La coopération et le partage de tâches entre professionnels de santé « sont de nature à réduire les délais d’accès aux soins, à renforcer l’attractivité des métiers et à améliorer la qualité des services rendus. » C’est la conclusion qu’a rendue la Haute autorité de santé (HAS) dans un nouvel avis rendu le 13 mars, qui y voit un moyen d’améliorer la qualité du système de santé, tout en maintenant celle des soins. La coopération, c’est d’ailleurs l’une des pistes souvent mises en avant pour limiter l’impact de la crise que traverse l’ensemble du secteur, marqué par le manque de moyens et de personnels. Le partage des tâches, estimaient récemment 4 anciens ministres de la Santé, est ainsi l’une des solutions pour libérer du temps médical. Une nécessité face aux déserts médicaux. Sur le terrain, selon une étude récente de la DREES, un tiers des médecins généralistes collaborent quotidiennement avec des infirmiers. Une proportion qui passe à plus de la moitié d’entre eux quand ils exercent en maison de santé pluriprofessionnelle.
Des protocoles aux résultats avérés…
On dénombre ainsi 57 protocoles nationaux de coopération autorisés. En 2022, ils ont permis « à un peu plus de 400 000 patients de bénéficier de près de 600 millions d’actes délégués. » Et, fait à souligner, très peu d’événements indésirables ont été rapportés (0,12%) et aucun événement indésirable grave n’a été déclaré. Si, côté patients, la satisfaction n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation, « celle des professionnels impliqués se révèle dès aujourd’hui acquise », précise l'autorité de santé
Instaurés à partir de 2008, les protocoles de coopération ont donc fait leur chemin dans la pratique quotidienne des professionnels de santé. Ils leur permettent ainsi d’opérer entre eux « des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de prévention » ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient. Issus du terrain, ils peuvent être déployés sur le territoire national après évaluation de leur pertinence et de leur sécurité par la HAS, souligne-t-elle. La création de l’Article 51, par exemple, introduit dans la loi de financement de la Sécurité sociale en 2018, donne la possibilité aux professionnels de santé d’imaginer des formes d’organisations innovantes qui contribuent « à décloisonner le système de santé » en s’appuyant sur la collaboration entre professionnels. Tel est le cas du projet d’immunothérapie à domicile qui a été développé au Centre Léon Bérard (Lyon), qui fait le lien entre les professionnels du centre, et ceux de la ville, dont des infirmiers amenés à suivre les patients chez eux. Ces protocoles ont un autre avantage : étendre les compétences des professionnels concernés. « Des modifications sont également intervenues dans les décrets de compétences de nombreux professionnels », illustre-t-elle, citant notamment masseurs-kinésithérapeutes ou pharmaciens, mais aussi la création de la pratique avancée pour les infirmiers.
… mais une mise en application qui reste limitée
Quinze ans après sa première prise de position, la HAS juge donc venu le temps pour cette politique publique de « franchir un nouveau cap ». Car, d’une part, le nombre de protocoles nationaux autorisés reste faible. Et de l’autre, leur application s’avère « très hétérogène : quand certains concernent plusieurs milliers de patients, d’autres n’en concernent que quelques dizaines », regrette-t-elle. Des 106 protocoles locaux autorisés, très peu ont évolué vers une application nationale alors que, parallèlement, le flux des bénéficiaires n’a pas fait l’objet d’une évaluation. Quant aux expérimentations développées dans le cadre de l’Article 51, elles commencent juste à se généraliser.
Les collaborations entre professionnels de santé, dépassent la simple réponse à des difficultés conjoncturelles. Elles méritent d’être développées parce qu’elles assoient la crédibilité du "virage ambulatoire" et sont cohérentes avec l’objectif d’amélioration continue de la qualité des soins.
Enfin, les progrès attendus par la mise en place de ces protocoles sont souvent freinés par des obstacles financiers et organisationnels. Ainsi la rémunération du protocole de coopération entre médecins et infirmiers pour la prise en charge à domicile des patients âgés ou en situation de handicap éprouvant des difficultés à se déplacer aux cabinets de médecins, officialisé par décret en octobre 2022, n’est-elle toujours pas fixée. 21 mois se sont pourtant écoulés depuis que la HAS a rendu un avis favorable à son application. « Nous n’avons pas atteint à ce jour tous les objectifs attendus d’amélioration de la prise en charge des patients, d’attractivité des métiers de la santé et de réponse aux tensions sur l’offre de soins », observe-t-elle. Et ce malgré le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), structures pourtant destinées à renforcer les pratiques en exercice coordonné.
Une pratique avancée qui peine à se déployer
Autre déception : le déploiement laborieux des infirmiers de pratique avancée (IPA). « On ne comptait fin 2022 que 1 718 diplômés en 4 ans ». Soit bien loin de l’ambition affichée par le gouvernement, qui table sur 5 700 diplômés en 2027. Il faut dire que ce nouvel exercice a encore du mal à trouver sa place dans le système de santé, entre rémunération qui ne correspond pas aux responsabilités de ces professionnels (salariés comme libéraux) et difficultés organisationnelles d’implantation sur le terrain et dans les équipes. Pour autant, la publication de l’avenant 9, qui embarque une évolution du système de rémunération en libéral, et le vote de la loi Rist tentent de rectifier le tir. Début 2024, les inscriptions à la formation d’IPA étaient en hausse pour la deuxième année consécutive après une année 2022 qui avait accusé une baisse des effectifs étudiants.
Quels leviers mobiliser ?
Pour accélérer la coopération et le partage de tâches entre professionnels de santé, la HAS liste plusieurs leviers. À commencer par lever les freins identifiés : complexité administrative qui entrave la mise en œuvre des protocoles, insuffisance, voire absence, des financements dédiés à leur déploiement et évaluation, limitation des compétences qui sont effectivement partagées, et absence de soutien aux équipes qui, sur le terrain, cherchent à s’engager « sur la voie des coopérations ».
Elle propose ainsi d’aménager les procédures d’examen des protocoles sur « la base d’un cahier des charges national qu’elle aura élaboré » et que les Agences régionales de santé (ARS) appliqueraient sur le terrain. Celles-ci pourraient également être sollicitées pour mieux mobiliser et flécher les moyens et ressources d’appui à destination des structures et des professionnels.
Pour la création d'un "forfait coopération" et une évaluation des protocoles
Elle défend ainsi la création d’un « forfait de coopération suffisamment valorisant pour tous ». « Des expérimentations montrent que cela est tout à fait possible, et ce d’autant plus que les structures d’exercice collectif ou les CPTS peuvent faire office de garants méthodologiques et de la répartition du forfait de coopération. » Demeure enfin la nécessité impérieuse de mieux évaluer les protocoles, afin de garantir la qualité et la sécurité des soins, « sédimenter les savoirs » acquis dans le cadre de la coopération et du partage de tâches et les transmettre, et alimenter les réflexions autour des évolutions des décrets de compétences qu’ils entraînent.
Plus largement, il lui paraît surtout indispensable « d’opérer un puissant changement de logiciel ». « Les collaborations entre professionnels de santé, quelles que soient leurs formes dépassent la simple réponse à des difficultés conjoncturelles d’accès aux soins. Elles méritent d’être développées parce qu’elles assoient la crédibilité du « virage ambulatoire » choisi par notre pays, sont cohérentes avec l’objectif d’amélioration continue de la qualité des soins et favorisent la cohésion des équipes professionnelles mobilisées », conclut-elle.
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