L’actuelle incapacité à définir, précisément, le champ d’intervention des infirmiers en pratique avancée (IPA) a un autre corollaire que les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre des modèles de rémunération adéquats : celle de construire des modes de collaboration avec les autres professionnels de santé dans lesquels ils pourraient pleinement et efficacement s’inscrire. Un sujet sur lequel les intervenants de la conférence de concertation organisée par l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (UNIPA)* ont esquissé des pistes de réflexion.
Le médecin, « chef d’orchestre » d’une équipe pluriprofessionnelle
Devant la pénurie médicale, il nous faut retrouver du temps médical
. Cette déclaration de François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), résume à elle seule l’une des problématiques auxquelles la création de l’IPA est censée répondre : permettre aux médecins, sursollicités, de pouvoir déléguer certaines tâches à d’autres professionnels de santé afin de se recentrer sur des actes qu’eux seuls, au vu de leurs compétences, peuvent accomplir. L’IPA, parce qu’il est formé à la consultation et qu’il a le temps d’échanger avec le patient (les consultations peuvent durer de 45 minutes à 1 heure), représente une solution intermédiaire pour le médecin qui n’a pas le temps d’écouter le patient, voire de l’orienter, ou de s’assurer qu’il a bien compris son traitement
, explique-t-il. Peut ainsi se construire dans le suivi une alternance entre l’IPA et le généraliste en fonction des compétences respectives, qui fluidifierait le parcours des patients mais aussi le travail même des professionnels. Nous avons fait l’expérience des infirmiers Asalée, avec lesquels nous avons appris à déléguer une partie de nos activités, à travailler en alternance, pour mieux prendre en charge les patients, et ce avec des missions ciblées, comme l’éducation thérapeutique (ETP)
, explique Jacques Battistoni, ancien président du syndicat MG France, qui appelle notamment à développer un modèle de prise en charge à domicile alternée à l’aide du télésoin.
Mais l’intégration de cette nouvelle profession dans le système de soin ne passe pas uniquement par une collaboration étroite avec le seul médecin traitant. Pour la plupart des acteurs présents à la concertation, l’IPA, en particulier dans les soins primaires où le renforcement de sa présence est vivement réclamé, doit s’inscrire dans une équipe plus large qui comprend tous les professionnels évoluant autour d’un patient : pharmacien, kinésithérapeute, biologiste médical, mais aussi assistant médical… Le médecin y occuperait alors une position de "chef d’orchestre". Un des gages de la qualité des soins, c’est le travail en commun, avec un rôle de chef d’orchestre qui doit être assumé par le médecin traitant
, défend notamment Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Oui, répond Jacques Battistoni, mais à condition que soient donnés à ce professionnel les moyens (financiers, organisationnels…) de remplir ce rôle.
À partir du moment où les IPA ont les compétences pour réaliser des actes, on ne les leur délègue pas, on les leur transfère.
De la nécessité d’un partage équitable des responsabilités
L’autonomie de l’IPA et son champ de compétences ne vont pas sans susciter quelques inquiétudes chez les autres professionnels de santé. À commencer par une résistance, chez certains médecins, à confier une partie de leurs missions à cette nouvelle profession. Quand vous dites "accès direct" ou "primo-prescription" à un généraliste, celui-ci peut entendre "concurrence"
, prévient-il ainsi. Se pose également l’épineuse question de la délégation de tâches. Épineuse, car, mal encadrée, celle-ci peut donner lieu à des glissements de tâches déguisés
du médecin vers l’IPA, relève Béatrice Jamault, présidente du comité d'harmonisation des centres de formation de manipulateurs et coordonnatrice générale des instituts CHU Amiens Picardie. Épineuse également car elle induirait une dilution de la responsabilité entre les différents professionnels de santé. La délégation suppose une hyper-segmentation de la responsabilité. Cela signifie : "Ce n’est pas moi qui réalise un acte mais je suis responsable de ce que fait l’autre." C’est de la folie furieuse
, s’émeut Gaëtan Casanova, ancien président de l'Inter-syndicale nationale des internes (ISNI). À partir du moment où les IPA ont les compétences pour réaliser des actes, on ne les leur délègue pas, on les leur transfère, afin que les médecins puissent se concentrer sur ceux pour lesquels il n’y a pas de compétences parallèles.
La confiance, facteur indispensable
Comment, alors, assurer la meilleure collaboration possible entre les IPA et le reste des professions de santé ? Le premier facteur de réussite, c’est bien sûr la poursuite du dialogue et des échanges entre l’ensemble des acteurs, en particulier dès lors qu’il est question de délégation de tâches, mais aussi des négociations conventionnelles. La première des conditions à la réussite de la collaboration entre IPA et médecins, c’est l’intérêt à agir
de ces derniers, note Jacques Battistoni. Si cela ne marche pas actuellement, c’est parce qu’on a négocié séparément pour les infirmiers et les médecins. Demain, nous allons négocier une convention médicale, et il faut qu’on réfléchisse aux moyens d’inciter un médecin généraliste à déléguer une partie de son travail.
Autre impératif : nourrir la confiance entre les différentes professions de santé. Une condition qui passe nécessairement par un décloisonnement, qui doit s’opérer dès la formation initiale. Nous sommes encore extrêmement cloisonnés dans nos études
, relève Gaëtan Casanova. Or, si l’on est silotés pendant les études, le plus probable est qu’on ne fasse ensuite confiance qu’aux collègues de la même profession. Apprendre ensemble, c’est déjà une étape de franchie pour travailler ensemble.
La construction de cette confiance suppose aussi la clarification des rôles et des responsabilités de chacun dans le système de soin et le parcours des patients. Nous avons la responsabilité de partager les informations entre nous, professionnels de santé
, intervient Pascale Mathieu, présidente du conseil national de l'Ordre des kinésithérapeutes.
Un cadre à définir par le législateur
C’est aussi là que doit intervenir le législateur : dans la définition d’un cadre spécifique pour chaque profession, qui puisse permettre à tous d’établir une coopération la plus efficace et la plus qualitative possible. Nous avons besoin d’une évolution législative et d’une évolution de terrain
, martèle Christophe Roman, vice-président de l'Ordre National des Infirmiers (ONI). Il faut que le législateur définisse les frontières et détermine l’espace dévolu à chacun pour qu’on ait un exercice coordonné.
Sur le versant rémunérations, Jacques Battistoni, à titre d’exemple, plaide pour la mise en œuvre de lettres-clés, comme elles existent déjà dans la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), spécifiques à la collaboration entre généralistes et IPA. Nous avons créé des forfaits pour que les IPA puissent travailler avec un médecin généraliste ; mais celui-ci doit avoir des lettres clés pour pouvoir établir avec un infirmier les protocoles de prise en charge des patients à long terme.
Et il est d’autant plus indispensable de traiter ces questions de cadre qu’elles risquent de se poser pour d’autres professions, qui pourraient à l’avenir potentiellement accéder, elles aussi, à la pratique avancée.
*Qui s'est tenue le 20 septembre à Paris.
Consultez le reste de notre dossier sur la Concertation IPA :
- Les infirmiers en pratique avancée en attente d’une meilleure définition de leur mission
- Quels modèles de rémunération adéquats pour les IPA ?
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IPA : comment favoriser la collaboration avec les autres professions de santé ?
Quels modèles de rémunération adéquats pour les IPA ?
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