Alors que débute l’année 2024, « L’inscription dans la loi ne fait pas tout, rappelle Patrick Chamboredon, le président de l’Ordre des infirmiers (ONI). Celle-ci a besoin de décrets d’application et de cadre réglementaire plus précis ». Ne serait-ce que pour offrir un cadre juridique déterminé aux infirmiers et leur éviter d’être taxés d’exercice illégal de la médecine. Tout l’enjeu de l’année à venir va donc être de mener les travaux et réflexions en alliant infirmiers, pouvoirs publics, autorités sanitaires et autres professions de santé afin de parvenir à la rédaction et la publication des textes idoines, avec, en toile de fond, le chantier de la refonte du métier puis du référentiel de formation.
L'infirmier référent : des travaux qui doivent encore débuter
Portée par la loi Valletoux, votée en toute fin d’année 2023, la création du statut d’infirmier référent n’en est qu’à ses balbutiements. « Les discussions n’ont pas encore débuté », confirme ainsi le président de l’Ordre, qui les conditionnent, comme celles qui entourent les autres évolutions de la profession, à la signature de la convention médicale. Après une première tentative ratée en avril 2023, les négociations ont en effet repris entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux au début du mois de janvier. Ce n’est qu’une fois cette étape franchie que pourra être discutée la répartition des missions entre professionnels, et notamment entre médecins et infirmiers. « Tant qu’elle ne sera pas signée, tout ce qui peut venir brouiller le message, interférer dans les discussions risque de compliquer toute évolution », poursuit-il.
En région, des infirmiers se forment déjà aux certificats de décès
Pour ce qui est de la rédaction des certificats décès, la question se pose moins : le décret définissant les modalités de l’expérimentation (inscription obligatoire à l’Ordre, être volontaire, suivre une formation…) est paru au Journal officiel au début du mois de décembre 2023. Avec toutefois un piège : à l’origine, seules 6 régions avaient été identifiées pour son déploiement (Ile-de-France, Auvergne-Rhône Alpes, Occitanie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire et La Réunion). Depuis, la loi Valletoux a été modifiée pour l’étendre à l’ensemble du territoire, entraînant de facto la nécessité de réviser le texte. Mais dans les régions, on s’active déjà à la mettre en place. Selon l’Agence régionale de santé Ile-de-France, une première session de formation a eu lieu en décembre dernier à destination de 18 infirmiers travaillant en service d’hospitalisation à domicile (HAD). En tout, ce sont 93 infirmiers qui se sont portés volontaires pour suivre la formation les autorisant à réaliser ces certificats de décès. « Ce n’était jusque-là pas du tout une compétence infirmière. On voit que les infirmiers ont une appétence à faire plus de choses », se réjouit Patrick Chamboredon.
Chez les IPA, pas d'accès direct sans primo-prescription
Du côté des IPA, on table sur le premier trimestre 2024, premier semestre au plus tard, pour voir apparaître les textes cadrant la primo-prescription et l’accès direct, voté avec le reste de la loi Rist en février 2023. Car là aussi, des décrets sont nécessaires, les deux évolutions allant de pair. « Nous avons rendu nos observations sur la primo-prescription à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) début décembre, de même que les conseils nationaux professionnels (CNP) médicaux », relate ainsi Julie Devictor, présidente du CNP IPA. D’autres concertations obligatoires (avec l’Académie de médecine, la Haute autorité de santé, les Ordres) devront suivre avant que les textes ne puissent être écrits.
Si on vous ouvre l’accès direct mais que vous n’avez pas le droit de primo-prescrire, cela ne sert à rien. Il faut que l’on puisse prescrire aux patients en fonction des diagnostics que l’on pose
Parmi les demandes soumises à la DGOS par les IPA, figurent des primo-prescriptions communes à tous les IPA (de transport, d’antalgiques de palier 1, de séances de podologie…) et d’autres spécifiques aux exercices de chaque mention (antalgiques de palier 3 et soins de supports en oncologie, traitements en lien avec l’hypertension artérielle ou des maladies pulmonaires en pathologies chroniques stabilisées, par exemple). « Ces primo-prescription sont plus ou moins un intérêt avec l’accès direct, précise-t-elle. Les IPA qui travaillent en cancérologie voient des patients qui sont atteints de cancer et qui leur sont orientés. Il est donc peu probable qu’ils reçoivent des patients en accès direct. » Alors qu’aux urgences, les IPA accueillent des patients sans adressage et doivent donc être en capacité de primo-prescrire certains dispositifs ou traitements spécifiques.
Il en découle que la question du cadrage de l’accès direct ne pourra pas être dissociée de celle de la primo-prescription. « Les deux sujets sont intimement liés », insiste Patrick Chamboredon. « Si on vous ouvre l’accès direct mais que vous n’avez pas le droit de primo-prescrire, cela ne sert à rien. Il faut que l’on puisse prescrire aux patients en fonction des diagnostics que l’on pose ».
De fortes attentes autour de la refonte du métier
Reste le sujet de fond qui a déjà occupé les acteurs infirmiers et qui va continuer de les mobiliser en 2024 : la refonte du métier. Durant son bref séjour à la tête du ministère de la Santé, Aurélien Rousseau a intégré l’Ordre infirmier au sein des groupes de travail, qui « a produit un texte avec l’appui de ses juristes » pour définir un cadre réglementaire, indique ainsi Patrick Chamboredon, qui insiste sur l’importance du recours au législatif pour éviter aux infirmiers de se mettre en position de pratiquer un exercice illégal de la médecine. « Il faut intégrer les infirmiers comme autre dérogation – car il y en a plusieurs – à cet exercice illégal. » Organisé avec les représentants de la profession socle, le chantier de la refonte devrait toutefois intégrer par la suite les IPA, remarque par ailleurs Julie Devictor. « La refonte de la profession se réfléchit dans toutes ses dimensions, et notamment dans ses niveaux licence-master-doctorat », assure-t-elle. « C’est toute la filière qu’il faut interroger et sonder. »
Le plus grand défi sera de former tous ces professionnels aux nouvelles pratiques.
La révision de la formation, un enjeu qui conditionne tout
Et une fois les textes rédigés en accord avec l’ensemble des acteurs (dont les autres professions), se posera leur mise en place opérationnelle. Avec notamment la question essentielle de la formation. « Une fois qu’on sera tous tombés d’accord sur le sujet, le plus grand défi sera de former tous ces professionnels aux nouvelles pratiques », dont le rôle d’infirmier référent, notamment, poursuit le président de l’Ordre. L’enjeu sera ainsi de repenser les maquettes de formation pour y intégrer, entre autres, les nouvelles technologies, la prescription, la rédaction des certificats décès, et les réponses aux besoins identifiés de santé (déserts en pédiatrie et en psychiatrie), liste-t-il. Or les échéances pour la refonte de la formation ont été repoussées en 2025. Selon lui, la DGOS escompte une publication des décrets pour juin 2025 pour une mise en application effective par les instituts de formation en soins infirmiers à la rentrée de septembre.
Création du statut d’infirmier référent, avancement de la refonte, primo-prescription…Tous ces textes nécessitent un arbitrage ministériel, qui soit consenti par toutes les parties. La valse des ministres – 3 en un an et demi – ne facilite pas les travaux. Si ceux-ci se poursuivent avec la DGOS malgré ces changements, « à chaque fois, ce sont de nouveaux dossiers à apprendre pour les ministres, un réseau qu’il faut refaire, des discussions qu’il faut relancer avec le cabinet du ministre, déplore ainsi Julie Devictor. Tout cela freine considérablement les prises de décision. » La nomination de Catherine Vautrin comme ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, au sein d'un ministère élargi, marque un énième changement à ce poste. Et laisse ainsi craindre des délais supplémentaires.
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