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FIN DE VIE

Aide active à mourir : une question éthique au coeur de la démocratie en santé

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Publié le 04/05/2023

Donner la mort est-il un soin ? Si pour certains soignants, la réponse est catégoriquement « non », la question est toutefois très complexe et requiert une approche nuancée. Face à l’insuffisance du cadre actuel dans l’accompagnement de la fin de vie, quelles pistes faut-il explorer et quels garde-fous faut-il respecter pour améliorer la prise en charge ?

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Le sujet est complexe, douloureux, « vertigineux ». Parce qu’il relève à la fois de l’intime et d’une question de société qui concerne tout le monde, le débat sur l’accompagnement de la fin de vie et l’aide active à mourir ne peut pas faire consensus.

Au sein même de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui s’est majoritairement positionnée en faveur d’une aide active à mourir, « un quart (26%) des conventionnels se sont prononcés contre, et parmi ceux qui sont pour, il y a des avis très différents », relate Alexandra Tubiana, membre de la Convention et par ailleurs psychologue, dans le dernier épisode des Contrepoints de la Santé, dédié au sujet1. Chez les médecins non plus, la question n’est pas tranchée, rapporte Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM). Si la majorité des médecins consultés par l’Ordre s’exprime contre une évolution de la loi, puisque telle est la voie envisagée, il existe « des susceptibilités différentes en fonction des spécialités. » Et au Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui s’est saisi du sujet en juin 2021 et a publié son avis 139 en novembre 2022, ce sont 20% des membres qui indiquent ne pas souhaiter d’évolution de la loi, déclare Jean-François Delfraissy, son président.

Un cadre actuel jugé insuffisant

Pour autant, dans ces discussions sur la fin de vie, deux éléments font consensus. D’une part, la loi Claeys-Léonetti2 n’est pas suffisamment connue, ni suffisamment appliquée. Si elle a permis un certain nombre d’avancées, notamment sur la rédaction des directives anticipées, même ainsi, « les patients en fin de vie ne viennent pas voir un médecin en faisant valoir leur droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; tout ça est discuté dans une relation de soin », explique Michèle Levy Soussan, médecin responsable de l'unité mobile d'accompagnement et de soins palliatifs et co-animatrice de la cellule de support éthique à la Pitié- Salpêtrière. Ce qui suppose donc un engagement de la part du médecin. Et quand elle est appliquée, juge Jean-Marcel Mourgues, elle n’est pas évaluée.

« Le soin palliatif est un soin simple qui peut être donné partout » mais qui « doit être coconstruit dans un espace et un temps d’échange avec la famille et les soignants de proximité ».

D'autre part, il est impératif d’améliorer l’accès aux soins palliatifs, une demande que formulent instamment plusieurs organisations soignantes comme alternative à l’aide active à mourir. Si Michèle Levy Soussan estime qu’il y a de la place pour créer d’autres unités dédiées « avec des lits de soins palliatifs » et qu’il « faudrait au moins 200 lits » supplémentaires, Jean-François Delfraissy se veut plus nuancé. « Quand on regarde les ratios par rapport aux autres pays européens, ce n’est pas si mal. Il y a certes des trous dans la raquette, mais on peut avoir accès à des lits de soins palliatifs dans tous les départements français. » « La culture palliative est montée en force, même si elle demeure encore insuffisante », reconnait-il. En réalité, il s’agit de donner les moyens à « la philosophie » française des soins palliatifs, soit l’idée « que le patient peut être accompagné dans une démarche palliative partout où il se trouve : chez lui, en EHPAD, dans un service de chirurgie… », de s’incarner, estime Michèle Levy Soussan. En commençant par former tous les médecins à ce type de prise en charge. Techniquement, « le soin palliatif est un soin simple qui peut être donné partout », poursuit-elle. Ce qu’il importe le plus, c’est « qu’il doit être coconstruit dans un espace et un temps d’échange avec la famille et les soignants de proximité, qui sont souvent difficiles à trouver. »

Les Français face à la fin de vie
Selon le sondage réalisé par BVA pour les Contrepoints,
- 85% des sondés se disent favorables à l’euthanasie, dont 48% très favorables ;
- 79% sont favorables au suicide assisté, dont 44% très favorables ;
- et 75% se disent favorables aux deux modes d’accompagnement.
- 70% se prononcent pour l’établissement d’une clause de conscience pour les professionnels de santé.
- 82% sont favorables, dont 40% très favorables, au recours aux associations dans l’accompagnement des personnes.
- et 82% des répondants estiment que la loi actuelle sur le sujet n’est pas assez appliquée.
 

Une évolution qui doit être strictement conditionnée

Mais l’aide active à mourir, dans tout cela ? Si évolution de la loi il devait y avoir – et Emmanuel Macron a fait savoir sa volonté de voir un projet de texte aboutir avant la fin de l’été –, elle ne pourrait se faire que via un strict encadrement. Le CCNE, s’il s’est positionné contre l’euthanasie, par exemple, laisse une porte ouverte en fonction d’un certain nombre de conditions, sans trancher définitivement la question. Dans le cas d’un patient condamné à moyen terme qui aurait, étant conscient, indiqué souhaiter un suicide assisté mais que la progression de la maladie, plus rapide que prévue, aurait rendu par la suite inconscient, « l’euthanasie serait-elle possible ? », s’est-il ainsi interrogé. La question ici touche à des points essentiels qui sont ceux de la volonté et du discernement du patient, et sur lesquels il demeure très complexe de statuer. « Nous avons buté sur la question du discernement », admet Alexandra Tubiana. « Peut-on réellement juger, quand on est encore en plus ou moins bonne santé, de ce qu’on pensera ou vivra quand on sera en situation de fin de vie ? C’est une notion sur laquelle il n’y a pas de réponse claire. »

Le plus important est que le soignant reste dans son rôle de soignant et puisse être à l’écoute du patient.

Du côté des soignants, l’aide active à mourir suppose en tous les cas l’élaboration d’une relation de soin très spécifique avec le patient et ses proches, s’inscrivant dans une réflexion collégiale, et qui, difficulté supplémentaire, est mise à l’épreuve par « l'extrême vulnérabilité » des malades et de leur famille, note Michèle Levy Soussan. Cet accompagnement doit également être impérativement associé au droit, pour l’ensemble des professionnels de santé concernés, à faire valoir leur clause de conscience – du moment, précise le vice-président du CNOM, que la loi prévoit bien des mesures de ré-adressage des patients.

Des débats aussi en région
Parallèlement à la Convention citoyenne, se sont construits des espaces régionaux d’éthique où ont été organisés près de 330 débats et réunions sur la fin de vie, indique Jean-François Delfraissy. Ils ont permis de parvenir à un certain nombre de consensus sur les éléments qui posent aujourd’hui problème dans cette prise en charge : méconnaissance dans la population de la loi actuelle et insuffisance de la culture palliative, bien sûr, mais aussi risques de l’obstination déraisonnable peu ou pas assez anticipés, flou sur la place des aidants ou encore vulnérabilité des personnes précaires, à commencer par les sans-abris.

Dans une société qui se dit de plus en plus favorable à des procédures telles que suicide assisté et euthanasie, « il importe de ne pas être dans une situation de clivage entre vision citoyenne et communauté soignante », prévient Michèle Levy Soussan. « Le plus important est que le soignant reste dans son rôle de soignant et puisse être à l’écoute du patient. Certains patients sont dans des états de souffrances réfractaires qui nécessitent, après avoir suivi le parcours clinique, de considérer d’autres formes d’accompagnement que celles qui sont aujourd’hui proposées », fait-elle valoir. Avec, comme impératif de ne jamais laisser un patient sans solution.

Valoriser l’humain et la relation de soin

Retrouver du temps soignant demeure donc la pierre angulaire de tout accompagnement en fin de vie. « Le temps humain, la relation entre soignant et soigné doivent être plus valorisés ; c’est vrai dans les soins palliatifs mais aussi dans la santé de manière générale. Le médical à la française doit évoluer vers plus de temps humain », plaide Jean-Français Delfraissy, qui ouvre aussi la porte à une autre perspective : « Faut-il rester dans un modèle à la française ou au contraire profiter d’une éventuelle loi pour être disruptif, imaginatif, et laisser une place au milieu associatif » s’appuyant sur le terrain sur des citoyens très sensibilisés sur le sujet ? Quoi qu’il en soit, et l’exemple de la Convention et de ses débats le prouve, la question de l’aide active à mourir implique une réflexion de tous, à mener dans le cadre d’une réelle démocratie en santé, concluent-ils.

1 « L’aide active à mourir est-elle un soin », épisode enregistré le mercredi 26 avril.

2Loi qui autorise, sous certaines conditions, pour les patients en fin de vie le recours à la sédation profonde et continue, renforce le droit des patients et définit le cadre de la rédaction des directives anticipées.


Source : infirmiers.com