«Fruit de la recherche en sciences infirmières et d’innovations cliniques, le savoir infirmier est au cœur-même de l’expertise infirmière», rappelait Clémence Dallaire, infirmière et professeure titulaire à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval (Québec) en ouverture du 8e Congrès mondial des infirmières et infirmiers francophones, organisé par le SIDIIEF* fin mars. C'est justement de ce savoir, mais dans les pays émergents, qu'il s'agissait et qui a été discuté à cette occasion, réunissant les représentants infirmiers de différents pays, le Liban, le Sénégal, le Gabon, la Côte d'Ivoire, le Congo ou encore la République démocratique du Congo.
Manque de stages ou d'enseignants
«La question de la formation infirmière et de la recherche est essentielle. Au niveau de la sous-région ouest-africaine, l'harmonisation du curriculum de formation permet de pouvoir fournir des formations identiques», a par exemple expliqué Gabin Maka, infirmier diplômé d’État, président de l'Association nationale des infirmières et infirmiers de Côte d’Ivoire. Plusieurs pays émergents sont passés au système LMD (Licence-Master-Doctorat) mais l’harmonisation de la formation infirmière au sein de la francophonie reste insuffisante. «On constate aujourd'hui au niveau de nos écoles, qu'on a de plus en plus d'étudiants alors même que les infrastructures n'ont pas évolué, ce qui agit parfois sur la qualité de la formation initiale». L'arrivée des cours en ligne permet de répondre en partie au problème.
Après avoir exposé, pour chaque pays représenté, les conditions de formation et les manques (de terrain de stages, d'enseignants, ou de valorisation de la profession afin non seulement qu'elle attire mais qu'elle fidélise des élèves), les intervenants ont ainsi évoqué plusieurs chantiers : l'amélioration des formations pratique (notamment en renforçant l'accès aux stages de terrain), l'amélioration des contenus de formation ou encore l'entrée en jeu des gouvernements des pays respectifs pour réfléchir à des politiques qui visent à retenir les futurs professionnels. Au Gabon, au Sénégal, en République démocratique du Congo, au Liban, on voit bon nombre d'étudiants suivre un cursus infirmier avec l'objectif d'aller s'installer dans les pays développés, au Québec notamment, ont ainsi souligné de nombreux intervenants. Il faut dire que «les salaires sont incomparables», a souligné Cynthia Tigalekou, infirmière, responsable de la section Soins infirmiers à l'Institut national de formation d’action sanitaire et sociale du Gabon et membre du Conseil consultatif sur la formation infirmière du SIDIIEF.
Les infirmiers attendent trop souvent une revalorisation de l'extérieur
Impliquer les infirmiers dans la gouvernance
«Il faut travailler à trois niveaux», a martelé Rima Sassine Kazan, doyen de la faculté des sciences infirmières de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et présidente de l'Ordre des infirmier/es du Liban. «Il faut d'abord que le ministère de la santé considère la formation infirmière comme une nécessité». (Les infirmiers n'ont pas seulement fait montre de leur utilité durant l'épidémie de Covid). Notamment en revalorisant la profession, les salaires et en ouvrant des bourses aux étudiants pour améliorer l'accès à la formation. Par ailleurs, il faut s'attaquer à l'amélioration des conditions de travail sur le terrain, sans quoi la pénurie de professionnels perdurera, et notamment en leur donnant accès à l'Assurance Maladie, à la sécurité, à des salaires décents... Enfin, il faut impliquer les infirmiers dans la gouvernance, leur assurer du leadership et leur offrir des formations solides. «Les infirmiers attendent trop souvent une revalorisation de l'extérieur», a rebondi Gabin Maka, infirmier diplômé d’État, président, Association nationale des infirmières et infirmiers de Côte d’Ivoire. Ils doivent cesser d'attendre et devenir des militants, a-t-il dit en substance, pour défendre leurs droits et leurs intérêts (en rejoignant par exemple un syndicat, une association nationale, un Ordre), qu'ils construisent pour cela des réseaux sur lesquels s'appuyer. Pour Odette Mwamba-Banza, infirmière, députée nationale, ancienne directrice des soins à la Clinique Ngaliema de la République démocratique du Congo, la politique doit jouer un très grand rôle dans le maintien des ressources dans les pays africains. En commençant par créer un Ordre infirmier dans certains pays qui en sont dépourvus, comme le Maroc, pour porter la voix des infirmiers. Le Maroc espère que celui-ci soit créé d'ici un an. Pour l'heure, de nombreuses associations militent pour la profession.
J'ai toujours été choquée que l'infirmier qui a fait ses études en Afrique ne puisse pas exercer dans un pays développé
«J'ai toujours été choquée que l'infirmier qui a fait ses études en Afrique ne puisse pas exercer dans un pays développé», a souligné une infirmière anesthésiste gabonaise, soulevant par là la difficulté de mobilité des étudiants des pays émergents pour la poursuite de leurs études. Moi j'aimerais par exemple aller poursuivre mes études à l'étranger (au Gabon, le master en sciences infirmières commence seulement à être mis en place) mais quand on regarde les coûts des études, on comprend la difficulté. Tous les états devraient être solidaires de notre profession a-t-elle lancé», évoquant un message en forme de SOS. «On aimerait que nos formations soient acceptées dans les pays développés. Aujourd'hui, si je dois aller m'installer en France pour poursuivre mes études, pour un an, deux ans, je n'aurai pas la latitude de travailler comme infirmière anesthésiste».
La force du savoir infirmier pour l'innovation
Les infirmiers et leur savoir ont un rôle à jouer dans le développement de l'innovation qui doivent se questionner sur les pratiques, mener les recherches et publier les résultats. «Nous devons développer notre recherche clinique pour amener de l'innovation», a souligné Odette Mwamba-Banza (RDC). «Une expérience extraordinaire que je ne cesse de partager, concerne la prévention des escarres. Ça a été un travail purement infirmier : nous avons mené une analyse approfondie au niveau de l'hôpital où nous avons trouvé un niveau très élevé d'escarres, mais grâce à l'apport de l'observation et du savoir infirmiers, nous avons mis en place ce que l'on a appelé "l'horloge anti-escarres" : nous sommes passés d'un taux de 14% d'escarres à 4,6%. C'est cette indépendance, cette autonomie des infirmiers au sein de l'hôpital qui nous a permis d'amener cette innovation». Un exemple qui vise une fois de plus à rappeler l'importance d'investir le terrain de la prévention et du soin, en valorisant le champ de compétences infirmières.
* Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone
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