Nouvelle profession, l’infirmier en pratique avancée (IPA) souffre encore d’une relative méconnaissance de son rôle et de ses missions. Conséquence : la difficulté de trouver un modèle économique, en établissement et en ville, qui soit à la fois viable, pérenne et en adéquation avec le niveau de responsabilité et d’études de ces professionnels. Quels modèles imaginer pour les rémunérer ? Quels sont les freins identifiés ? Autant de questions abordées lors de la Conférence de concertation organisée par l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (UNIPA)*.
Dans les structures, des modèles peu attractifs
Je travaille plus, mais je gagne moins.
Cette déclaration de Hélène Kerdiles, vice-présidente formation de l’UNIPA, illustre une des problématiques les plus prégnantes de l’exercice en pratique avancée : les professionnels ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs responsabilités, aussi bien en libéral que dans les structures. Au sein de la fonction publique hospitalière, si une grille spécifique a bien été définie pour eux, la différence de salaire est en moyenne de 49 euros
supplémentaires par rapport à la grille des infirmiers en soins généraux, déplore Tatiana Henriot, la présidente de l’UNIPA. Soit une augmentation bien loin de valoriser l’ensemble des compétences des IPA, auxquels on demande d’être experts dans tous les domaines de santé
ou d’intervenir dans toutes les organisations de soin qui peuvent exister
, et ce sans compter le fait que la nouvelle bonification indiciaire (NBI), bien que promise, ne leur est toujours pas attribuée. Au premier échelon, un IPA gagne ainsi 2 085 euros, un montant qui atteint, en fin de carrière, 3 097 euros au dernier échelon.
La situation au sein des centres de santé et de la fonction publique territoriale, où les IPA ne disposent pas de statut qui leur est propre, n’est guère plus enviable. Le salariat actuel ne permet pas à ces infirmiers d’avoir une rémunération à leur juste valeur
, remarque Frédéric Villebrun, le président de l’Union syndicale des médecins de centre de santé, qui regrette que la plupart des IPA formés en centre de santé soient embauchés par Asalée ou par les hôpitaux.
Et dans les structures privées existe un vrai besoin de clarification sur nos rémunérations
, s’agace Hélène Kerdiles. Actuellement, nous sommes invisibles, avec des grilles salariales qui ne correspondent à rien.
En cause, entre autres, l’absence d’un modèle clair de rémunération pour ces nouveaux professionnels qui intègrent les équipes de soin mais dont le rôle et les missions sont encore bien flous.
Parallèlement, se pose également la question de l’accompagnement à la formation, pas assez renforcé, souligne Clara Bouteleux, vice-présidente communication de l’UNIPA, qui relate avoir dû [se] mettre au chômage pour pouvoir suivre la formation parce que [son] établissement ne la finançait pas.
Conséquence de ces différentes problématiques, 4 ans après sa création, la formation d’IPA connaît déjà une perte d’attractivité .
Urgence dans le public
Le sujet de la valorisation financière
est donc essentiel
pour consolider l’exercice en pratique avancée, concède Brigitte Feuillebois, conseillère pour les professions non-médicales au ministère de la Santé. Si une attention particulière a récemment été portée à la partie libérale, modèle d’exercice pour lequel la tarification à l’acte paraissait inadapté car ne prenant pas en compte l’ensemble des spécificités des missions des IPA, notamment en matière de prévention, de durée d’entretien avec les patients (45 minutes à 1 heure), il s’agit aussi de se pencher sur les systèmes de rémunérations en structures. Toutes les activités des IPA sont à valoriser
dans les établissements, remarque-t-elle, promettant qu’une mesure en ce sens est portée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2023 (PLFSS 2023
, actuellement en examen . Et pour la fonction publique hospitalière, l’UNIPA défend le recours à l’article 14 du décret du 12 mars 2020. Celui-ci permet en effet aux IPA de comptabiliser leur ancienneté acquise dans leur précédent grade de catégorie 1 comme ancienneté dans le grade d’auxiliaire médical en pratique avancé. Les IPA pourraient être intégrés grâce à cet article 14
, juge Tatiana Henriot, l’UNIPA encourageant par ailleurs les agents à faire valoir ce droit.
Le CH Georges Mazurelle (Vendée) a choisi de
miser sur les IPA en psychiatrie, témoigne son directeur Pascal Forcioli. Depuis 2019, il envoie ainsi en formation plusieurs infirmiers chaque année. Formation, déplacements, logements… les dépenses du professionnel sont prises en charge, en plus du maintien de son salaire, pour un total de 80 000 euros par personne.
Nous en avons formé 8 qui sont en fonction ; 3 sont actuellement en formation, et 4 vont y entrer l’année prochaine. Soit un effort financier de 1,7 million d’euros, détaille-t-il. L’établissement assume seul cette dépense, sans aide de l’Agence régionale de santé (ARS).
Nous avons cru à cette fonction, qu’on intègre dans notre projet social et dans le projet médico-soignant, et qui peut renforcer l’attractivité des métiers en santé mentale et psychiatrie.
L’avenant 9, une solution pour le libéral
C’est surtout du côté du libéral que s’est posée la question d’un modèle qui puisse être à la fois viable et pérenne. Celui en place jusque fin juillet 2022, jugé peu voire pas attractif, ne répondait pas aux spécificités de l’exercice. En cause lors des négociations : Nous partions de 0, sans IPA en exercice. Il fallait inventer quelque chose à partir d’une idée fixée dans la loi de 2016
, rappelle Michaël Benzaqui, responsable du département des actes médicaux au sein de la CNAM. Un modèle tourné vers les structures, qui n’échappait pas à un schéma médico-centré
, ajoute Daniel Guillerm, le président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Fin juillet 2022 a néanmoins été signé l’avenant 9 à la convention nationale . Signé entre l’Assurance maladie et les trois syndicats représentants les professionnels libéraux (FNI, SNIIL, Convergence Infirmière), seuls habilités à négocier, et en concertation étroite avec l’UNIPA, cet avenant se devait de répondre à un enjeu de taille, mais délicat : construire un modèle pérenne qui permette de mieux rémunérer l’activité en ville alors que celui-ci n’est pratiqué que… par une petite centaine d’IPA.
L’exercice libéral doit être attractif mais aussi demeurer cohérent.
Il était d’important que le modèle à construire soit rationnel : l’exercice libéral doit être attractif mais aussi demeurer cohérent
, insiste Michaël Benzaqui. On ne pouvait pas tripler les forfaits. L’un des objectifs consiste aussi, pour les professionnels, à prendre plus de patients. Quand on n’en suit qu’une centaine par an, ce n’est pas suffisant.
A donc été choisi un modèle forfaitaire présentant deux possibilités : le suivi régulier des patients atteints de maladie chronique, et la prise en charge ponctuelle de nouveaux patients, pour des bilans d’une heure ou des séances plus courtes
. Les dispositions de l’avenant seront mises en œuvre début 2023, avec une évaluation prévue afin de déterminer la pertinence de ce nouveau modèle. Nous avons négocié un modèle dont on espère que l’application permettra le développement de la pratique avancée en ville
, conclut Daniel Guillerm.
Pour intégrer les IPA dans son système de soin, la fondation Charles Mion - AIDER Santé, spécialisée dans le dépistage, la prise en charge et l’accompagnement des maladies rénales, a dû inventer un modèle économique spécifique.
Nous avons profité du forfait parcours prévention, qui permet de rémunérer les équipes, car nous étions dans le cadre de pathologies chroniques, relate Anne-Valérie Boulet, sa vice-présidente.
À la différence du public et du privé non lucratif, nous ne pouvons pas facturer les actes de prévention. Nous nous sommes donc écartés de la convention collective pour inventer quelque chose d’autre.Trois IPA ont ainsi été formés, qui ne sont pas uniquement sollicités dans la prise en charge des patients.
Nous les sollicitons beaucoup pour la formation des équipes. La crise sanitaire a révélé un besoin d’accomplissement chez celles-ci, et les IPA sont de très bons moteurs pour cela, note-t-elle, percevant la pratique avancée comme une opportunité pour les infirmiers d’avancer dans leur carrière.
Les patients reviennent aussi beaucoup plus dès qu’une IPA les suit en collaboration avec le néphrologue.
Consultez le reste de notre dossier sur la Concertation IPA :
- Les infirmiers en pratique avancée en attente d’une meilleure définition de leur mission
*Organisée le 20 septembre 2022 à Paris
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