« C’est clairement nous faire signer un chèque en blanc. » Chez les infirmiers de bloc opératoire (IBODE), l’humeur est à l’agacement, si ce n’est à la franche colère. En cause, un contrat d’engagement soumis par la Direction générale de l’offre de soin (DGOS) à l’ensemble des acteurs (État, employeurs, représentants et associations de la profession et des chirurgiens, universités et écoles de formation) en amont de la publication du nouveau décret sur les mesures transitoires. Pour rappel, en décembre 2020, le Conseil d’État avait demandé au gouvernement de réviser le décret encadrant les mesures transitoires (voir encadré), celui en cours alors ne permettant pas, à son sens, de faire correctement fonctionner les blocs opératoires. Présenté en février dernier, le texte actualisé n’a pas obtenu la faveur du Haut conseil des professions paramédicales (HCPP). Son avis n’étant que consultatif, il a néanmoins été soumis au Conseil d’Etat.
Or signer le contrat d’engagement, remis aux acteurs le 31 mars, revient à « approuver le texte » du décret, s’agace Magali Delhoste, à la tête de l’Union nationale des infirmiers de bloc opératoire (Unaibode). « Il vient donner la responsabilité à ceux qui vont le signer à ne pas se retourner contre le décret », abonde Rachid Digoy, président du Collectif Inter-Blocs (CIB, qui n’a pas été convié à la présentation du contrat). Or, en l’état, les représentants de la profession s’y refusent.
« Des zones d’ombre » qui interpellent
Car le contenu du décret, tel qu’il sera rédigé, n’a pas encore été fixé. Il est question d’autoriser les infirmiers qui exercent actuellement en bloc opératoire mais sans avoir le diplôme d’IBODE à pratiquer les 10 actes exclusifs de la profession, sous condition de justifier d’un an d’expérience en bloc et de suivre une formation de 28 heures – contre 24 mois pour les étudiants de la spécialité, depuis la réingénierie de la formation. En tout, environ 20 000 professionnels seraient concernés par le dispositif. Le contrat prévoit également une enveloppe de 5,4 millions d’euros intégrée dans l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie des établissements de santé (ONDAM ES) pour accompagner les employeurs qui enverront leurs infirmiers suivre la formation. Sur le fond, Magali Delhoste n’est pas réfractaire à l’idée d’un contrat d’engagement. « Cela veut dire au contraire que l’on va travailler ensemble pour que les choses s’améliorent et que chacun y mettra du sein. La base du contrat ne me dérange pas. »
Mais ce qui heurte, en premier lieu, c’est sa temporalité « Tant que le texte ne sera pas sorti et tant qu’on ne pourra pas voir ce qui se profile et argumenter sur certains points, je ne signerai pas », tranche-t-elle. Autre sujet de discorde : le contrat présente « trop de zones d’ombre. Il engage les établissements, les associations et les professionnels mais, à y regarder de près, pas du tout le gouvernement. » Vient enfin le mille-feuille de profils qui en découlerait, entre IBODE, infirmiers en mesures transitoires avec 3 actes, ceux avec 10, et infirmiers en soins généraux ; il n’est a priori pas prévu d’accorder aux infirmiers ayant bénéficié des premières mesures transitoires l’autorisation d’exercer les 10 actes. « Bien souvent, ceux qui ont validé les 3 actes ont a minima 5 ans d’ancienneté et ils ne pourront réaliser que ces 3 actes alors que les professionnels qui sont rentrés l’année dernière dans le dispositif seront autorisés à tout faire. C’est complétement absurde ! », s’indigne la présidente de l’Unaibode.
Aujourd’hui, dans 95% des blocs, des tas de professionnels font un travail d’IBODE sans l’être, voire sans même avoir eu une once de formation.
Un projet de décret qui inquiète
Le nouveau texte sur les mesures ne va pas en effet sans poser quelques questions. Outre le fait que le contenu de la formation de 28 heures n’a pas été défini, les plus opposés y voient une menace pour la profession si jamais le dispositif venait à se pérenniser. « Les mesures transitoires donnent une autorisation à vie, elles ne fidélisent pas du tout les professionnels, car ils pourront retourner dans un autre service du jour au lendemain », à la différence d’un IBODE qui aurait suivi la formation, craint ainsi Rachid Digoy. Avec la tentation que les professionnels, mais aussi les employeurs, préfèrent les mesures transitoires, plus faciles d’accès et moins coûteuses, à la formation longue. La méfiance, selon lui, est de mise car il s’agit ici d’une répétition du schéma de 2019, lorsqu’était déjà passé le premier décret sur les mesures transitoires. « Fin 2019 déjà, ce n’était censé être qu’une seule salve », mais « nous n’avons aucune garantie qu’à l’avenir il n’y ait pas d’autres salves. »
De son côté, Magali Delhoste se veut beaucoup plus mesurée et fait valoir un principe de réalité : « Il ne faut pas se voiler la face. Aujourd’hui, dans 95% des blocs, des tas de professionnels font un travail d’IBODE sans l’être, voire sans même avoir eu une once de formation » et exercent donc en totale illégalité. Elle plaide pour un schéma à l’image de ce qui a été pratiqué pour les infirmiers anesthésistes (IADE). En 2007, tous les professionnels pratiquant des actes d’anesthésie sans être IADE se sont vu autorisés à exercer en tant que tels, avant que la spécialité n’obtienne l’exclusivité de ses fonctions. Mais encore faut-il que le prochain décret sur les mesures transitoires IBODE borne bien les limites du dispositif.« Si on doit valider l’exercice des quelque 20 000 professionnels, on le fait en une fois et on ne recommence pas. Les établissements ne pourront plus nous dire qu’ils n’ont pas assez de personnel pour faire tourner les blocs » - argument régulièrement avancé pour réviser le texte depuis 2015.
- En janvier 2015, paraît le décret définissant les actes relevant de la compétence exclusive des IBODE.Il est rapidement attaqué par les fédérations d’employeurs, qui mettent en avant la difficulté de faire tourner les blocs opératoires avec le seul contingent d’IBODE alors en exercice.
- En 2019, un premier décret sur les mesures transitoires, qui autorise les infirmiers exerçant en bloc depuis au moins un an de pratiquer 3 des actes exclusifs IBODE (aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration réalisés au cours d'opérations chirurgicales).
- En décembre 2020, le texte, accusé de méconnaître le principe de sécurité juridique, est de nouveau dénoncé par l’Union des chirurgiens de France (UCDF) et la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), qui saisissent le Conseil d’État pour ouvrir sa révision.
- Le nouveau texte est présenté en février 2023 au HCPP, qui le rejette.
Et tous deux de regretter la mobilisation de financements pour accompagner le dispositif des mesures transitoires tout en faisant l’impasse sur la spécialité. « Le contrat d’engagement spécifie que l’État va investir 5 millions d’euros dans la formation de 28 heures donc il y a des financements », sans que ceux-ci soient mobilisés pour renforcer les études d’IBODE, déplore ainsi Rachid Digoy. « Aujourd’hui, on ne veut pas investir dans certains métiers qui sont en tension, notamment celui des IBODE. » Le CIB, dans un communiqué, en a appelé à « la responsabilité des syndicats, des associations, afin qu'ils refusent de signer ce contrat d'engagement mortifère ». La signature du contrat a été reportée à une date ultérieure, les organisations représentantes des salariés ayant demandé sa révision.
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