PROTECTION DE L'ENFANCE

Ces infirmiers qui accompagnent les enfants victimes de violences

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Publié le 15/03/2024

Dans certains hôpitaux, des Unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) reçoivent des enfants et adolescents victimes de violences afin qu’ils puissent témoigner dans un cadre sécurisant. Ce rôle d’accueil est souvent confié à des infirmiers, qui ont aussi une mission d’évaluation de l’enfant et de son environnement.

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Recueillir la parole des enfants et adolescents victimes de tout type de violence dans un cadre adapté et avec des professionnels qui y sont formés : c’est la mission des Unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED). Imaginées à l’origine par l’association La Voix de l’enfant (voir encadré), elles s’appuient sur un principe : une prise en charge holistique des enfants, qui conjugue une orientation vers des soins adaptés à la procédure pénale et à la nécessité de les protéger. Lorsqu’est formulée une information préoccupante ou qu’une plainte est déposée, « sur décision du procureur, l’enfant ou l’adolescent, est orienté vers une unité d’accueil », explique Martine Brousse, la présidente de l’association. Ces unités, précise-t-elle, se trouvent en hôpital, dans les services de pédiatrie, soit « les plus appropriés pour diagnostiquer les causes de la souffrance d’un enfant ».

L’unité se compose ainsi d’une salle d’audition filmée où les enfants sont entendus par les forces de l’ordre – le plus souvent par la gendarmerie. Elle se construit surtout autour d’une équipe pluridisciplinaire, composée de psychologues, de pédiatres, d’assistantes sociales et d’infirmiers, notamment. Sur place, « l’enfant est accueilli par une personne référente, qui est souvent une infirmière », poursuit-elle. « C’est elle qui l'accompagne pendant le temps de son audition. »

25 ans d’existence
Les unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger existent en France depuis 25 ans, relate Martine Brousse. En juin 1998, Elisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, fait adopter la loi relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles et à la protection des mineurs, qui prévoit notamment l’enregistrement audiovisuel des témoignages des enfants et adolescents. L’association La Voix de l’enfant propose alors d’ouvrir trois sites pilotes composés d’une salle d’audition et où exercent des équipes pluridisciplinaires : professionnels de santé spécialisés en pédiatrie, forces de l’ordre, et procureur. En tout, ce sont près de 80 UAPED qui ont ouvert sur le territoire, uniquement dans des hôpitaux publics, jusqu’en 2022, financées en grande partie par les fonds de l’association. Depuis, l’État s’est saisi du sujet, débloquant des fonds qui sont confiés aux Agences régionales de santé. Un passage qui suppose de « passer d’une prise en charge globale de l’enfant, avec un accueil et un recueil de sa parole, à un simple parcours de soin », regrette la présidente de l'association.

Une mission d’accueil et d’explication

Catherine Echelard est l’une de ces personnes référentes. Infirmière puéricultrice, elle coordonne les activités de l’UAPED de l’hôpital de Nantes depuis 2010. Ses missions, outre faire le lien entre l’unité et les services de police et de gendarmerie et planifier les auditions, consistent à accueillir l’enfant et sa famille ou son accompagnant. L’UAPED reçoit ainsi des enfants de 3 à 17 ans, même si « dans les faits, avant 5 ans, c’est un peu compliqué », l’enfant n'étant pas en mesure d’expliquer ou de rentrer dans les détails des faits signalés. « Avant l’audition, je fais de la mise en confiance », raconte-t-elle. « J’explique ce qu’est l’audition filmée, le rôle du procureur », mais aussi celui des gendarmes, spécialisés dans le recueil de la parole de l’enfant, « qui ont besoin d’évaluer le danger » auquel il est exposé afin de le protéger au mieux. L’accueil est suivi par une présentation de la salle technique, séparée de la salle d’audition par une vitre sans tain, où d’autres gendarmes assistent au recueil de la parole de l’enfant par leur collègue.

Il est assez fréquent que tout ne soit pas dit pendant l’audition, car c’est compliqué pour les enfants de tout dire d’un coup.

Vient ensuite la deuxième partie de sa mission : l’entretien avec les parents ou l’accompagnant de l’enfant, qui se déroule en parallèle de l’audition dans une pièce séparée. Cet échange est essentiel car s’il permet de comprendre les raisons qui les ont poussés à solliciter la justice, il sert aussi à évaluer le climat familial, notamment dans les cas de suspicion de violences conjugales. « L’enfant peut être reçu pour des violences commises par le père. J’aborde donc les violences conjugales avec la mère parce qu’elle n’a peut-être pas porté plainte », voire éprouve des difficultés à admettre qu’elle en est victime, explique l'infirmière. L’occasion alors d’insister sur le fait que ces violences ont « un impact sur les enfants, que c’est comme s’ils les subissaient eux-mêmes. » Et dans les cas où les mères vivraient encore avec le père ou le conjoint violent, « je leur demande ce qu’elles pensent faire pour protéger leur enfant. »

Nous refusons que l’expertise gynécologique soit systématique, comme l’exigent certains procureurs ou magistrats, car elle représente une atteinte à l’intégrité de l’enfant.

À la suite de l’audition, l’enfant peut faire l’objet d’un examen médico-psychologique au sein de l’unité pour évaluer le retentissement physique et psychologique des violences subies. L’opportunité ou non d’y procéder se décide « au regard des révélations de l’enfant », après l’audition et en équipe pluridisciplinaire, expose Martine Brousse. Qui ajoute : « Nous refusons que l’expertise gynécologique soit systématique, comme l’exigent certains procureurs ou magistrats, car elle représente une atteinte à l’intégrité de l’enfant. »  Cet examen est réalisé en binôme, composé le plus fréquemment d’un pédiatre et d’un psychologue, ajoute Catherine Echelard. « Mais ça peut aussi être un pédiatre et une puéricultrice, ou un pédiatre et une assistante sociale. »

Une coopération étroite entre soignants et forces de l'ordre

Il arrive souvent que ce temps d’évaluation donne lieu à de nouvelles révélations de la part des enfants. « Il est assez fréquent que tout ne soit pas dit pendant l’audition. Ce n’est pas que celle-ci est mal faite, mais c’est compliqué pour les enfants de tout dire d’un coup. » Lorsque tel est le cas, l’UAPED peut être amenée à remplir un rôle d’alerte, en réalisant un signalement ou une information préoccupante.

D’où l’importance pour l’équipe soignante et les services de police ou de gendarmerie d’être en lien permanent. « Si l’enfant a pris un coup, il est important que mes collègues sachent où exactement » pour évaluer son état lors de l’examen médico-psychologique. Les échanges permettent aussi de confronter les propos de l’enfant à celui de ses parents pour en percevoir les divergences ou, au contraire, les trop grandes similitudes qui révèleraient que « le discours de l’enfant est celui de ses parents, et non pas le sien. »

Des unités « transversales » au sein des établissements

Confrontée à la parole des jeunes victimes, l’UAPED a donc un rôle à la fois d’orientation, si l’enfant a besoin de soins adaptés, et d’alerte. L’unité n’a en effet pas vocation à proposer des parcours de soin : « c’est complètement indépendant, et c’est l’hôpital qui prend alors en charge », souligne Martine Brousse. L’UAPED peut orienter également vers d’autres structures ou professionnels extérieurs à l’hôpital, tels que médecins traitants, psychologues ou centres médico-psychologiques, complète Catherine Echelard. Les échanges sont d’autant plus faciles que, à Nantes, la plupart des professionnels (pédiatres et psychologues en tête) qui interviennent au sein de l’UAPED exercent parallèlement dans les autres services de l’hôpital. L’unité est donc « transversale » et très bien identifiée au sein de l’établissement. De fait, elle est très souvent sollicitée dès lors qu’un enfant est hospitalisé et qu’apparaissent des suspicions de maltraitance. « Dès qu’un enfant est hospitalisé, l’UAPED en est tout de suite informée ; c’est rare qu’on n’ait pas au moins un enfant hospitalisé en réanimation, en chirurgie ou en pédiatrie », confirme l’infirmière.

Une formation au recueil de la parole est indispensable

Dans ces unités qui s’appuient sur une prise en charge holistique de l’enfant, des connaissances spécifiques à ces publics sont nécessaires, que ce soit pour les professionnels de santé ou les forces de police. Celles-ci sont ainsi formées au protocole d’audition NICHD (voir encadré), qui cadre le recueil de la parole de l’enfant. Quant aux professionnels de santé, ils peuvent recevoir une formation conçue par l’association La Voix de l’enfant avec l’aide d’experts venus du terrain, indique Martine Brousse. « Nos formations sont pluridisciplinaires », précise-t-elle. Car « il faut que professionnels des forces de l’ordre et de santé se connaissent, se parlent. Si on travaille en silo, alors on passe à côté de l’enfant. » Le développement de l’enfant constitue le premier thème qui y est abordé. « On s’aperçoit très souvent que nombre d’adultes connaissent très mal ce sujet. »  Il s’accompagne d’une formation au recueil de la parole et aux conséquences des maltraitances et à leur repérage, qu’elles soient physiques ou sexuelles. À noter que des séminaires sont organisées par La Voix de l’enfant, durant lesquels se réunissent les professionnels des UAPED de même région pour partager expériences et bonnes pratiques.

Le protocole du NICHD
Le protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD) constitue un outil pour auditionner et recueillir les témoignages des enfants et adolescents. Mis au point à la fin des années 1990 aux États-Unis, il a été proposé en France en 2002 par le psychologue Jean-Luc Viaux, afin d’y former les forces de l’ordre. Il repose sur un certain nombre de principes, à commencer par l’adaptation des questions posées aux enfants et par l’importance pour ceux qui recueillent leur parole d’adopter une position la plus neutre possible. Il se présente sous la forme d’un guide divisé en trois phases : la pré-déclarative, qui doit permettre de mettre l’enfant en confiance, la déclarative, qui consiste au recueil de sa parole, puis la phase conclusive, qui lui laisse la possibilité d’aborder d’autres sujets ou d’ajouter des éléments que l’enquêteur aurait pu omettre.

Être infirmière puéricultrice, une valeur ajoutée

Catherine Echelard, elle, n’a pas suivi cette formation. Elle s’appuie avant tout sur ses compétences et son expérience d’infirmière puéricultrice. « Quand je travaillais en pédiatrie, j’avais très souvent des enfants victimes de maltraitance. J’ai donc beaucoup appris des médecins, des psychologues », relate-t-elle. Elle insiste sur l’intérêt essentiel de connaitre le développement de l’enfant : « Les échanges ne durant que 10 ou 15 minutes, je dois être capable d’évaluer comment va l’enfant par ses attitudes, sa façon d’être, de parler, selon les échanges de regards qu’il peut avoir avec ses parents… ». Elle a néanmoins complété ses connaissances en allant se former dans plusieurs unités (des établissements de Saint-Nazaire, Angers ou encore de l’Hôtel-Dieu), notamment sur la manière de préparer l’enfant à l’audition filmée. Quant à la posture soignante qu’il lui faut adopter, elle insiste sur la nécessité d’être le plus transparent possible. « La meilleure façon d’aborder les choses avec les enfants, c’est de tout expliquer, de ne rien leur cacher. Quand on dit aux enfants qu’ils doivent dire la vérité, il faut déjà soi-même pouvoir le faire. »


Source : infirmiers.com