L’infirmier dans la littérature de l’époque
Chaque fois que l’infirmier apparaît dans la littérature du XIXe siècle, ce sont majoritairement ses défauts qui sont mis en avant, rarement ses qualités… Par qualités, nous entendons être un soignant responsable et respecté. Malheureusement, les qualités de l’infirmier mises en avant à l’époque correspondent à sa capacité à être obéissant sans rechigner tel un domestique. Lorsqu’un auteur tente de décrire un infirmier, c’est sa condition misérable qu’il présente. Voici quelques extraits…. Guillaume, le garçon infirmier des paralytiques généraux […] C’était un homme de 35 à 40 ans, glabre, à l’air miteux et faux. Il avait le teint blême des gens qui vivent dans le renfermé, la panse grasse des insouciants, une grande bouche, un nez en pied de marmite, des yeux bleu-faïence dont il essayait maintenant d’adoucir l’éclat mauvais et dur
1. Dans cet extrait l’infirmier s’entretient avec une dame de l’aristocratie qu’il va accompagner dans les couloirs de l’hôpital. Ce temps de marche sera pour l’infirmier celui des doléances, doléances assez troublantes pour l’époque (surtout qu’elles sont issues d’un roman fictif) On avait disait-il trop de peine dans les hospices, et l’on était ridiculement payé pour tout le mal qu’on se donnait. Puis il s’en prit au règlement trop sévère, au directeur, un tatillon par excellence, aux médecins et aux internes, des originaux qui n’étaient jamais contents.
2Avec cela, conclut-il, on ne doit pas avoir froid aux yeux, quand on fait notre sale métier. Les paralytiques, ça ne serait rien si cela n’était pas si sale. Mais les fous ! Il faut voir les fous. Des bêtes féroces, madame. Sans compter qu’en les soignant, on risque de devenir toc-toc soi même. Si les familles des pensionnaires n’étaient pas un peu donnantes, il y a longtemps que je ne serais plus ici.
3 Il est évident que ces doléances sont le reflet d’une réalité de l’époque.
Un modèle potentiel de bonté, générosité et altruisme
Dans Splendeurs et misères des courtisanes 4 d’Honoré de Balzac, un infirmier apparaît. Il accompagne un médecin et tous deux doivent examiner un détenu. Seul le médecin parle. Sur les sept pages qui relatent cette histoire, le mot infirmier n’apparaît que quatre fois et le personnage en question est inexistant. Pourtant, la version « idéale » de l’infirmier existe. Par version idéale, nous entendons l’idée que l’on s’en faisait à l’époque. Ainsi, on accorde à ce substantif des qualités de bonté, de générosité et d’altruisme. Béranger s'était fait, pour ainsi dire, l’infirmier des grands orgueils brisés de notre temps, le consolateur des grandes popularités détruites. Cela montre que Béranger, outre sa bonté naturelle, n'avait pas cette féroce préoccupation de sa propre popularité qui fait qu'on ne songe qu'à soi.
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Considéré parfois comme un saint
Il arrive aussi que l’infirmier soit considéré comme un saint tant son action est digne de grâce. C’est l’histoire d’un humble infirmier dont l’âme est aussi grande que modeste6 […] Humble joyeux, ne se doutant pas qu’il a fait une action sublime ; […] Dieu bénira l’heureux village qui a donné naissance à un si noble cœur et l’humble infirmier du Gros Caillou […] Depuis que j’ai écrit ses lignes, le brave et saint infirmier est mort dans des sentiments admirables de foi et d’amour de Dieu7.
Et ce qui est encore plus surprenant, c’est lorsqu’un romancier conteste la rationalité médicale et met en avant l’aspect psychologique dans la connaissance de la maladie, alors la place de l’infirmier devient de premier rang. Il appartenait à cette école de médecine à qui le phénomène physique semble secondaire, et qui en cherche toujours l’explication morale. Très sceptique… en médecine surtout, il croyait peu en l’influence de ses drogues, et il affirmait souvent, lorsqu’on le poussait, que tout malade est à demi guéri lorsqu’un infirmier intelligent connaît son secret8.
Mais le plus souvent décrit comme un personnage misérable et imbécile
Malheureusement, l’infirmier est souvent décrit comme un personnage misérable et surtout imbécile. Il apparaît de la sorte dans un roman de 1885, Les derniers scandales de Paris. Sa mauvaise réputation est telle que celui-ci peut aller jusqu’à empoisonner des malades par cupidité mais non par volonté de faire du mal. Les jambes vacillantes, l’œil hagard, l’infirmier auxiliaire se tenait près du soupeur. – Autrement, lui dit Théodore, ça va bien depuis notre dernière rencontre ? – Comme vous le voyez Monsieur Dardarine…. Et vous ? répondit l’autre estomaqué. – Oh, moi, ça va très bien, mais ce n’est pas de ta faute hein mon gaillard. Et tu reconnais avoir voulu m’empoisonner à l’hôpital Lariboisière ? – Faut bien, soupira le batteur de dig-dig9.
L’infirmier est aussi le « domestique » spécialisé au chevet du malade. Par surcroît de précaution, un domestique-infirmier fut laissé auprès du Baron, avec ordre de prévenir le médecin s’il survenait un accident10.
Devenir infirmier, une promotion pour les plus pauvres
Quelquefois, être infirmier se mérite. On va récompenser un individu en lui donnant une place d’infirmier à l’hôpital. Seulement cet individu sera issu d’une classe sociale si basse que la place qu’on lui proposera ne pourra être vécue que comme une promotion. Ici, il s’agit d’un forçat. Un tel acte de courageux dévouement ne devrait pas rester sans récompense. L’aumônier du bagne, dont la bonne volonté ne s’était jamais démentie lorsqu’il s’agissait d’une bonne action, demanda au commissaire un rapport favorable sur la conduite du jeune forçat, et obtint pour lui une place d’infirmier à l’hôpital maritime, faveur qui ne s’accordait ordinairement qu’aux condamnés qu’une conduite exemplaire et une longue persévérance dans la voie du bien avaient fait remarquer11.
Des qualités présumées de fermeté et d'obéissance
Si l’infirmier a une forme de crédit, ceci est uniquement du à ses qualités de fermeté et d’obéissance. Ce passage correspond à une altercation entre un prêtre et un infirmier-chef. Ici, c’est le prêtre qui a des qualités d’infirmier et qui se fait humilier par un infirmier. Un jour, je venais d'administrer les derniers sacrements à un mourant ; un chef infirmier se présente, m'arrache sans préambule, devant les malades, mon sac de la main et dit : - Je viens vous visiter. - Vous n'avez pas ce droit. – Si ! Je viens par l'ordre du médecin. Le prêtre ne résiste pas au pouvoir constitué12.
Tantôt fourbe, tantôt saint, l’infirmier dans la littérature du XIXème siècle est un personnage hors du commun. Chaque fois que des auteurs sont amenés à le décrire, c’est dans des formes singulières comme si celui-ci cristallisait des angoisses. Mais s’il y a un point sur lequel nous aimerions attirer l’attention, c’est sur la pauvreté de la production littéraire consacrée à l’infirmier. Aucun grand auteur hormis Balzac n’évoque un personnage infirmier dans ses romans. Quant à des documents écrits par des infirmiers eux-mêmes, ils sont inexistants (jusqu’à preuve du contraire).
Notes
- Caze Robert, « La semaine d’Ursule : les femmes » Paris, Edition Tresse, 1885, opus cite p. 76.
- Caze R, opus cite p. 77.
- 2- Caze R, opus cite p. 77.
- Balzac H, « Splendeurs et misère des courtisanes » Editions Houssiaux, 1847 p. 48 à 54.
- Janin J, « Béranger et son temps » Paris, Edition R Pincebourde, 1866, opus cité p. 12.
- Segur A-H-P, “Témoignages et souvenirs”, Editions Retaux Bray, 1886, opus cite p. 72.
- Segur A-H-P, opus cite p. 74.
- Scholl A « L’outrage » Editions Michel Levy frères, 1867, opus cite p. 129.
- Dubut de Laforest J-L « Les derniers scandales de Paris : grand roman dramatique inédit » Paris, Editions Fayard frères, 1885, opus cite p. 126.
- Brot A, « Miss Million », Paris, Edition Jean Rouff, 1880, opus cite p. 333.
- Pares E., « La nuit de la Saint Jean : nouvelle bretonne » Lille, Edition Jean Lefort, 1886, opus cite p. 52.
- Joseph J., « La captivité à Ulm, suivi d’une liste de décès », Paris, Editions Lecoffre, 1872, opus cite p. 130.
L’auteur remercie la Revue de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux d’avoir accepté la publication de cet article sur Infirmiers.com
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