Les infirmiers américains pourraient-ils inspirer le modèle français ? En anglais on dit : «gig work», pour activité à la tâche. Outre-Atlantique, depuis la pandémie de Covid, de plus en plus d'infirmiers se tournent vers cette possibilité, préférant choisir leurs gardes sur des applications plutôt qu'un contrat de plusieurs mois au sein d'un établissement hospitalier.
Il faut dire que la pénurie d'infirmiers aux Etats-Unis, comme en France est un problème majeur. La pandémie a poussé près de 100 000 infirmiers à quitter leur emploi à cause du stress, selon un récent rapport de leur Conseil national. Et plus de 610 000 autres comptent partir d'ici 2027 à cause du stress, du surmenage ou pour leur retraite. Un nombre assez élevé pour un effectif de 5,2 millions d'infirmiers en activité en 2022.
Les hôpitaux américains n'ont donc d'autre choix que celui de s'adapter. Résultat : cette activité à la tâche -plus lucrative et plus souple en terme d'emploi du temps- a pris de l'ampleur ces dernières années.
Des plateformes pour répondre à la «crise du personnel»
Il y a une «crise du personnel au sein du système de santé», admet Deborah Visconi, directrice générale du centre médical de Bergen New Bridge. «Beaucoup de gens ont décidé de partir en retraite anticipée ou de se reconvertir», relève-t-elle. Depuis que l'établissement s'est associé à la plateforme CareRev, 150 professionnels s'y sont inscrits pour y travailler. «Nous pouvons trouver quelqu'un pour une garde en quelques heures», se réjouit Mme Visconi, ajoutant que 80% des besoins sont comblés de cette manière. La plateforme Aya Healthcare a vu les gardes prises par des infirmiers à la tâche augmenter de 54% en 2022. Au niveau national, le nombre de gardes proposées sur son application a progressé de 62%, indique Sophia Morris, sa vice-présidente.
Flexibilité
Pour Jessica Martinez, une infirmière de 38 ans qui s'est résolu à opter pour le travail à la tâche, celui-ci est plus «rémunérateur» qu'un contrat avec un hôpital, d'«au moins 30% de plus». Ce type de travail ne présente pas que des avantages pourtant : par exemple, en tant que contractuelle, elle ne bénéficie pas d'avantages normalement accordés par l'employeur, comme l'assurance santé. L'infirmière dépend donc de celle de son mari.
D'autres, comme Chantal Chambers, profitent à plein de la flexibilité offerte en choisissant leur garde parfois la veille au soir. Lorsqu'elle vivait à San Diego, la jeune femme s'est inscrite sur Aya Healthcare, profitant des possibilités offertes pour mieux faire coïncider activités familiales et emploi du temps professionnel, disposant ainsi de davantage de temps avec ses deux enfants.
Pour Deborah Visconi, l'usage des plateformes ne peut que progresser à une époque où les employés voient différemment leur travail et cherchent à disposer de plus de temps libre ou à travailler davantage, selon leurs besoins. «Nous avons une population vieillissante, qui demande plus de soins de santé, nous sommes à l'orée d'une crise», qui pousse les hôpitaux à «envisager les options plus flexibles», estime l'infirmière en cheffe de CareRev, Susan Pasley.
Tensions et crainte de l'Uberisation
Malgré tout, des voix s'élèvent, inquiètes des conséquences sur la qualité de la prise en charge des patients. «Le risque est de voir des établissements mal préparés, avec un nombre insuffisant de personnel pour faire face à des urgences ou à des afflux de patients», pointe Michelle Mahon, du syndicat national des infirmiers. Elle voit dans cette pratique nouvelle un autre risque : le manque de connaissances de l'espace de travail, comme savoir où sont stockés les équipements d'urgence. Un problème bien réel, assure Sarah DeWilde. Cette infirmière du Missouri (nord) forme des infirmiers en «gig work» dans son hôpital, sans qu'elle ne puisse évaluer convenablement leurs compétences, selon elle. Et «la conséquence est que je n'ai plus le temps de m'occuper de mes patients car je les aide à prendre en charge les leurs», souligne-t-elle, «je suis déjà en sous-effectif, surchargée et dépassée». Ces nouvelles pratiques sont aussi comparé au sytème Uber, ce qui soulève là encore les inquiétudes et interroge.
Les tensions viennent aussi parfois des inégalités de traitement : les infirmiers à la tâche peuvent être payés «jusqu'à deux fois plus» que les autres, «cela peut créer des tensions». Deborah Visconi se veut cependant positive. Pour elle, la situation devrait s'améliorer car elle le constate : ces infirmiers ont tendance à retourner dans les mêmes établissements.
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