Une tenue d'infirmier qui s'apparente peu à ce que l'on connaît aujourd'hui...
Ici, on aborde un problème plus délicat. Tous les documents relatant la tenue de l’infirmier ne sont pas dithyrambiques, bien au contraire. L’habit est plutôt sommaire et se rapproche de la tenue du domestique et/ou du boucher. Il porte sous son bras une serviette quasi blanche. […] Au dessous de sa veste de bure, sa taille est prise par les cordons d’un tablier réservé aux coins, orné de taches marbrées et veinées de sang : avons nous donc affaire à un boucher1?
Un manque d'hygiène fréquent
Pierrette Lhez nous explique que les infirmiers gardent leurs habits de ville le plus souvent et portent un veston sur lequel est posé un tablier clair (identique à celui des femmes) appelé « devantier » qui caractérise les classes défavorisées et correspond à la tenue des domestiques2.
Avec cette tenue, se pose le problème de la propreté car l’infirmier n’est ni au clair avec son hygiène personnelle (comment le pouvait-il vu sa condition de vie ?) ni avec celle des malades. Nous avons vu un infirmier diplômé compter du linge sale d’un service où se trouvaient beaucoup de tuberculeux, ensuite vérifier le linge propre, le maniant aussi et enfin s’occuper des bocaux à pansements sans avoir eu l’idée de se laver les mains3!
Le fait que l’administration autorise le mariage à ses employés entraîne beaucoup de complications de logement, de discipline et de surveillance et à ce sujet, le Dr Bourneville appelle l’attention de l’administration sur la situation des infirmiers mariés à des infirmières afin de les astreindre à coucher dans les dortoirs [au milieu de leurs collègues. NLDR] on leur trouve des chambres4.
Des problèmes de boisson
Avec ces conditions de vie déplorables, se pose aussi le problème de la boisson. Nombreux sont les infirmiers qui s’y adonnent et les critiques de l’époque ne sont pas tendres. Les vieux règlements des hôpitaux prescrivaient déjà d’altérer le goût et la couleur de l’eau de vie destinée aux blessés et d’y mêler de l’émétique afin d’empêcher les infirmiers d’en voler sinon d’en boire5
Les sœurs hospitalières en charge de l’intendance des salles devaient régulièrement veiller à ce que le vin ne soit pas bu par les infirmiers. Leur grand défaut, c’est l’ivrognerie : on ne sait comment s’y prendre pour mettre le vin hors de leur atteinte ; à l’hôtel-Dieu, à La Riboisière, les brocs qui font la navette du cellier aux salles sont munis d’un cadenas dont le sommelier et la religieuse ont seuls la clef ; précaution inutile : ils savent dans les récipients les mieux clos introduire quelque paille, parfois une sonde qu’ils ont dérobé au chirurgien, et la ration arrive toujours réduite à destination. […] Bien plus, les chirurgiens qui font des préparations anatomiques sont obligés de les enfermer à double serrure, parce que les infirmiers ont l’épouvantable courage de boire l’alcool où ces détritus humains ont macéré6.
Ceux qui s’en sont fait une ressource définitive et qui parfois, s’attachant aux malades, deviennent de bons serviteurs, sont faciles à reconnaître ; ils sont hideux.
Avec ce problème d’alcool, se pose aussi la difficulté à exercer ce métier. A l’époque, ce métier est peu recherché. On ne l’exerce que de façon momentanée et, dès que l’on trouve une situation meilleure, on fait autre chose. Quant à ceux qui restent… Ceux qui s’en sont fait une ressource définitive et qui parfois, s’attachant aux malades, deviennent de bons serviteurs, sont faciles à reconnaître ; ils sont hideux. Cela est frappant surtout à Saint-Louis ; les malheureux qui par la suite d’une maladie ont été défigurés et n’offrent plus aux regards que des faces de monstre, sont restés là comme infirmiers, car ils ont compris qu’ils ne trouveraient point de place ailleurs, et que partout on les chasserait comme des objets de dégoût7.
Des difficulté de recrutement historiques
En fait, si l’on regarde de plus près, les difficultés de recrutement au niveau infirmier ont toujours existé. Le Dr Jacques René Tonon affirmait déjà au milieu du XVIIIème siècle : Il est difficile de trouver de bons infirmiers et de bonnes infirmières. Cette classe de serviteurs manque dans beaucoup d’hôpitaux. Elle est essentielle et mérite une grande attention. L’ordonnance du roi pour les hôpitaux militaires leur accorde des gratifications à proportion de ce qui est satisfait de leurs services : ils reçoivent pareillement des récompenses à l’hôpital des Gardes-Françaises. La croix que portent les infirmiers et infirmières de Lyon est un objet d’émulation ; outre qu’elle leur attire les égards de leurs concitoyens, qui ne voient dans ces utiles serviteurs, que des personnes d’une vertu éprouvée et constante, ceux ou celles qui la possèdent ont encore l’avantage d’être attachés pour la vie à la maison : les priver de cette croix pendant quelque temps, ce qui s’appelle décroiser, serait une grande punition8.
Les sœurs hospitalières en charge de l’intendance des salles devaient régulièrement veiller à ce que le vin ne soit pas bu par les infirmiers.
Après un tel tableau, n’y aurait-il à l’époque que des infirmiers vils et vénaux ? N’existait-il pas des qualificatifs positifs à l’égard des personnes qui exerçaient ce métier aux aspects si difficiles ? La réponse est dans le texte de Marcel Du Camp vu précédemment, plus loin. Ce personnel, généralement vicieux, sans scrupule, grossier et de mauvais instincts, a un sentiment très vif du devoir professionnel : quel que soit le danger, il ne déserte pas. Pendant la dernière épidémie de petite vérole (1870), tous les infirmiers étaient à leur poste, et nul n’avait fui durant la contagion. En cela, ils sont un peu semblables à ces soldats mauvais sujets, familiers de la salle de police, et qu’on retrouve toujours au premier rang à l’heure du combat9.
Notes
- Bernard P. opus cite p154
- Lhez P. « De la robe de bure à la tunique pantalon. Etude de la place du vêtement dans la pratique infirmière. » Inter Editions, 1995, p 21.
- Hamilton A-E, opus cite p152.
- Bourneville DM, « Palmarès des Ecoles d’Infirmiers et d’infirmières », 1894-95, opus cite p47.
- Borsa S., Michel C-R « La vie quotidienne des hôpitaux en France au XIXème siècle » Edition Hachette, 1985, opus cite p 181.
- Du Camp M., « Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXème siècle » Tome IV, Paris, Hachette, 1975, opus cité p 167.
- Du Camp M.,, opus cité p 167
- Tenon JR, « Mémoires sur les hôpitaux de Paris » Editions Ph D Pierres Premier imprimeur ordinaire du Roi, Paris 1788, opus cite p 328.
- DU CAMP M, opus cité p 168
L’auteur remercie la Revue de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux d’avoir accepté la publication de cet article sur Infirmiers.com.
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