La grille d’évaluation du risque suicidaire (GERIS) est le fruit d’un travail de recherche d'infirmiers en santé mentale de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas (CIUSSS) de Montréal. Essentiellement destinée aux professionnels chargés d’évaluer le risque suicidaire, dont font partie les infirmiers, elle doit les aider à poser leur jugement clinique en fonction d’un certain nombre de critères après entretien avec le patient. Elle s’accompagne d’un guide détaillant son contexte d'utilisation. Avec un objectif essentiel : que l’outil ainsi composé soit accessible à l’ensemble des professionnels susceptibles d’être en contact avec des patients présentant des risques suicidaires. Partant de son expérience de terrain, l’équipe de recherche a « su s’adapter, innover pour offrir des services adaptés aux besoins des usagers et des soignants », présente Nathalye Pineda, infirmière clinicienne et spécialiste en activité clinique à la Direction des programmes de santé mentale et dépendances de l’Institut Douglas.
Un projet au leadership très infirmier
Le travail de recherche a été impulsé par des infirmiers et mené en grande partie par l’association québécoise des infirmiers en santé mentale (AQIISM), explique Marc Boutin, adjoint au directeur à la direction des programmes santé mentale et dépendances du même Institut. « C’est avant tout une démarche très infirmière, avec un noyau de 4 ou 5 infirmiers expérimentés en matière d’intervention en psychiatrie. Ils se sont interrogés sur ce qui leur faisait défaut, dans leur rôle, dans leur capacité, pour être habilités à évaluer le risque suicidaire et le mettre en lien avec d’autres aspects de la santé mentale. » Pour constituer le GERIS, l’équipe de recherche s’est notamment appuyée sur la Grille d’estimation de la dangerosité d’un passage à l’acte suicidaire (GEDPAS, voir encadré), outil préexistant de prévention du suicide. Et en particulier sur ses lacunes. Car explique Marc Boutin, celle-ci a plutôt été pensée par le monde associatif. Elle n’est donc que peu adaptée aux pratiques des établissements en santé mentale. « On a notamment constaté que, si les facteurs de risque étaient très présents, il manquait des éléments sur les facteurs de protection » face au risque suicidaire, donne-t-il en exemple.
L’équipe a alors travaillé avec les différents Ordres professionnels de santé québécois afin de s’assurer de la conformité des items de la grille avec les règles et les attendus de chacun. « On ne voulait pas d’une situation où un Ordre dénoncerait un élément parce qu’il ne serait pas conforme avec ses règles en vigueur ». Des experts (en crise suicidaire, par exemple) ont également été consultés. Enfin, l’équipe de recherche a fait appel au Groupe McGill pour constituer son guide et lui donner un fondement théorique, scientifique, solide. Groupe d’études de référence sur le suicide, il dispose en effet d’une large base de données populationnelles sur les pratiques en prévention du suicide.
Une grille infirmière et un guide pluridisciplinaire
Au Québec, l’évaluation du risque suicidaire fait obligatoirement partie des missions des infirmiers. Aussi la grille constitue-t-elle pour ces professionnels « un outil très utile » lors de leur entretien avec les patients. Le guide, lui, est plus destiné aux autres professionnels qui ne sont pas soumis à cette obligation.
L’outil ne remplace pas notre jugement professionnel.
Dans la pratique, la grille « permet de poser le jugement clinique, de comprendre la sémiologie suicidaire et les facteurs de risque des personnes suicidaires », déroule Nathalye Pineda. La grille présente ainsi un certain nombre de paramètres et de facteurs de risque et de protection (cliniques, psychologiques, sociologiques, biologiques) auxquels sont associés des niveaux de dangerosité, que l’infirmier renseigne après son intervention auprès du patient. « En évaluant chaque paramètre et les facteurs additionnels, tels que diagnostics », appartenance ou non à une population vulnérable, « tentatives de suicides antérieures…on arrive à une cotation globale », d’évaluation du risque suicidaire, poursuit-elle. Pour chaque item, il est possible de cocher deux niveaux de risque, l’évaluation devant être « actuelle » en fonction de l’état du patient au moment de l’entretien. S’il y a incertitude sur le niveau, il est recommandé d’octroyer la note la plus élevée pour bénéficier d’une marge de précaution supplémentaire. « L’outil ne remplace pas notre jugement professionnel », prévient toutefois Nathalye Pineda. En cas de doute, « on peut solliciter un collègue ou le centre de prévention du suicide de Montréal pour un deuxième avis. »
Le guide, lui, se veut un outil « simple » qui cadre l’utilisation de la grille et se destine plutôt aux professionnels de santé qui ne sont pas spécialisés en santé mentale et, plus largement, à tout personnel susceptible d’être en contact d’usagers présentant des risques suicidaires. Autre avantage : il « permet d’avoir un langage commun à travers les différents secteurs d’activité, quand on transfère un patient d’un hôpital à un autre », continue-t-elle. « Dès qu’on travaille en prévention du suicide, on se questionne sur la manière de créer la relation entre le patient et le professionnel, de mettre en place un filet de sécurité, de susciter la motivation du patient pour qu’il suive son traitement », ajoute Marc Boutin. « Donc le guide a pris une tournure plus élaborée autour de l’intervention en matière de prévention. » In fine, il doit également faciliter l’activité des professionnels dans l’accompagnement, voire l’orientation, des patients présentant des risques suicidaires.
Conçue par le Centre de réadaptation en dépendance de Montréal en association avec Suicide Action Montréal, la Grille d’estimation de la dangerosité d’un passage à l’acte suicidaire se décline en 7 critères : planification du suicide, tentative de suicide, capacité à espérer un changement, usage de substances, capacité à se contrôler, présence de proches, et capacité à prendre soin de soi. Pour chaque critère, le professionnel donne une cotation entre 4 niveaux représentés par des couleurs (vert, jaune, orange et rouge, le rouge indiquant un besoin immédiat d’intervention). L’outil est reconnu sur l’ensemble du territoire québécois, de même que le GERIS, les deux circulant au sein des établissements de santé.
Un soutien précieux à la formation
Outre la grille et le guide, travaillés en simultanée, une troisième composante du dispositif est venue s’ajouter : la formation à la prévention du suicide, qui s’appuie sur la grille. Pensée notamment par l'AQIISM, sa construction s’est appuyée « sur toutes les composantes du guide : intervention, utilisation de la grille, lecture des signes, bonne connaissance des facteurs de risque et de protection », indique Marc Boutin. Trois formations, à visées différentes, ont ensuite été élaborées : une axée sur le dépistage du risque suicidaire, à destination des professionnels qui ne sont pas soumis à l’obligation d’évaluer le niveau de risque des patients ; une axée sur l’évaluation du risque ; et la dernière, plus poussée, pour les professionnels amenés à prendre en charge les patients présentant des risques suicidaires et à mettre place les filets de sécurité. « Beaucoup d’intervenants du secteur de la santé mentale se trouvent dans cette situation. On voulait donc vraiment que la formation convienne à ces différents professionnels », commente-t-il. La formation, confirme de son côté Nathalye Pineda, s’adapte en fonction des publics. « Nous avons une formation à destination des professionnels qui travaillent auprès des patients en déficience intellectuelle et/ou présentant un trouble du spectre de l’autisme », donne-t-elle en exemple.
Aucune échelle ou grille ne permet de prédire cliniquement de façon certaine le risque suicidaire.
Un dispositif qui reste à évaluer
Quid de la réception de l’outil ? « Les professionnels semblent l’apprécier parce que ça permet d'avoir un même langage entre eux et d’avoir un outil pour évaluer le risque suicidaire », affirme l’infirmière clinicienne. Néanmoins, les données scientifiques manquent encore pour mesurer l’utilisation de la grille et les retombées de son utilisation. Un projet de recherche vient d’ailleurs d’être lancé par l’Institut en ce sens. « Mais on peut quand même dresser quelques constats : c’est très axé psychiatrie », relève Marc Boutin. « C’est comme si on partait du principe que l’usager était déjà en détresse psychologique et qu’il présentait des risques suicidaires qu’on viendrait reconnaitre. »
Se pose donc la question de faire évoluer, si ce n’est la grille, du moins la formation pour l’axer vers plus de dépistage des signes de détresse psychologique dans une logique de prévention de l’apparition des risques suicidaires. Une réflexion qui se pose effectivement moins dans les services de psychiatrie, où « les usagers présentent déjà des états de détresse avancés ». Et si, en l’état actuel, la grille et son guide permettent effectivement d’aider les professionnels dans la prévention du suicide, « aucune échelle ou grille ne permet de prédire cliniquement de façon certaine le risque suicidaire », prévient Nathalye Pineda. « Le GERIS est une aide pour poser notre jugement clinique. »
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