Mieux vaut être un homme et blanc, quand on arrive aux urgences. C'est la conclusion d'une étude* menée auprès de plus de 1500 médecins et infirmiers dans des services d'urgence par le professeur Xavier Bobbia, urgentiste du CHU de Montpellier. Celui-ci s'est intéressé au moment où les soignants doivent trier les patients, en fonction de la gravité de leur état de santé. L'objectif était de montrer que la décision de priorisation des malades différait selon le genre, l'apparence ou l'appartenance ethnique de ceux-ci.
La priorité des patients évaluée sur une échelle de 1 à 5
Il a ainsi demandé à des médecins et des infirmiers, via un questionnaire, de trier des patients à leur arrivée aux urgences, selon la gravité de leurs symptômes (une douleur thoracique), sur une échelle de 1 à 5, à partir d'un cas détaillé et d'un visuel. L'enquête portait sur huit profils types de malades quinquagénaires générés par une intelligence artificielle, soit quatre hommes et quatre femmes, en plan moyen, la main sur la poitrine, habillés des mêmes couleurs mais issus d'ethnies différentes : Asiatiques, Blancs, Maghrébins et Noirs.
A symptômes identiques, les hommes sont pris plus au sérieux que les femmes et les personnes blanches plus que les personnes noires
Résultat : à symptômes identiques, les hommes sont pris plus au sérieux que les femmes et les personnes blanches plus que les personnes noires, en moyenne, note l'étude qui conclut que le regard porté sur des patients selon leurs caractéristiques à la fois de genre et ethnique modifie la décision de priorisation. Or, le diagnostic de gravité, qui s'appuie sur l'intuition des soignants en fonction de leur expérience, est prépondérant dans la rapidité de la prise en charge du malade et donc dans ses chances de survie.
Les professionnels de santé considèrent plus souvent que les femmes ont des symptômes moins graves que les hommes, à résultats cliniques similaires
L'étude révèle ainsi une double discrimination par sexe et par ethnie. Sur l'ensemble du panel, 55% des patients ont été jugés en urgence vitale, à hauteur de 62% pour les hommes contre 49% seulement pour les femmes. «Les professionnels de santé considèrent plus souvent que les femmes ont des symptômes moins graves que les hommes à résultats cliniques similaires (une douleur dans la poitrine, ou pour d'autres pathologies)», souligne l'étude.
Des différences de traitement selon les ethnies
Si l'on s'intéresse à l'ethnie d'origine du patient, les différences sont aussi apparentes : 61% des personnes d'origine maghrébine sont triées en urgence vitale, 58% des patients blancs, 55% des Asiatiques et enfin 47% des malades noirs. En croisant les données : 63% des hommes blancs ont été placés en urgence vitale pour seulement 42% des femmes noires.
Des résultats qui confirment l'intuition du professeur Xavier Bobbia et laissent à penser que les représentations ou les croyances inconscientes des soignants, amenés à trier les patients rapidement, jouent une rôle fondamental sur leurs décisions.
En croisant les données, 63% des hommes blancs ont été placés en urgence vitale pour seulement 42% des femmes noires.
Pour une échelle de triage standardisée
Comment changer les choses ? Pour Xavier Bobbia, en commençant par informer les soignants et les étudiants en santé de ces clichés inconscients. Il milite par ailleurs pour la création d'une échelle de triage standardisée via un questionnaire qui serait utilisée dans l'ensemble des services d'urgences.
Enfin, l'intelligence artificielle pourrait permettre de résoudre en partie cette question en rendant les diagnostics moins subjectifs donc moins discriminatoires, selon lui. Le CHU de Montpellier a d'ailleurs lancé une étude en ce sens pour intégrer l'IA dans les évaluations de gravité.
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