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Quel rôle pour les IDEC dans le suivi digital des patients cancéreux ? Exemple à Gustave Roussy

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Publié le 08/03/2023

Utiliser des outils digitaux pour améliorer le suivi et la prise en charge des patients sous thérapie orale cancéreux : c’est l’idée au cœur du dispositif expérimental CAPRI, lancé par le centre régional de lutte contre le cancer Gustave Roussy. S’appuyant sur une application de messagerie sécurisée ou sur le recours au téléphone, deux infirmières coordinatrices sont chargées de répondre à leurs problématiques et questionnements.

Initié en 2015, le système CAPRI est pensé à destination des patients placés sous thérapie orale, qui renouvellent leurs ordonnances en ville et bénéficient de moins de séances en hôpital de jour. Il s’ajoute ainsi à un suivi classique, avec plusieurs objectifs : augmenter la Dose intensité relative (RDI), réduire les toxicités produites par les traitements, améliorer la qualité de vie des malades et limiter les coûts dus aux hospitalisations non-programmées et aux passages aux urgences. Afin de mesurer l’impact du dispositif, une étude a été menée avec deux groupes de patients, le groupe CAPRI et un groupe contrôle ne bénéficiant pas du suivi, dont les résultats ont été publiés dans la revue Nature Medicine.Ils démontrent l'intérêt réel de ce type de dispositif dans la prise en charge des patients.

La pluridisciplinarité comme impératif

En amont de la construction de l’application, s’est posée la question du professionnel qui servirait d’intermédiaire auprès du patient. Si l’oncologue référent a été un temps envisagé, c’est finalement le profil de l’infirmier de coordination (IDEC) qui est choisi : Il nous fallait quelqu’un avec un background clinique et organisationnel, qui fluidifie les relations en interne, au sein de Gustave Roussy, et en externe, avec les professionnels de ville, explique le Professeur Etienne Minvielle, médecin et responsable des parcours innovants à Gustave Roussy. Nous sommes tombés sur le profil de l’IDEC dont le contenu, actuellement, n’est pas encore totalement arrêté. L’application a ensuite été pensée selon une approche pluridisciplinaire, incluant aussi bien les spécialistes et les infirmières elles-mêmes que les patients. L’objectif : déterminer ce que chacun attend du dispositif et identifier les problématiques auxquelles il peut se retrouver confronté afin de leur trouver une réponse. C’était un dialogue à trois : les infirmières qui ont accepté de rentrer dans la démarche, les oncologues, et des chercheurs en organisation, relate le Pr Minvielle. La multidisciplinarité a effectivement été très bénéfique. J’ai pu participer avec l’équipe projet à différents entretiens auprès des différents publics concernés, confirme Delphine Mathivon, IDEC à Gustave Roussy (Villejuif) qui a intégré le projet dès son lancement. Les premières inclusions ont débuté en octobre 2016, les dernières ayant été effectuées en avril 2019.

Le RDI, définition
La Dose intensité relative,pour  Relative Dose Intensity (RDI) est le rapport entre la dose intensité de traitement reçue par le patient et la dose intensité prévue dans le protocole de soin. Des études en cancérologie ont démontré depuis une dizaine d’année que plus on se rapproche de la dose prescrite, plus les chances de survie sont meilleures. On estime que les traitements sont plus efficaces quand le RDI est au-dessus de 85%, selon Florian Scotté.

Compétences cliniques, sens de l’organisation

La première mission de l’IDEC, lorsqu’un patient est inclus dans le dispositif, consiste à le rencontrer lors d’une consultation initiale d’une heure effectuée, dans la mesure du possible, en présentiel. Nous nous présentons, nous faisons un point sur l’organisation du dispositif. Nous effectuons un dépistage des vulnérabilités, afin de voir s’il existe un besoin de soins de support, relate Delphine Mathivon. Il s’agit également d’informer le patient sur son traitement et sur les modalités de prise en charge. S’organisent ensuite des entretiens téléphoniques programmés, d’abord une fois par semaine durant le premier mois, puis toutes les deux semaines entre les deuxième et quatrième mois, et enfin toutes les trois semaines à partir du 5ème mois. Ces entretiens servent notamment à évoquer les questions de toxicité des traitements, à faire le point sur les soins de support et à orienter le patient vers d’autres professionnels en fonction de ses difficultés.

Ce qui est compliqué, c’est de proposer le traitement et, parallèlement, de préparer la phase palliative.

De plus, les deux IDEC ont pour autre rôle de répondre aux sollicitations ponctuelles des patients. Elles s’appuient sur des arbres décisionnels – soit un ensemble de questions soumises aux patients – qui leur permettent d’identifier les actions à mettre en place. Quand nous repérions une toxicité, par exemple, les algorithmes nous indiquaient la conduite à tenir. Nous avions également la possibilité d’orienter vers le médecin traitant ou l’oncologue, avancer une consultation, ou encore organiser une hospitalisation, si besoin, énumère Adeline Duflot-Boukobza, la seconde IDEC de l’équipe. Et si nous avions connaissance d’une toxicité ou si nous avions noté des choses particulières, nous reprogrammions des consultations téléphoniques. Ces arbres décisionnels se fondent sur des critères stricts, qu’on utilise habituellement dans les recherches cliniques, ajoute Florian Scotté, directeur du département interdisciplinaire d'organisation des parcours patients (DIOPP) de Gustave Roussy. Ce sont les Common Terminology Criteria Adverse Events (CTCAE), qui sont publiés par le National Cancer Institute. L’orientation de la prise en charge dépend du niveau de sévérité des toxicités. En tout, les deux infirmières ont ainsi assuré la gestion de 77,4% des interactions cliniques sans avoir à consulter un oncologue traitant.

Les IDEC constituent ainsi l’intermédiaire entre le patient, les professionnels de l’hôpital et ceux de la médecine de ville – également intégrés au dispositif. Leur rôle s’avère délicat, du fait des traitements complexes des patients, avec des toxicités importantes et des espérances de vie réduites. Ce qui est compliqué, c’est de proposer le traitement et, parallèlement, de préparer la phase palliative. On amène les choses gentiment, afin que le patient comprenne que, s’il y a progression sur sa ligne de traitement, il n’y aura peut-être pas d’autres lignes derrière, confie Delphine Mathivon.

Nous détectons des toxicités que le patient nous rapporte alors qu’il ne les soulèverait pas auprès du spécialiste de peur que l’on diminue son traitement.

Une perspective "de continuité de carrière"

Et si les IDEC ne pratiquent plus de soins techniques, l’enrichissement professionnel est ailleurs. À commencer dans l’établissement d’une relation plus poussée avec les médecins, et notamment les oncologues. C’est une relation très riche, note Adeline Duflot-Boukobza, car le patient dit des choses différentes à l’un et à l’autre. Nous apprenons beaucoup des retours des oncologues, et c’est aussi riche pour eux car nous détectons des toxicités que le patient nous rapporte alors qu’il ne les soulèverait pas auprès du spécialiste de peur que l’on diminue son traitement. Un point de vue que partage Florian Scotté : Le dispositif renforce les liens. Jusqu’à présent, on vivait dans un univers extrêmement sectorisé sur le plan médical. Là, nous faisons la démonstration du lien entre les infirmières de coordination et les équipes médicales référentes.

« Il faut un raisonnement clinique assez affuté, car la majorité des interactions s’effectue par téléphone »

S’y ajoute une forte dimension de formation. Car s’il n’y a pas de formation pré-requise obligatoire pour intégrer CAPRI, les deux IDEC n’ont eu de cesse de mettre à jour leurs connaissances cliniques. Il faut un raisonnement clinique assez affuté, car la majorité des interactions s’effectue par téléphone, relève Delphine Mathivon. Le reste, ce n’est que de la formation continue : comment s’adapter en fonction des traitements, des nouvelles molécules. Nous avons suivi beaucoup de webinaires et de symposiums sur les différentes approches, et nous avons eu une formation sur les consultations de suivi. S’est également posée la question de la pratique avancée (PA). Mises en difficulté à certains moments où la PA leur aurait permis d'être plus efficaces, les deux infirmières ont depuis choisi d’obtenir un master en PA, mention "oncologie". Le Pr Minvielle voit également dans le dispositif CAPRI une opportunité pour renforcer l’attractivité du métier d’infirmier. Nous sommes dans une perspective de continuité de carrière. Les infirmières passent d’un statut de soignantes à celui d’infirmières de coordination, nourries par une volonté d’agir un peu différemment auprès des patients, qui vont prendre des responsabilités plus importantes grâce à la pratique avancée, défend-il. C’est une évolution de carrière logique, abonde Adeline Adeline Duflot-Boukobz qui entamera son master en PA à la rentrée de septembre.

Résultats de l’étude en chiffres
•    Sur les 559 patients évalués, le RDI a été plus élevé chez les 272 patients inclus dans le dispositif, à hauteur de 93,4%, contre 89,4% chez les 287 bénéficiant d’un suivi classique (groupe contrôle).
•    L’âge médian des patients était de 62 ans, 155 d’entre eux ayant entre 65 et 74 ans (soit 27,7%), et 78, plus de 75 ans (soit 14%).
•    La durée d’hospitalisation a été réduite pour les patients CAPRI, avec 2,82 jours contre 4,44 pour les autres patients.
•    Le recours aux urgences passe, de 22% pour les patients non-inclus, à 15,1% pour les patients CAPRI.
•    62 patients (22,8%) du groupe CAPRI ont été hospitalisés, contre 91 (31,7%) dans le groupe contrôle.

Des résultats jugés probants

Quid des résultats mêmes de l’étude ? Sur les objectifs attendus, à savoir baisse des toxicités, des coûts, augmentation de la qualité de vie des patients et du RDI, ils s’avèrent positifs. Grâce au suivi, on est rassuré sur le fait que le patient prend bien son traitement et à bonne dose parce que la tolérance est meilleure, observe Florian Scotté. Les toxicités sont en effet réduites car prises en charge plus tôt par les infirmières. Conséquence directe, le nombre de jour d’hospitalisation en est allégé : -1,5 jour par patient, affirme le professeur Minvielle. Économiquement, le dispositif serait donc vertueux, et ce d’autant plus que le recours à la télésurveillance est désormais remboursé par l’Assurance maladie. Le remboursement doit permettre d’amortir l’investissement dans les IDEC, remarque Étienne Minvielle. Nous montrons qu’il y a un gain pour l’Assurance maladie avec la réduction des venues à l’hôpital.

Côté patients, si l’adoption au dispositif CAPRI s’avère hétérogène en fonction des profils, les retours sont également positifs. Le système, en plus de fluidifier des parcours de soin souvent chaotiques, répond au sentiment d’abandon que peuvent ressentir ces malades traités chez eux. À tel point que le suivi se poursuit même une fois que ceux-ci sont sortis du cadre de l’étude. Il y a des aspects humains, de qualité de prise en charge, à prendre en compte, explique en effet le Pr Minvielle. Et ce d’autant plus que les professionnels impliqués ont développé un véritable engouement pour le programme, ajoute Florian Scotté, qui tend aussi à libérer du temps médical. C’est pour cela que l’on poursuit le programme, même si les inclusions sont clauses depuis 2 ans. Gustave Roussy s’est en outre lancé dans l’intégration de ce dispositif de surveillance à distance dans les soins courants. Nous croyons dur comme fer à l’association entre le numérique et les IDEC. Car elles possèdent à la fois une expertise clinique et un savoir-faire dans le management et l’organisation, conclut Étienne Minvielle.

 


Source : infirmiers.com