En France, l’accès aux soins de premier recours « est de plus en plus difficile, au point que l’on qualifie une partie du territoire national de « désert médical » », souligne la Cour des comptes dans son rapport « Organisation territoriale des soins de premier recours », publié lundi 13 mai. Recouvrant les soins des médecins généralistes, des quelques spécialistes accessibles en accès direct, les soins infirmiers, dentaires et de kinésithérapie ou encore les conseils délivrés par les pharmaciens, leur importance dans le maintien en bonne santé des populations a pourtant été reconnue depuis une quarantaine d’années par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), rappelle-t-elle en introduction.
Or plusieurs indicateurs viennent confirmer l’idée que l’accès à ces soins non programmés se fait de plus en plus contraints : délais de rendez-vous chez un médecin qui s’allonge, augmentation du nombre de patients sans médecin traitant (au 30 septembre 2022, 6,7 millions de patients, soit 12% de la population étaient dans ce cas) ou encore professionnels qui ne prennent plus de nouveaux patients. Or parallèlement, la demande, quant à elle, augmente en raison de la fréquence croissante des pathologies chroniques qui induisent un volume plus important de soins dits « programmés ». Le nombre d’affections de longue durée (ALD) est ainsi passé « de 9,74 millions en 2015 à 11,62 millions en 2020, soit + 19,4 % », chiffre la Cour des comptes. Une évolution, marquée par le vieillissement de la population, à laquelle l’offre peine à s’adapter, dans un contexte d’érosion de la démographie médicale, des pharmaciens et des chirurgiens-dentistes. Parallèlement, les effectifs d’infirmiers, de sage-femmes et de kinés augmentent.
Une stratégie hésitante et des aides mal ciblées
En réalité, si une stratégie d’organisation des soins a bien réaffirmé durant les années 1990 « le caractère indispensable de l'adaptation des soins de premier recours », elle « ne s'est que peu traduite en objectifs opérationnels évaluables », constate la Cour des comptes. Elle a ainsi d’abord consisté à mettre l’accent sur le rôle « pivot » des médecins généralistes, avec une succession de plans visant à mieux orienter les aides versées aux professionnels de santé pour favoriser leur installation.
À partir des années 2010, c’est sur le développement de structures d’exercice coordonné, « fondé sur une complémentarité avec les autres professions de santé » que se sont concentré les efforts. Celles-ci couvrent aujourd’hui environ 20% de la population, regroupant en moyenne 15 à 20 professionnels de santé (médecins, infirmiers, sage-femmes, kinés…) . La loi de 2009*, elle, a défini le principe d’une politique publique pour organiser ces soins de premier recours, mais les mesures se sont succédé sans cohérence, déplore ainsi la Cour des comptes. Même constat pour les aides financières et d’accompagnement à destination des professionnels. « Au total, la superposition des mesures crée un effet de halo qui rend peu lisible l’ensemble. La stratégie affichée est trop générale pour être évaluée et suivie », juge-t-elle ainsi.
Environ 3 % de la population, soit 1,7 million de personnes, est très défavorisée en termes d’accès, tout à la fois, aux médecins généralistes, aux infirmiers et aux masseurs-kinésithérapeutes.
Des inégalités sociales et territoriales qui s'aggravent
L’autre point qu’elle souligne est relatif aux inégalités sociales et géographiques, qui provoquent les inégalités d’accès aux soins, que ce soit pour les médecins ou les autres professions de premiers recours. La densité de médecins varie ainsi dans une proportion d’un à cinq selon les territoires », note la Cour des comptes. Historiques, les inégalités territoriales ont tendance à se creuser : « Dans les territoires les moins bien dotés, il est six fois plus difficile d’accéder à un masseur-kinésithérapeute ou à un infirmier que dans les territoires les mieux dotés. » Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 20 % des Français connaissent au moins une difficulté d’accès à un professionnel de santé, dont la moitié des difficultés d’accès à plusieurs professions de santé. « Environ 3 % de la population, soit 1,7 million de personnes, est très défavorisée en termes d’accès, tout à la fois, aux médecins généralistes, aux infirmiers et aux masseurs-kinésithérapeutes », précise-t-elle.
La nécessité d'une stratégie nationale plus lisible
Pourtant, il existe des « éléments positifs », défend la Cour des comptes qui cite notamment les aides accordées par certaines collectivités en complément des dispositifs nationaux à des actions proches du terrain et surtout adaptées aux besoins des patients, mises en place par des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Pour éviter que « que ce dynamiques « n’oublient » des territoires entiers », le rapport préconise d’édifier une « stratégie globale », jugée « indispensable », afin de mobiliser l’ensemble des leviers disponibles, en adéquation avec les besoins de chaque territoire. Elle cite ainsi l’exemple des travaux engagés en Aveyron, qui permettent de définir les projets territoriaux d’organisation des soins de premier recours adaptés, qui sont ensuite déclinés par les CPTS.
« Ces projets, placés sous l’égide des délégations départementales des ARS et des CPAM mais ouverts à des partenariats, devraient être clairement animés par une logique de résultats, à partir d’une batterie très sélective d’indicateurs « d’alerte » », conseille-t-il. Les administrations nationales devant être, elles, amenées à ajuster les outils disponibles à ces projets et à en évaluer l’intérêt. Quant aux aides, elles devraient être plus « sélectives et ciblées sur les territoires les plus carencés. » Dans ces derniers, marqués par un enclavement ou de grandes difficultés sociales qui freineraient l’installation des professionnels, il apparaît pertinent d’implanter des centres de santé, qui seraient rattachés aux centres hospitaliers, ne serait-ce que pour faciliter l’accès pour les patients aux plateaux techniques disponibles dans ces établissements. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT), en particulier, « disposent en effet de moyens en encadrement et peuvent mutualiser la gestion de plusieurs centres », fait valoir la Cour des comptes. Elle préconise par ailleurs de « conditionner l’aide apportée aux différentes structures d’exercice coordonné par la signature de protocoles ».
Le rapport insiste enfin sur l’importance d’établir un suivi annuel de la politique d'amélioration de l'accès aux soins de premiers recours, qui serait placé sous le pilotage administratif du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales.
Mieux réguler la demande de soin
Autre piste soumise par la Cour des comptes : une meilleure régulation de la demande. « La mission de « filtre » d’entrée dans les soins qu’assurent les professionnels de premier recours les exposent à toutes les demandes, y compris à celles qui pourraient être traitées par la personne elle-même ou par d’autres professionnels, ou pour lesquelles la réponse pourrait être différée », observe-t-elle. 15 à 20% des consultations chez les généralistes sont motivées par des troubles psychologiques ou de santé mentale pour lesquels ils sont peu ou mal formés, donne-t-elle en exemple. Réduire les consultations jugées a posteriori évitables suppose toutefois « un travail d’éducation auprès des familles », qui serait facilité par la continuité des relations entre patients et soignants.
Enfin, la Cour des comptes recommande de changer de paradigme quant à la télémédecine. Essentiellement urbaine à l’heure actuelle, elle pourrait devenir « un outil de réduction des inégalités territoriales et sociales de santé », qu’elle a plutôt eu tendance jusque-là à creuser. Avec une condition : que les territoires soient par ailleurs suffisamment dotés en professionnels de santé (médecins et infirmiers en pratique avancée en particulier) pour assurer la continuité des soins. « Pour que la télémédecine constitue un levier d’efficacité et d’efficience pour les soins de premier recours et qu’elle ne se traduise pas, dans les zones sous-dotées, par un appauvrissement des pratiques, il convient de revenir à un cadrage accru de cette activité », passant a minima par un contact préalable entre patient et professionnel de santé.
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