Comment en êtes-vous arrivée à la recherche ?
Pour chacune de mes recherches, il y a eu d’abord un questionnement venu d’une expérience de terrain. J’ai commencé ma carrière d’infirmière dans un centre de grands brûlés, où je me suis intéressée au vécu des personnes présentant des séquelles de brûlures au visage. Je suivais des patients en phase aigüe et j’avais besoin de savoir ce qu’ils devenaient après leur sortie. L’idée était de comprendre comment je pouvais les prendre en charge au mieux pour construire la suite. J’ai donc fait un Master 1 en Sciences humaines et sociales et mené cette recherche selon une méthode qualitative : je recueillais des récits de vie auprès de ces personnes. Par la suite, j’ai eu le diplôme de cadre de santé et ai intégré un service de cardiologie. Là je me suis intéressée aux interventions en éducation thérapeutique qu’on pouvait proposer aux patients insuffisants cardiaques ou atteints d’un syndrome coronaire aigu, à l’interface entre la ville et l’hôpital. Et pour évaluer l’efficacité de ces programmes, j’ai suivi un Master 2 de biostatistiques et d’épidémiologie, qui m’a ensuite conduite vers un doctorat d’épidémiologie avec une thématique de recherche sur l’organisation de la sortie d’hospitalisation et de la continuité des soins en aval.
Vous travaillez actuellement sur l’amélioration de l’accès aux traitements innovants pour les patients âgés atteints de cancer. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
En plus de mes autres fonctions, je suis également chercheuse associée au sein de l’équipe de recherche CEpiA (Clinical Epidemiology and Ageing), dont les patients âgés sont la population cible. En juin 2023, j’ai assisté, lors d’un colloque, à un atelier sur les essais cliniques décentralisés. Généralement, un essai clinique s’organise sur un site investigateur, qui est le plus couramment un centre hospitalier. L’idée d’un essai clinique décentralisé est de déplacer certaines de ses composantes vers le domicile du patient ou à proximité afin de limiter ses déplacements pour tous les actes ajoutés par la recherche : visites supplémentaires sur site, examens complémentaires tels que prise de sang… Ces essais existent déjà : la visite de suivi peut être réalisée par une infirmière à domicile, plutôt que sur le site investigateur, par exemple.
Je me suis demandé s’il serait pertinent et acceptable de transposer cette nouvelle modalité aux patients âgés atteints de cancer. Il s’agit de mener une étude exploratoire auprès des patients et de leurs aidants mais aussi des professionnels de santé qui les entourent pour voir, par la suite, comment on pourrait proposer un essai partiellement ou complètement décentralisé à notre population cible. On va étudier la pertinence, la faisabilité et l’acceptabilité du point de vue de tous les acteurs : cette modalité répond-elle aux besoins de ces patients ? Est-ce faisable sur le plan organisationnel, parce que cela suppose une montée en compétences des professionnels de ville afin qu’ils interviennent sur le parcours recherche ? Comment la transformation du lieu de vie en lieu de recherche est-elle perçue ?
Quel est l’enjeu, en termes de prise en charge ?
L’objectif est de voir si alléger le fardeau de la recherche grâce à cette nouvelle organisation permettrait de répondre en partie à la sous-représentation de ces patients dans les essais cliniques. Actuellement, les cliniciens adaptent à cette population les résultats d’études qui sont menées sur des patients généralement plus jeunes et en meilleure santé. Peut-être les essais cliniques décentralisés leur permettraient-ils d’accéder à des traitements innovants, alors qu’aujourd’hui les difficultés de déplacement et les interférences dans leur vie sociale représentent potentiellement des freins à leur inclusion. C’est un problème d’équité : pourquoi ces patients sont-ils sous représentés dans les essais cliniques et que peut-on faire pour y remédier ?
Comment s’organise ce projet ? Travaillez-vous en pluridisciplinarité ?
C’est un protocole de recherche en 3 phases : une revue systématique de la littérature, puis l’étude exploratoire qualitative, et enfin la recherche d’un consensus auprès d’un panel d’experts. Nous avons lancé le projet au début de l’année et nous en sommes actuellement à la première phase. La revue de littérature suppose de consulter plusieurs bases de données internationales pour caractériser les essais cliniques décentralisés qui existent dans le champ de l’oncologie, voir quels types d’essais ont été mis en place, pour quels types de profils, identifier la nature des composants délocalisés, déterminer s’il y a eu des prélèvements sanguins ou une administration de médicaments à domicile…C’est un travail que je réalise avec en binôme avec une infirmière en pratique avancée en oncogériatrie et en collaboration avec ma directrice de recherche, qui est épidémiologiste et qui apporte son éclairage méthodologique. Nous avons une attention particulière pour les patients âgés atteints de cancer mais nous explorons la littérature sur les essais en population générale atteinte de cancer. Ces données serviront ensuite pour construire le guide d’entretien pour la phase 2, en binôme soit avec un ou une sociologue de la santé. Nous souhaiterions achever cette première phase pour la fin de l’été. Lors de la troisième phase, le panel d’experts cliniciens aura pour tâche d’évaluer la pertinence de ces essais cliniques décentralisés pour les patients âgés atteints de cancer.
Pour financer son projet de recherche, Bérengère Couturier a participé au Prix de la recherche 2023 de la Fondation Santé Service. Elle a reçu le prix spécial du jury, qui lui a octroyé 10 000 euros, qui ne permettait toutefois d’en assurer la pérennité. Elle a ensuite obtenu un deuxième financement après avoir répondu à l’appel à projet APRESO 2024 en recherche en soin, lancé par le GIRCI Ile-de-France. « Il est possible que j’ai besoin d’un nouveau financement pour la phase 3 », indique-t-elle. Ces financements sont conditionnés par le calendrier détaillé du projet, précise-t-elle. Pour obtenir celui de l’APRESO, « la durée de l’étude ne doit pas dépasser deux ans. Les fonds sont alloués par tranche en fonction de l’état d’avancement. Ce qui est logique : il faut donner de la visibilité » à ceux qui financent.
Que représente pour vous la réception de ce prix de « Jeune chercheur » ?
C’est déjà une belle opportunité, qui met en lumière un parcours individuel, un travail de recherche, mais aussi la recherche en sciences infirmières. C’est aussi une reconnaissance du collectif, parce qu’il y a beaucoup d’acteurs sous-jacents : les structures de recherche, l’unité de santé publique, l’unité de recherche clinique de l’établissement. Et à côté de ce réseau local de l'AP-HP, il y a aussi le Groupement interrégional pour la recherche clinique et l’innovation (GIRCI) Ile-de-France. qui est un lieu d’émulation, de partage d’expériences, qui nous aide à avancer. Et enfin, le réseau national des coordonnateurs paramédicaux de la recherche en soin qui a pour mission de développer la recherche dans nos établissements. Nous sommes 32 à en faire partie et nous conduisons également des projets de recherche ensemble. Depuis quelques années, j’ai pris conscience de la force de ces réseaux. Seul, c’est difficile d’avancer, et ce n’est pas le sens de l’activité de recherche, où il faut jouer collectif.
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