Vous êtes la lauréate du prix du chercheur confirmé de la recherche en sciences infirmières 2022 : comment avez-vous accueilli cette distinction ?
Ce n’était pas gagné d’avance, d’autant plus que les autres candidatures étaient intéressantes. C’est une bonne chose, car cela démontre qu’il existe plein de projets de recherche en France Et j’en suis donc ravie, pour moi et pour mon équipe. Car j’ai certes obtenu ce prix mais, finalement, il y a le travail de toute une équipe derrière.
Vous insistez sur le travail d’équipe. Quelle est sa plus-value dans un projet de recherche infirmière ?
Je pense qu’il faut arrêter de parler systématiquement de "recherche infirmière", car celle-ci est finalement comme toutes les autres recherches.
Une recherche, quelle qu’elle soit, est un travail de fond. C’est toujours un travail de groupe. C’est d’ailleurs pour cette raison que les publications scientifiques sont toujours co-signées par plusieurs auteurs : le sujet a été travaillé par toute une équipe. Quand on se penche sur une question de recherche, c’est toujours bien de le faire avec des personnes différentes et complémentaires, car on évite de s’enferrer dans un point de vue. Alors que la recherche représente tout l’inverse : il s’agit d’observer un sujet sous plusieurs angles différents, de manière à réussir à y répondre. Si une équipe est complètement homogène, elle peut s’appuyer sur la littérature pour élargir sa pensée et ne pas prendre une direction erronée. Mais si elle se compose de profils différents, d’âges différents, de formes de pensées différentes, alors elle devient beaucoup plus efficace pour aborder son sujet de recherche. De plus, une recherche représente un travail de longue haleine ; on est donc mieux quand on est plusieurs.
Les travaux pour lesquels j’ai été récompensée ont été impulsés par de vraies questions de soins.
En 1997, vous intégrez la première unité mobile de soins palliatifs de l’Institut Curie, où vous vous spécialisez dans le traitement des plaies et des escarres et en faites le cœur de votre recherche. Sur quoi vos travaux portent-ils ?
Dans mes recherches, je me suis concentrée sur les soins de plaies complexes, et j’ai beaucoup travaillé sur deux choses : l’infection et les mauvaises odeurs liées aux plaies. De mes travaux initiaux sur les plaies malodorantes est né un autre volet, cette fois autour de la détection du cancer par les odeurs : est-il possible de détecter précocement le cancer du sein de cette manière, que ce soit grâce à la chimie analytique ou en recourant à des chiens ? Je travaille également sur le sujet âgé, car je suis affiliée à un laboratoire de recherche spécialisé dans l’onco-gériatrie.
Concrètement, comment imbriquez-vous votre pratique infirmière avec le cœur de vos travaux de recherche?
Mes sujets de recherche sont complètement mêlés à ma pratique infirmière. Je n’ai pas de temps dédiés à la recherche et d’autres, aux soins. Une recherche n’a rien de linéaire. On ne peut pas dire que l’on va y consacrer par exemple 3 jours par semaines pendant 6 mois, car certaines étapes comme l’inclusion ou l’exclusion de données prennent plus de temps que d’autres. Quoi qu’il en soit, quand il s’agit d’organisation, le patient demeure toujours prioritaire. Même si j’ai une journée très chargée en recherche, si des patients ont vraiment besoin d’être vus, ils prévalent toujours. Il est certain qu’on dépasse les 35 heures par semaine ! Mais c’est aussi là que réside l’intérêt de travailler en équipe : quand j’ai beaucoup de choses à faire, elle peut prendre en charge les patients.
Comment en êtes-vous venue à la recherche ?
Par le soin. Autant je pense que la structure d’une recherche est identique, qu’elle soit faite par une infirmière, un médecin ou un podologue, autant je pense que l’originalité des travaux pour lesquels j’ai été récompensée provient justement du fait qu’ils ont été impulsés par de vraies questions de soins. Et non pas parce que je voulais être chercheuse. Quand on se retrouve face à une situation de soin difficile, soit on essaie de faire du mieux possible avec ce qui existe déjà, avec des résultats plus ou moins bons, soit on s’empare du sujet pour tenter de trouver de meilleures solutions.
J’ai une certaine particularité : j’ai un parcours très autodidacte. Je lis beaucoup et j’ai obtenu beaucoup de renseignements par compagnonnage avec de grands scientifiques. J’ai notamment validé un Master recherche en sciences du vivant dans le cadre d’une validation des acquis de l’expérience (VAE) face à un jury composé de biochimistes. J’ai également écrit une thèse, et ma directrice de thèse était physicienne et chimiste. J’ai beaucoup appris grâce à eux, mais aussi en lisant beaucoup de publications scientifiques, notamment en chimie et microbiologie.
Quels sont, selon vous, les obstacles auxquels est encore confrontée la recherche infirmière ?
Depuis que le programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP)* a été mis en place, je trouve que la recherche infirmière se développe beaucoup. Mais il faut encore que les choses se structurent. Il faut que l’on ait une meilleure visibilité sur la manière de monter un projet de recherche, de le conduire, dans toute sa diversité. Il faut pouvoir s’appuyer sur l’ensemble des sciences et des scientifiques, chercheurs, médecins, qui veulent bien accompagner les infirmiers afin de diversifier et donner un véritable élan à cette recherche.
Je pense que beaucoup d’infirmiers sont rebutés par la recherche en raison des questions de méthode. Or, quand on a fait un projet de recherche, il faut se faire aider par un méthodologiste. Ce qui est important, c’est d’avoir une bonne idée, qui soit utile aux patients ou à la communauté ; d’imaginer de nouvelles fonctions, d’oser partager ces bonnes idées et d’aller chercher les ressources qui vont aider à monter le projet. Il faut également vérifier si quelqu’un a eu une idée de recherche identique et, pour cela, lire la littérature scientifique et se nourrir des expériences des autres. Enfin, il faut que les infirmiers apprennent à présenter des appels à projet et à parler d’argent, parce que toute recherche doit être financée,. Nous faisons encore preuve d’une trop grande timidité, nous n’osons pas lever la tête et dire que, nous aussi, nous pouvons avoir de bonnes idées, que nous pouvons solliciter des personnes pour nous accompagner et les moyens pour financer nos projets. Pour moi, le principal obstacle pour l’instant, il est là.
Le parcours d’Isabelle Fromantin Isabelle Fromantin se consacre dès 2000 à la prise en charge des plaies tumorales et des escarres, lorsqu’elle ouvre une consultation infirmière dédiée à l’Institut Curie, où elle travaille depuis 1997 en unité mobile de soins palliatifs. La recherche s’impose alors à elle comme un outil pour améliorer ses pratiques de soins. Afin d’agir plus efficacement contre les plaies malodorantes, elle collabore avec des chercheurs et s’initie à la microbiologie et à la chimie analytique. Aujourd’hui, elle anime une équipe pluriprofessionnelle, qui mène de front activités cliniques, de recherche et d’enseignement, spécialisée dans le traitement des plaies. Les travaux de recherches sont menés en interdisciplinarité avec des paramédicaux, des cliniciens de différentes spécialités, et des laboratoires. L’équipe a notamment déposé au cours des 5 dernières années deux brevets, sur les pansements absorbants anti-odeurs et sur les cônes d’olfaction. L’équipe accueille également toute l’année des étudiants et des infirmiers afin de transmettre l’intérêt de la recherche et des sciences. Quelques distinctions : • Chevalière dans l'ordre national du Mérite en 2009 • Chevalière de la Légion d'honneur en 2015 • Prix Ruban Rose 2017 |
Retrouvez :
- Le palmarès 2022 du Prix de la Recherche en Sciences infirmières
- L'interview vidéo d'Isabelle Fromantin
- L'interview de Chantal Eymard, lauréate du prix d'honneur
*Programme mis en place par le gouvernement qui a pour objectif de soutenir la recherche sur les soins réalisés par les auxiliaires médicaux dans une volonté d’améliorer leurs pratiques et la qualité des soins délivrés aux patients.
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