En pleine crise de Covid-19, l’instauration du Pass sanitaire rendait la vaccination de fait pratiquement inévitable pour l’ensemble de la population. Cependant, plusieurs affaires ont montré le manque d’adhésion de certains professionnels de santé à la politique de santé publique en vigueur : médecins, infirmiers ou encore pharmaciens ont ainsi délivré de faux pass sanitaires, sans procéder à la vaccination. Et c’est à ce type d’affaire que la chambre disciplinaire nationale s’est confrontée le 6 mai 2024.
Une infirmière libérale (IDEL), volontaire pour exercer dans un des nombreux centres montés dans l’urgence pour vacciner la population, a réalisé à la fin de l’année 2021 trois faux certificats. Mise en cause par le Conseil interdépartemental de l’Ordre infirmier (CIDOI) de la Seine-Maritime et de l’Eure, puis par l’Agence régionale de santé (ARS) Normandie, l’IDEL a été condamnée en première instance à une peine de deux mois d’interdiction temporaire d’exercer, dont une semaine ferme, et à l’injonction de suivre une formation d’une journée pour apprendre à mieux prendre en charge les patients résistant aux soins.
L’affaire
L’affaire débute en décembre 2021 lorsque le CIDOI est informé par plusieurs articles de presse qu’une IDEL exerçant dans un centre de vaccination a délivré des faux pass sanitaires à 3 personnes. Convoquée le 14 décembre par l’instance, celle-ci reconnaît immédiatement les faits. Pour autant, le CIDOI dépose plainte, suivi par l’ARS Normandie, qui suspectait les faits depuis novembre 2021 déjà. L’audience de première instance a lieu en mars 2022, à l’issue de laquelle une condamnation est prononcée contre la mise en cause. Parallèlement, l’IDEL comparaît devant le tribunal d’Evreux, les faits relevant également du pénal. Celui-ci la sanctionne en lui intimant de suivre un stage de citoyenneté, à réaliser dans les 6 mois suivant la décision, et de verser 300 euros au CIDOI au titre des dommages et intérêts.
Pour les plaignants, une atteinte grave à la déontologie
Si l’IDEL, devant la chambre disciplinaire, ne cherche pas à nier son comportement ni à en limiter la portée, ARS et CIDOI ne l’entendent, eux, pas de cette oreille. Au vu de la gravité des faits, de leur contexte (la crise du Covid et ses enjeux de santé publique) et du non-respect de principes déontologiques essentiels de la profession, à commencer par la sauvegarde de l’intérêt et de la sécurité du patient, les deux instances ont estimé que la sanction n’était pas assez sévère. Toutes deux ont alors fait appel de la décision de première instance en avril 2022 pour réclamer a minima une aggravation de la peine ; l’ARS allant jusqu’à demander une interdiction d’exercer de 9 mois.
La vaccination ne représentait pas seulement un impératif civique mais aussi aussi un impératif éthique
« Les agissements de cette infirmière constituent des faits dont la gravité ne saurait être minimisée », avance ainsi Maitre Grégoire Pech de Laclause, l’avocat du CIDOI devant la chambre disciplinaire nationale, le 6 mai 2024. Pour justifier une sanction plus sévère, il met dans la balance le rôle des infirmiers et leurs responsabilités face au déploiement des politiques publiques de santé, d’autant plus importants dans un contexte de pandémie.
Alors qu’avait été instauré un état d’urgence, et qu’autorités sanitaires et sociétés savantes prônaient la recherche d’une immunité collective pour limiter les contaminations et les décès, la vaccination ne représentait donc pas « qu’un impératif civique » ; c’était aussi « un impératif éthique ». Et la démarche de respecter ces impératifs est autant collective qu’elle est individuelle. « Les infirmiers, comme tout soignant, partagent un devoir et un rôle d’exemplarité vis-à-vis des patients et de l’ensemble de la population en termes de prévention, mais également en termes de promotion des gestes de bonne pratique. En l’occurrence, la vaccination », rappelle-t-il.
Ignorer ce geste vaccinal remet en question son utilité, son altruisme, et revient à faire fi de la responsabilité professionnelle qui incombe à chaque soignant.
Dans ce contexte particulièrement complexe et aux enjeux critiques, les agissements de l’IDEL ont pu affecter « grandement l’effort collectif ». « Ignorer ce geste vaccinal remet en question son utilité, son altruisme, et revient à faire fi de la responsabilité professionnelle qui incombe à chaque soignant », martèle Maître Pech de Laclause. Pire, le comportement de l’IDEL aurait pu avoir des conséquences dramatiques, dans la mesure où les personnes ayant obtenu un faux pass sanitaire n’auraient pas reçu les soins adéquats en cas de contamination sévère du fait de leur faux statut vaccinal. Et si par ailleurs, l’IDEL se présente comme consciencieuse et diligente dans sa pratique quotidienne, si elle a choisi d’exercer en centre de vaccination, elle a toutefois « en toute conscience été amenée à produire de fausses attestations de vaccination. » De quoi battre en brèche l’argument de la chambre de première instance selon lequel l’infirmière s’était montré « active dans la prévention ». Et demander donc une aggravation de la sanction.
Pour la défense, un contexte qui a poussé à l’erreur
En face, Maître Vincent Souty, l’avocat de l’IDEL dénonce l’inanité de cette demande et préfère avancer les conditions dans lesquelles ces faux pass ont été produits. Les faits qui sont reprochés à l’infirmière « sont arrivés dans un contexte de pression que subissaient les professionnels de santé à l’époque », souligne-t-il : afflux de patients dans les vaccinodromes, injonction à vacciner le plus possible de personnes, mais aussi manque de soutien au sein même de ces centres de vaccination où l’encadrement, quand il était présent, avait parfois du mal à se rendre disponible pour les infirmiers confrontés à des difficultés.
Des difficultés d’autant plus présentes que la vaccination éveillait alors beaucoup de ressentiment chez certains, et donc de violence. « Les personnels infirmiers étaient en première ligne face à cette violence », s’émeut-il. « Il est arrivé à plusieurs reprises qu’on se retrouve confrontés à des patients très angoissés ». Mais, avec la cadence imposée, impossible le plus souvent de prendre le temps de les rassurer, confirme l’infirmière. Quant au seul médecin présent au sein du vaccinodrome, il était lui-même trop souvent « sous l’eau » pour assurer le relais. Face au stress et au refus des patients de se laisser vacciner, l’IDEL a donc cédé.
Ma cliente n’est pas contre la vaccination, elle a vacciné des milliers de personnes sans difficulté, mais elle a senti une pression avec certaines personnes.
Car la défense avance par ailleurs les états de service exemplaires de la mise en cause, qui exerçait alors en EHPAD et était reconnue pour être une professionnelle consciencieuse et valorisée par ses collègues. « Ma cliente n’est pas contre la vaccination, elle a aidé dans ce centre, elle a vacciné des milliers de personnes sans difficulté, mais elle a senti une pression avec certaines personnes », insiste son conseil. À l’époque, dans son établissement, elle avait même été affectée au secteur Covid car elle était considérée comme la plus rigoureuse. « Il n’y a jamais eu d’intentionnalité », se défend celle qui était également tutrice de stage pour des étudiants infirmiers. « Je ne cherche pas à justifier ce que j’ai fait », insiste-t-elle, soulignant par ailleurs son désir de suivre la formation dédiée à la prise en charge des patients résistants aux soins afin qu’une telle situation ne se reproduise plus.
État de service contre gravité des faits
Cet accent de sincérité, la chambre disciplinaire nationale l’a pris en compte dans sa décision. L’infirmière, souligne-t-elle ainsi, « se justifie, essentiellement, par une organisation stressante des centres de vaccinations, au cours d’une période de grande fatigue et sa soudaine incapacité personnelle à gérer des cas de refus de vaccination, entrainant, à tort, ce qu’elle admet aujourd’hui, comme une empathie ; elle affirme, sans être contestée, qu’elle a agi gracieusement ». Pour autant, les faits sont « très sérieux » et appellent bien à une sanction. En délivrant de faux pass sanitaires, elle a en effet contrevenu à plusieurs articles du code de santé publique dont :
- L’Article R. 4312-23, qui indique que l’infirmier doit apporter son concours aux actions entreprises par les autorités pour assurer la protection de la santé et l’éducation sanitaire ;
- Et l’Article R. 4312-23 interdisant aux infirmiers de produire des faux (certificats, attestations…) ou d’en favoriser l’utilisation, mais aussi d’établir des documents de complaisance.
Reconnaissant les « bons services » de l’infirmière, soulignés par ses employeurs, ainsi que sa prise de conscience, la chambre disciplinaire a choisi d'alourdir légèrement la sanction : elle la condamne à une peine de trois mois d’interdiction temporaire d’exercer, dont une semaine d’interdiction ferme. L’IDEL aura également jusqu’au 31 décembre 2024 pour suivre une formation d’une journée dédiée à la gestion du stress des professionnels de santé, à sa charge.
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