des conventions (des “accords”, Ndlr) soumises, en fonction du montant, à un régime de déclaration d’autorisation », explique Stéphane Brissy dans sa version commentée du code de déontologie de la profession. Ainsi notamment, pour les avantages soumis à un contrôle préalable ou dérogations, une convention doit être conclue entre l’offrant (un laboratoire, un fabricant de dispositifs médicaux par ex) et le bénéficiaire (IDE par ex), l’offrant devant ensuite la soumettre à l’autorité compétente (ordres ou ARS) sur une plateforme de téléprocédure (Éthique des professionnels de santé pour les IDE et étudiants). Une fois le dépôt effectué, l’autorité compétente, en fonction du montant de l’avantage, peut alors émettre des recommandations, accepter ou refuser la demande d’autorisation. À noter que le dispositif d’encadrement des avantages4 complète la base de données Transparence-Santé en intervenant avant que l’avantage soit consenti.
Une déclaration de liens d’intérêt en cas de participation à une entité organisée par l’autorité publique
Autre cas de figure : les infirmiers peuvent en tant qu’experts être amenés à participer à une entité (groupe, instance, commission) organisée par l’autorité publique. Là encore, ils devront « déclarer les intérêts susceptibles de mettre en cause leur impartialité et leur indépendance ou de nuire à la qualité de leur expertise ou de leur jugement » (article 52). Une déclaration qui devra être « rendue publique, y compris en ce qui concerne les rémunérations et les participations financières » et « actualisée à l’initiative des intéressés », observe encore l’expert en droit.
Prévenir les conflits d’intérêt et leurs risques induits
Bref, ces règles professionnelles ne sont pas là pour entraver les relations entre industriels et acteurs de la santé au sens large (sans conteste nécessaires en matière de soins, recherche et développement dans le cadre par exemple d’essais cliniques, d’innovations technologiques en chirurgie-robotique, en dispositifs médicaux, ou encore en matière de formation continue des professionnels de santé) mais bien pour prévenir de possibles conflits d’intérêt et les risques qui peuvent en découler en premier lieu pour les patients et en second lieu pour les établissements de soins et leurs personnels.
« Nous acceptons un lien d’intérêt avec les laboratoires tant qu’il nous apparaît bénéfique à la prise en charge de nos patients »
Aurélie Lagarde est IPA spécialisée en “pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies courantes en soins primaires” au CH d’Arcachon (33). La question des liens/conflits d’intérêt entre hôpitaux et laboratoires se pose à elle dans sa pratique quotidienne : « Il ne se passe pas une semaine sans qu’à un moment ou un autre, en sortant de ma salle de consultation, je ne tombe nez à nez avec un représentant (d’un fabricant de pansements bien souvent) qui m’attend. Au CH d’Arcachon, nous demandons à ce que les visiteurs médicaux prennent rendez-vous et nous limitons les créneaux, par exemple un tous les quinze jours. Et surtout, nous veillons à ne pas recevoir toujours le même. Par ailleurs, nous nous attachons à ce que les infirmiers qui les reçoivent aient au moins un DU de cicatrisation. »
Quant aux soirées de formation organisées par des laboratoires, l’IPA les considère comme « un moyen de diffuser des connaissances, tout en réunissant des spécialistes et l’ensemble des soignants intervenant dans le parcours de soins du patient. » De quoi donc favoriser le lien ville/hôpital à l’échelon local et se former quand bien même l’accès à la connaissance est quelque peu biaisé. « Ces soirées de formation nous permettent de rencontrer des spécialistes (de la cicatrisation, par exemple). Et c’est un plus car nous n’avons pas toujours accès aux formations par manque de financements ou de ressources humaines. » Aurélie Lagarde précise cependant : « Quand j’interviens dans ce type de soirées, je fais en sorte de rester neutre, sans mentionner un pansement en particulier. De même, j’interviens pour plusieurs labos différents de sorte de ne pas promouvoir toujours le même.»
En l’occurrence, l’IPA invite plus globalement ses pairs à avoir une analyse et un raisonnement clinique pour choisir un pansement, et à se former en multipliant les sources : « Pour prescrire un pansement, il faut d’abord s’intéresser au patient que l’on reçoit. Il y a un raisonnement clinique, avec des actions à visée de cicatrisation parmi lesquelles le choix du pansement. Sachant que ce dernier ne va pas régler le problème de la plaie à lui tout seul. Il va simplement créer un milieu favorable à la cicatrisation. Il faut déjà avoir des connaissances, pour ne pas se limiter à celles apportées par les seuls laboratoires qui viennent à nous car le risque est de ne pas avoir de vision élargie de tout ce qui existe sur le marché. Se former, se déplacer sur des congrès, est donc indispensable.» Toutefois, l’IPA experte ne manque pas de souligner combien « les rapports avec les fabricants de pansements peuvent être bénéfiques dans la mesure où ils font remonter des problématiques rencontrées sur le terrain permettant ainsi d’améliorer la technologie sur ces dispositifs. » Et de conclure : « Nous acceptons un lien d’intérêt avec les laboratoires tant qu’il nous apparaît bénéfique à la prise en charge de nos patients. Sachant que nous sommes capables en tant que soignants de faire la part des choses et que nous respectons le code de déontologie de notre profession ».
Des conflits d’intérêts au cœur de scandales sanitaires
En 2010, en France, deux scandales sanitaires majeurs sont révélés quasi simultanément. Celui lié aux prothèses mammaires PIP, remplies avec du silicone industriel non conforme par . Et celui du Médiator® commercialisé par les laboratoires Servier. Un médicament promu comme antidiabétique mais dont la nature amphétaminique et les risques connus sont tus. Conséquences : près de 400 000 victimes dans le monde pour le premier et 1500 à 2100 personnes pour le second, sans compter celles qui souffrent des conséquences des effets secondaires.
Autre continent autre scandale avec la crise des opioïdes en Amérique du Nord. Une véritable “épidémie” (depuis le milieu des années 2010) alimentée par la surprescription et le mésusage d’opioïdes légaux très addictifs (OxyContin, Fentanyl, Vicodin…). En cause notamment, la désinformation et la corruption de certaines compagnies pharmaceutiques et de leurs agences conseils. Depuis un quart de siècle, la crise des opioïdes aurait fait quelque 700 000 morts aux États-Unis, et engendré une baisse de l’espérance de vie ! Autant de scandales retentissants qui, en France, ont conduit les autorités publiques à encadrer davantage les relations entre industries et acteurs de santé. Ainsi, la loi Bertrand relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, promulguée toute fin 2011 vise à refonder le système de sécurité sanitaire des produits de santé pour concilier sécurité des patients et accès au progrès thérapeutique et ce, en s’articulant autour de la prévention des conflits d'intérêts, du renforcement de la pharmacovigilance et de la création d'une nouvelle agence du médicament (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM en remplacement de l’Afssaps). Laquelle a d’ailleurs arrêté la décision que « les médicaments contenant du tramadol ou de la codéine, de la dihydrocodéine ou autres opioïdes doivent être prescrits sur une ordonnance sécurisée » depuis le 1er décembre 2024. Leur prescription étant désormais limitée à trois mois (12 semaines) maximum.
Pour en savoir plus :
- Conférence-débat “Hôpitaux-laboratoires : les liaisons dangereuses ? Un partenariat incontournable mais à encadrer” organisée par le CHU de Bordeaux le 12 sept. 2024.
- Code de déontologie des infirmiers
1 Article R4113-110 du CSP/article 51 du code de déontologie des IDE.
2 Article 25 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
3 Articles L 1453-6 et L 1453-7 du CSP.
4 Décret n°2010-730 du 15 juin 2020 ; arrêtés du 7 août 2020 sur les modalités d’encadrement des avantages et arrêtés du 24 septembre 2020 sur la typologie des avantages et des conventions, et sur la télé-procédure “EPS”.
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