Stéphanie Thurillet, vous êtes infirmière puéricultrice, qu’est-ce qui vous a conduite à vous tourner plus spécifiquement vers la recherche ?
Depuis l’ouverture de l’hôpital mère enfant de Limoges, les urgences pédiatriques sont souvent sollicitées comme terrain d’étude pour des recherches. En 2011, mon collègue puériculteur, Charles Lamy était porteur d’un projet de recherche paramédicale (PHRIP) et j’ai participé activement aux inclusions qui ont eu lieu dans le service. Je me suis intéressée de près aussi à la partie plus théorique et notamment la rédaction d’un protocole de recherche. Je me suis rendue compte que cela stimulait ma curiosité intellectuelle et offrait une approche complémentaire à ma pratique professionnelle.
Vous venez de recevoir le prix de « La meilleure publication » pour la création de la première échelle d’évaluation de la peur chez l’enfant. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
C’est une évidence qui s’est imposée à moi ! Dès mes études d’infirmière en 2002-2005 et de puéricultrice en 2006, je me suis intéressée à la place du jeu comme médiateur de soins, support d’information pour dédramatiser le soin, le passage à l’hôpital. Donc indirectement, je m’intéressais déjà au sujet de la peur des soins. A l’occasion de stages dans plusieurs services de pédiatrie, j’avais entendu parler de l’existence de ce support : le Trouillomètre®.
Quand j’ai commencé ma carrière aux urgences pédiatriques en 2007, j’ai eu la chance de travailler avec Sylvie Bougnard, auxiliaire de puériculture, à l’origine de cette idée. A son départ à la retraite fin 2012, connaissant mon intérêt pour la peur des soins chez l’enfant, elle m’a confié son beau projet qui fût un magnifique cadeau.
Comment est née cette idée de recherche ?
Ce projet est né en 2001 quand Sylvie s’est rendue compte de ses difficultés à distinguer si les enfants ont peur et/ou ont mal. Elle a dessiné une réglette recto/verso comprenant sur chaque face, 4 visages avec une expression d’intensité graduelle illustrant d’un côté la peur et de l’autre côté la douleur. Elle en a fait une utilisation personnelle jusqu’en 2003. La cadre supérieure de santé de pédiatrie, Madame Boutang Trébier, a tout de suite été convaincue de l’utilité de cet outil et lui a proposé de participer à un concours « Théraplix ». Elle a été accompagnée pour cela du Dr Véronique Messager qui a nommé cet outil « le Trouillomètre® ». Ce nom si caractéristique est à présent connu du plus grand nombre !
Comment avez-vous réussi à mener à bien ce projet ?
Je me suis lancée dans l’aventure en 2013, soutenue par le Dr Pascale Beloni, cadre supérieure de santé en mission transversale pour l’accompagnement des projets de recherche infirmière et paramédicale. Fin 2013, j’ai suivi la formation institutionnelle « rédaction d’un protocole de recherche » qui m’a permis d’acquérir une base de connaissances, d’ordonner mes idées et de voir vers quel chemin allait ce projet. Puis le travail soutenu avec les membres de la Direction de la Recherche et de l’Innovation m’a permis de rédiger le protocole de recherche pour qu’il soit le plus rigoureux possible dans son application pratique. Mais en réalité, c’est pour la plus grande partie en autodidacte que j’ai appris le développement d’un projet de recherche. En découvrant chaque étape : lecture critique d’articles scientifiques (en français et en anglais), validation psychométrique d’une échelle, rédaction d’un protocole de recherche, mise en place d’une étude scientifique hors milieu hospitalier (écoles), analyse des données statistiques, rédaction d’un article scientifique. Je crois que c’est ma volonté d’apprendre et de porter ce projet au plus haut qui a été un moteur essentiel à la réussite de ce projet.
Vous voyez aujourd’hui près de 9 ans de travaux couronnés par ce prix. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Une reconnaissance de mes efforts et de mon investissement car ce sont de nombreuses heures de travail prises sur mon temps personnel. Mais c’est surtout et avant tout, la reconnaissance et la valorisation d’une idée au départ, et maintenant d’un outil, qui s’avère utile et qui répond à de réels besoins dans notre pratique de soins. Et j’en ressens bien sûr une grande fierté.
Envisagez-vous une suite à vos travaux ?
Oui bien sûr ! Ce qui me tient maintenant à cœur ce serait la validation du Trouillomètre® pour les enfants en situation de handicap sensoriel et notamment visuel mais également pour les enfants atteints de troubles de la sphère autistique. J’aimerais vraiment que cet outil soit accessible à tous. Le sujet de la peur ne demande qu’à être exploitée ! J’ai quelques petites idées de recherche en lien avec ma pratique aux urgences pédiatriques mais rien de réellement concret pour le moment. Je rêve aussi du jour où des soignants s’empareront du Trouillomètre® pour s’intéresser à la peur des soins de l’adulte.
Quel regard portez-vous plus globalement sur l’état de la recherche en sciences infirmières ?
Depuis mes débuts dans la recherche en Sciences Infirmières en 2013, j’ai le sentiment qu’elle a beaucoup évolué tout comme le métier d’infirmier d’ailleurs (notamment avec les cursus universitaires master, doctorat ou encore les IPA).
Les infirmières et infirmiers, au-delà de leurs compétences techniques, se sont toujours interrogés sur le bien fondé de leurs actes dans leur pratique courante de façon à prodiguer les meilleurs soins à leurs patients. A présent, ils peuvent partager leurs interrogations, leurs savoirs, les résultats de leurs études avec la communauté scientifique internationale. Notre métier est en réelle évolution et j’ose imaginer qu’un jour la relation encore parfois hiérarchique avec le médecin continuera d’évoluer vers une relation de partenariat centrée autour du même objectif : l’amélioration de la prise en soins de nos patients.
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