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IDEL

Infirmiers libéraux et familles : des relations complexes à gérer

Publié le 28/12/2023

Intervenir à domicile, c'est entrer dans une famille et de fait, intégrer son univers complexe de relations. Bien souvent, le bouleversement imposé par la maladie crée une difficulté supplémentaire pour les proches à rester à "la bonne place", s'il en est une. Infirmiers libéraux et familles : retour sur une relation subtile. 

JNIL 2022 conférence sur les IDEL

«IDEL, quels rôles et quelles responsabilités dans la relation avec les familles ?» Dans la salle, les regards sont concentrés. Et pour cause, parmi les infirmiers libéraux qui assistent à cette conférence*, tous ou presque ont matière à raconter. Une infirmière prend la parole. Elle explique comment elle a dû mettre fin à une prise en charge parce que les enfants de sa patiente, soupçonneux, avaient mis en place un système de caméra au domicile pour la «surveiller». Les récits des infirmiers libéraux sont de tous ordres sur ce thème de la famille, des histoires de conflits, des histoires heureuses, mais ce qui est certain, c'est que l'équilibre est toujours fragile. 

Retour sur le contexte

Il n'est pas inutile de rappeler le contexte de l'intervention du professionnel à domicile, souligne Dominique Le Pestipon, formateur auprès des IDEL : «Le bouleversement qu'entraîne la maladie crée en effet une difficulté à rester à la bonne place, alors même que les membres de la famille sont traversés par un sentiment d'impuissance à soulager leur proche. De plus, la relation triangulaire engagée (le patient, le soignant, la famille), est, par essence, déséquilibrée». 

Arriver à faire des familles des partenaires 

«Il est évident qu'on a tous entendu la réflexion dans la bouche des infirmiers libéraux : on a déjà du mal à s'occuper des malades, si en plus on doit s'occuper des familles, on ne va pas pas s'en sortir...», relève Dominique Le Pestipon, qui voit pourtant en «ce postulat» une première erreur : ne pas s'occuper des familles a bien souvent un effet boomerang. «Il est donc important de comprendre certains concepts de façon à voir comment on va pouvoir intégrer les familles dans le prendre soin», assure-t-il. 

 

Prendre en considération la famille par : 

  • La reconnaissance de son statut dans le parcours de vie,
  • Le respect de son lien avec le patient, 
  • La prise en compte de ses craintes / angoisses / solitude par un soutien empathique, 
  • L'écoute de son souhait d'engagement,
  • Ne pas être jugée sur ses croyances,
  • Ne pas faire l'objet de propos culpabilisants ou moralisateurs,
  • Le besoin d'accès à l'information, 
  • Le respect de son rôle en cas d'incapacité du patient à s'exprimer, etc. 

Outre les rôles habituellement dévolus au professionnel soignant, celui-ci entre «dans le rôle d'aidant professionnel qui va en quelque sorte envahir la scène relationnelle en pénétrant dans la sphère de l'intime et de la dignité», décrypte Dominique Le Pestipon. Pour la famille, va se jouer la confrontation au regard de l'autre. «La dynamique familiale se trouve mise à nu devant les soignants. Or, un ressenti de jugement peut générer des réactions de colère, d'agressivité, de culpabilité, de honte, d'impuissance, de gêne...» Pas de notice, mais le professionnel donne tout de même quelques clés. 

Typologie des familles 

«Les rapports du professionnel aux familles sont compliqués. Il existe plusieurs types de familles, catégorisés schématiquement ainsi » : 

  • La famille partenaire (en lien avec les soignants et le patient) : elle ne pose aucun problème et accompagne au mieux patient comme soignants. 
  • La famille submergée (c'est celle qui ne peut assumer les bouleversements engendrés par la maladie). Noyée par ce qu'elle vit, elle voit en le soignant sa bouée de sauvetage. 
  • La famille agressive : elle voit en le soignant la représentation de la maladie et de son mal-être. Il faut donc interpréter cette agressivité comme un appel à l'aide. 
  • La famille absente : être au chevet de son proche malade lui est insupportable, souvent à cause d'histoires passées. Pour le soignant, le défi est donc de renforcer sa présence, sans forcer les choses ni culpabiliser. 
  • La famille sidérée : sous le choc émotionnel de la maladie, elle ne peut réagir. Il ne s'agit pas pour autant d'un déni mais cette famille risque d'avoir des réactions inappropriées. 
  • La famille manipulatrice : manipuler est une manière de tenter de contrôler le cours des choses. Souffrant de son impuissance face à la maladie, cette famille chercher à exister coûte que coûte - et souvent de manière très maladroite (elle se montre exigeante, tatillonne, voire agressive). 
  • La famille fusionnelle : elle montre des liens d'attachement très forts et sa peur de perdre son proche. Il s'agit pour le soignants d'autoriser autant que possible ce lien nécessaire. 

    Ne pas s'occuper des familles a bien souvent un effet boomerang

    Pour se donner toutes les chances d'une relation apaisée, le soignant doit donc faire son possible pour écouter la famille. «En matière de relations humaines, il n'y a pas de notice», sourit le formateur «et encore plus lorsqu'une famille est confrontée à la maladie, à la peur de la mort, à la peur de la perte d'un proche... Le soignant doit garder ces paramètres en tête pour repérer les mécanismes de défense, la colère due au travail de deuil etc et rester curieux, à l'écoute de ce système complexe qu'est la famille ». 

    Rester à l'écoute des ressentis 

    «Face aux ressentis douloureux des familles, divers sentiments peuvent traverser les membres de la famille, auxquels il est possible, en tant que soignant, de répondre au mieux» : 

    • Sentiment de culpabilité : rassurer et valoriser 
    • sentiment de honte : expliquer et dédramatiser 
    • sentiment d'injustice, d'impuissance : faciliter l'aide
    • sentiment de trahison : relativiser et rassurer
    • sentiment d'hostilité : comprendre, calmer et rassurer
    • sentiment de rejet, de répulsion : expliquer et accompagner 
    • sentiment d'abandon : accompagner 

     

    La famille, en position de vulnérabilité, a donc des besoins qu'il s'agit d'identifier pour pouvoir y répondre

    Le droit s'invite de plus en plus dans la relation IDEL / familles / patient 

    Comment respecter les droits du patient pris en charge dans la famille ? «En quelques années, le droit a pris de plus en plus d'importance dans la relation des IDEL avec leurs patients, mais également avec l'entourage», explique Virginie Raby, du cabinet Lavaur, avocate spécialisée auprès des infirmiers libéraux «et notamment depuis 2002 avec la loi Kouchner, qui vient améliorer le droit des malades» (en amenant le droit à l'information, le consentement aux soins et le secret professionnel). «Il est un élément crucial au départ», rappelle Dominique Le Pestipon : «un patient reste toujours une personne de droit. L'ensemble des soignants doit donc maîtriser l'ensemble des droits des patients», conclut-il. Et ce, malgré des difficultés de taille : comment par exemple, garder le secret professionnel alors que le mari de la patiente se trouve présent, ou que l'IDEL arrive pour les soins au beau milieu du repas de famille ? «Ces situations sont parfois un véritable casse-tête». Et pourtant : «ne pas respecter le secret médical constitue une infraction pénale», souligne Virginie Raby qui énumère les règles de base : 

    • Le droit à l'information : en tant que professionnel soignant, vous devez vous assurer que la personne a bien compris les choses (sa maladies, les soins...), grâce donc à des termes adaptés. 
    • Le consentement du patient est révocable à tout moment. Par ailleurs, si la personne n'est pas en état de prendre des décisions, une personne de confiance peut être désignée. 
    • Respecter le secret médical est une obligation. Le contraire constitue une infraction pénale.

    Parfois, pourtant, malgré toute la bonne volonté du soignant, les relations s'enveniment. «Il est crucial de tenir soigneusement le dossier de soins pour avoir des éléments de preuves à apporter au dossier, surtout dans le cadre d'une prise en charge qui devient difficile», souligne Virginie Raby. 

    Revenant sur le cas de l'IDEL que la famille avait décidé de filmer : «Vous avez tout à fait le droit de refuser d'être filmée pendant les soins», explique l'avocate. «En cas de situation complexe, de harcèlement de la part d'une famille par exemple, il ne faut pas hésiter à faire un courrier à l'Ordre ou même, dans les cas les plus graves, à poser une main courante». L'idée étant de conserver des éléments tangibles, des éléments de preuve, à chaque étape. 

     

    Le thème a fait l'objet d'une table ronde lors des Journées nationales des infirmiers libéraux 2022. 

    La Rédaction d'Infirmiers.com

    Source : infirmiers.com