C’était une piste envisagée par Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé : remplacer le plan de développement des soins palliatifs, jugé trop lent, en stratégie décennale, comme ce qui existe déjà pour le cancer. Le 3 avril dernier, c’était chose faite, avec l’annonce d’un plan national décennal de la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs. Une déclaration qu’a tenu à saluer la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD). « On se réjouit que la douleur retrouve sa place dans l’agenda politique », a réagi Valéria Martinez, sa présidente et par ailleurs anesthésiste et médecin de la douleur à l’hôpital Raymond Poincaré (Garches), qui présente aujourd’hui les attentes de la société savante. À commencer par la nécessité d’appréhender la douleur chronique « dans sa spécificité ». « Nous travaillons activement à formuler des propositions », a-t-elle poursuivi.
Trop de patients sont en errance thérapeutique à cause de douleurs provoquées par les soins.
Une réflexion autour de 3 axes prioritaires
La SFETD a identifié 3 axes prioritaires pour associer soins palliatifs et prise en charge de la douleur, dont le premier est l’accès aux thérapeutiques. Une technique, notamment, est au cœur de ses préoccupations : l’analgésie intrathécale (qui consiste à administrer les antalgiques au plus près de la colonne vertébrale pour soulager plus rapidement la douleur). « Sur les 4 500 patients par an qui présentent une douleur intense réfractaire en fin de vie, environ 3 000 pourraient être candidats. Mais seulement 350 dispositifs sont posés », faute de médecins formés, mais aussi de réseaux structurés de prise en charge, a déploré la présidente de la SFETD.
Vient ensuite le dépistage des patients à risque de douleur chronique, en particulier chez ceux traités pour un cancer. « Trop de patients sont en errance thérapeutique à cause de douleurs provoquées par les soins », a-t-elle souligné, pointant particulièrement les traitements par radiothérapies, chimiothérapies et chirurgie. « C’est une réalité qui doit être entendue. »
Quant au troisième axe, il concerne la formation des médecins avec, en ligne de fond, la crainte « d’une pénurie imminente » de ces professionnels de la douleur. En cause : une pyramide des âges déséquilibrée du fait du vieillissement des médecins aujourd’hui en exercice. Selon les derniers chiffres avancés par la SFETD, un quart de ces professionnels pourraient partir à la retraite d’ici 5 ans, sans garantie d’être remplacés. De quoi rendre impossible la prise en charge des « 5% de patients » présentant des cas complexes « qui devraient être suivis dans les structures douleurs ».
Protocole de coopération et pratique avancée pour les infirmiers ressources douleur
Autre réflexion qui peut permettre de trouver des synergies entre douleurs et soins palliatifs, le chantier de la reconnaissance en pratique avancée des infirmiers ressources douleur (IRD) poursuit son cours. Pensée, comme les autres champs de la discipline, comme une réponse à la désertification médicale, elle pourrait être prochainement au cœur de la création d’une nouvelle mention*, selon Karine Constans, IRD à l’hôpital Simone Veil (Beauvais) et responsable de la Commission infirmière de la SFETD. Pour rappel, un argumentaire défendant cette évolution – Appliquer la reconnaissance d’une pratique avancée à l’exercice de l’infirmier ressource douleur (IRD) au sein des SDC – a été remis en 2021 à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS).
En l’état, c’est toutefois le protocole national de coopération, qui suppose la délégation de certains actes des médecins vers les IRD, qui est le plus avancé. Dans le cadre d’un Appel à manifestation d’intérêt (AMI), le comité national des coopérations interprofessionnelles a sélectionné 5 équipes pour participer à la rédaction de ce protocole :
- le groupe pluriprofessionnel et multidisciplinaire de la SFETD
- le centre d'évaluation et de traitement de la douleur (CETD) du CHU de Lille (Nord)
- le centre de lutte contre le cancer de Rennes (Ille-et-Vilaine)
- le CETD pédiatrie du CHU de Rennes
- le CETD du Groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace.
Une fois rédigé, le protocole sera soumis à l’avis de la Haute autorité de santé et, en cas de réponse favorable, sera ensuite généralisé sur le territoire. « La commission infirmière poursuit son travail de valorisation des compétences des infirmiers ressources douleur », a défendu Karine Constans.
La douleur chronique est une maladie rare qui s’ajoute à la maladie. Elle doit être prévenue, accompagnée, tout au long de la vie.
Faire de la douleur une spécialité
De reconnaissance, c’est finalement de cela dont il est surtout question. Pour la SFETD, la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs ne pourra être optimale que si celle-ci est reconnue comme une spécialité à part entière. « Il faut [en] faire une spécialité parce que cela permettrait d’agir sur le long terme », a martelé Valéria Martinez. « Cela résoudrait les problèmes de pérennisation des structures spécialisées, d’attractivité », de disposer, également, de « plaquettes de formation harmonisées » entre les soins palliatifs et la douleur. La douleur chronique se doit d’ailleurs d’être reconnue comme une maladie, et non plus simplement comme un symptôme, et faire l’objet de politiques de prévention dédiées. « La douleur chronique est une maladie rare qui s’ajoute à la maladie. Elle doit être prévenue, accompagnée, tout au long de la vie », s’est ému Éric Serra, psychiatre au CETD du CH d’Amiens et vice-président de la SFETD. Sur l’ensemble de ces sujets, la société savante entend bien se poser comme un des interlocuteurs majeurs et apporter toute sa contribution à la future stratégie décennale et aux évolutions sur la fin de vie, a-t-il conclu.
Selon les chiffres de la SFEDT,
- 12 millions de Français souffrent de douleurs chroniques. Plus de 20% de la population française déclarent des douleurs chroniques d’intensité modérée à sévère.
- 32% des Français expriment une douleur quotidienne depuis plus de 3 mois.
- Près de 20% des patients opérés gardent des séquelles douloureuses après une intervention chirurgicale.
- 1 patient douloureux chronique sur 2 voit sa qualité de vie altérée, et 70% des patients douloureux chroniques présentent des répercussions psycho-sociales (troubles du sommeil, anxiété, dépression, troubles cognitifs). On note 5 fois plus d’arrêts de travail chez ces patients.
- Moins de 3% des patients douloureux chroniques bénéficient d’une prise en charge dans une structure spécialisée « douleur chronique de recours ».
*En plus des 5 déjà existantes : pathologies chroniques stabilisées, oncologie et hémato-oncologie, maladie rénale chronique-dialyse-transplantation rénale, psychiatrie et santé mentale, et urgences.
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