Pour les représentants des infirmiers de blocs opératoires (IBODE), c’est de nouveau la douche froide. À la sortie d’une réunion avec la Direction générale de l’offre de soin (DGOS) autour du dispositif des mesures transitoires*, lundi 11 décembre, le mécontentement était de mise. Et pour cause : « La DGOS entend lisser le dispositif sur 5 ans. Dans ce cas, on ne peut plus parler de dispositif transitoire, mais bien de dispositif dérogatoire ! », s’agace Magali Delhoste, présidente de l’Unaibode. En effet, la DGOS entend donner la possibilité aux infirmiers non-spécialisés exerçant en bloc d’intégrer le dispositif tous les ans pendant 5 ans, soit jusqu’en 2029.
De quoi inquiéter la profession alors qu’est déjà prévue l’extension de ces mesures transitoires aux 10 actes exclusifs IBODE, au lieu des trois déjà ciblés (aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration réalisés au cours d'opérations chirurgicales). Pour rappel, un décret cadrant le dispositif avait été mis en place en 2019 avant d'être dénoncé par l’Union des chirurgiens de France (UCDF) et la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), qui avaient saisi le Conseil d’État ; le texte méconnaissait selon eux un principe de sécurité juridique, les infirmiers non-spécialisés qui opéraient en blocs n’étant alors pas autorisés à le faire.
Une solution avancée contre la pénurie d'IBODE
Tel qu’envisagé par la DGOS, le nouveau texte prévoirait ainsi l’extension du dispositif à l’ensemble des actes exclusifs IBODE pour les infirmiers non-spécialisés, conditionnée par le suivi d’une formation de 28 heures. À noter que les infirmiers ayant déjà suivi la formation de 21 heures nécessaire aux 3 actes ciblés actuellement dans les mesures transitoires pourraient basculer directement sur les 10 actes. Pour justifier sa position, la DGOS s’appuie sur des projections démographiques IBODE à 5, 10 et 20 ans. « Selon ces données, d’ici 5 ans, on va rencontrer un pic où les IBODE et les infirmiers en mesures transitoires ne seront plus assez nombreux pour assurer la sécurité dans les blocs », explique Magali Delhoste. « Il n’y aura pas assez de sorties d’écoles IBODE » pour répondre aux besoins des établissements. D’où la nécessité pour la DGOS de ne pas circonscrire le dispositif à une seule salve, comme l’espéraient les représentants de la profession, mais plutôt « d’ouvrir les vannes » afin de combler les manques jusqu’à un retour à l’équilibre.
Mais pour Rachid Digoy, le président du Collectif Inter-Blocs, qui était présent à la réunion au titre de membre du Conseil national professionnel (CNP) IBODE, les perspectives de la DGOS sont en réalité faussées d'entrée de jeu : « Leur projection ne tient compte que des sorties d'écoles, soit 700 infirmiers formés par an. Or, il y aussi l'apprentissage et la validation des acquis de l'expérience (VAE) », qui représentent également des voies de formation à la spécialité.
Le retour à l'exclusivité IBODE pas prévu avant 2045
Le retour à l'exclusivité IBODE, lui, ne serait pas prévu avant 2045 - et uniquement à condition que les infirmiers qui auront bénéficié du dispositif acceptent de suivre la formation diplômante entretemps. Un vœu pieux pour Rachid Digoy. « L'autorisation donnée dans le cadre des mesures transitoires est valable à vie. Bien sûr que les infirmiers qui y auront eu recours n'iront pas se former en école ! », réagit-il. Le projet de la DGOS serait donc « un cadeau pour les établissements ! », s’indigne Magali Delhoste.« D'ailleurs, les fédérations d'employeurs elles-mêmes ont déclaré que ça allait leur faciliter la tâche. Les établissements n'auront pas à envoyer leurs infirmiers en formation », confirme Rachid Digoy. Dans un communiqué publié à la sortie de la réunion, l'Unaibode déplore une véritable impréparation de la DGOS qui, faute d’avoir « voulu former à temps des IBODE », est contrainte d’imaginer un dispositif qui met non seulement en danger la profession mais aussi les patients, qui seront confiés aux mains de « novices ».
Du flou et des contradictions
La décision est absurde, juge sa présidente. Et pour cause, les infirmiers qui souhaiteront s’inscrire dans le dispositif des mesures transitoires devront justifier d’un an d’exercice en bloc où ils auront réalisé des actes… qu’ils ne seront pas encore autorisés à pratiquer. Soit un demi-tour complet par rapport aux premières préoccupations du Conseil d’État. « C’est de la schizophrénie complète. Même nous, nous avons du mal à comprendre », s’agace-t-elle. Le positionnement de la DGOS est d’autant plus déconcertant que celle-ci tablerait sur une augmentation du nombre de places en formation IBODE dans les années à venir. Or, malgré sa récente réingénierie, celle-ci a du mal à attirer les candidats. 80% seulement des places en écoles d'IBODE seraient remplies, rappelle Rachid Digoy, avec une décélération de plus en plus perceptible du nombre de candidats. « Il va donc vraiment falloir faire un effort, trouver des moyens pour pousser les établissements à envoyer leurs infirmiers en formation IBODE », renchérit Magali Delhoste.
Il est évident que l’engagement à mettre fin au dispositif d’ici 5 ans doit faire partie du texte.
Car c’est là aussi l’une des interrogations de la profession : comment s’assurer que les établissements respecteront bien leur engagement ? En effet, le contrat d’engagement que l’ensemble des acteurs était appelé à signer en avril dernier, alors même que le nouveau décret n’était pas encore rédigé, ne spécifiait pas les moyens mis en œuvre pour contraindre les employeurs à remplir les exigences d’envoi en formation de leurs professionnels. « Ces sanctions, par exemple dans le cas d’un établissement qui présenterait un important quota d’infirmiers en mesures transitoires et qui n’en enverrait pas quelques-uns en formation, ne sont pas définies », pointe ainsi Magali Delhoste.
Un dispositif, oui, mais qui doit être cadré
Pour autant, elle a « envie d’y croire. » La DGOS a en effet demandé aux représentants de la spécialité d’écrire le texte qui cadrera le dispositif. De quoi donc leur permettre d’imposer certaines de leurs conditions, à commencer par une limitation stricte dans le temps de sa mise en application. « Selon la DGOS, à partir de 2029, les flux entrants et sortants des IBODE et des infirmiers non-spécialisés s’équilibreront, et les effectifs seront suffisants. Pour moi, il est évident que l’engagement à mettre fin au dispositif d’ici 5 ans doit faire partie du texte », insiste la présidente de l’Unaibode. Pourrait également s’envisager l’obligation d’inscrire un volet IBODE dans la certification des établissements (« nombre d’IBODE en exercice, d’infirmiers envoyés en formation ») afin de les encourager à mieux considérer ces professionnels et leurs compétences.
La seule condition viable, c'est qu'il y ait derrière chaque mesure transitoire une obligation de formation à la spécialité.
De son côté, Rachid Digoy relève que « La seule condition viable, c'est qu'il y ait derrière chaque mesure transitoire une obligation de formation à la spécialité. » Il défend notamment l'une des propositions du CIB, qui n'est pas convié aux discussions avec la DGOS, d'ouvrir aux infirmiers disposant de 5 à 15 ans d'expérience une formation de 3 ans en alternance. « Sur 10 ans, on a la possibilité de former assez de professionnels », affirme son président.
Mais les marges de manoeuvre pour les représentants semblent bien minces. « Au départ, il était prévu de ne plus pouvoir déposer de dossiers pour intégrer le dispositif à partir de 2019. Puis on a parlé de 2023-2024. Et maintenant, on repousse à 2030 », ironise le président du CIB, qui se dit peu optimiste pour les futures discussions. Alors que les réactions des IBODE, déjà majoritairement hostiles à l'extension aux 10 actes exclusifs, à l’annonce du projet de la DGOS sont teintées de colère et que certains appellent à ne pas participer à l’écriture du texte, Magali Delhoste se refuse toutefois à « jouer la politique de la chaise vide. Car sinon, les fédérations d’employeurs et la DGOS auront toute latitude pour y inscrire n’importe quoi. » Une nouvelle discussion entre les différents acteurs est en tout cas programmée pour janvier 2024.
*À laquelle étaient présents les représentants de la profession (Unaibode, Snibo, AAEIBO pour les enseignants en écoles IBODE, le CNP IBODE, AELIBO pour les étudiants), les fédérations d’employeurs et les organisations syndicales.
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