Comment attirer et retenir les soignants en poste, dans un contexte de pénurie mondiale aggravée par les conséquences de la crise sanitaire ? C’est à cette question que 5 panélistes ont tenté d’apporter un certain nombre de réponses lors du congrès du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone (SIDIIEF)*. Car si les problématiques rencontrées par les différents systèmes de soins sont variables, elles appellent des solutions qui peuvent être généralisables.
Une pénurie mondiale qui s’incarne diversement
« La pénurie, ce n’est pas un scoop, est mondiale », rappelle Isabelle Lehn, directrice des soins du Centre Hospitalier Universitaire vaudois (CHUV, Lausanne, en Suisse) et par ailleurs présidente du SIDIIEF. 40 000 infirmiers viendront à manquer en 2040 en Suisse. Au Liban, ce sont 2 500 infirmiers qui ont quitté leur poste depuis 2019, notamment après l’explosion du 4 août 2020 à Beyrouth, note de son côté Rima Sassine Kazan, présidente de l’Ordre infirmier libanais. La plupart sont partis s’installer d’abord dans les pays du Golfe, l’Europe puis l’Amérique du nord, fuyant un pays souffrant d’une multitude de crises Et la situation n’est pas meilleure au Canada, où, sur les 400 000 postes d’infirmiers existants, 40 000 ne sont pas pourvus. « 17 ou 18% des postes en soins infirmiers sont vacants dans les établissements », estime Linda Silas, présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers. Une pénurie, juge-t-elle, qui était prévisible depuis 20 ans.
À ces manques de personnels s’ajoutent de fortes disparités dans leur répartition sur les territoires. En France, observe François Giraud Rochon, directeur de soins à l’hôpital de Salon-de-Provence, ils touchent essentiellement l’hôpital public. « Selon la carte de répartition des infirmiers en France réalisée par notre Ordre, les professionnels se dirigent vers le privé ou le libéral, avec certains territoires qui se retrouvent avec une surabondance d’infirmiers ». Le sentiment de pénurie généralisée s’explique aussi, relève-t-il, par une charge en soin devenue « considérable », la crise sanitaire ayant majoré des situations difficiles pré-existantes.
À cette pénurie quantitative, s’ajoute une pénurie de compétences. Les infirmiers qui quittent leur poste sont « des gens avec de l’expérience », alors que les jeunes diplômés souffrent d’un défaut d’expertise, d’autant plus qu’ils se sont formés en pleine crise du Covid-19. Des conditions qui ont rendu difficile l’accès à des terrains de stages diversifiés, remarque Rima Sassine Kazan. « La majorité de nos équipes ont moins de 3 ans d’expérience, avec des infirmiers très novices », abonde Renée Descôteaux, chercheure et directrice des soins infirmiers du Centre hospitalier de l’université de Montréal.
Moins un problème d’attractivité qu’une question de rétention
Paradoxalement, s’accordent les intervenants, les instituts de formation font le plein, avec une profession infirmière qui continue d’attirer les jeunes candidats. Mais les jeunes générations ne veulent pas, à juste titre, s’accommoder des mêmes conditions de travail que les précédentes. « Les nouveaux diplômés ne veulent pas prendre plus qu’un temps partiel, soit pas plus de deux jours de travail par semaine », remarque Linda Silas. « Les jeunes ne cherchent qu’une chose : concilier vie personnelle et vie professionnelle », ajoute François Giraud Rochon. « J’ai pu voir des collègues fatigués, qui travaillent beaucoup plus qu’un temps plein pour combler les manques de personnels. Ce n’est pas très motivant pour les nouveaux », confirme une auditrice, jeune diplômée.
Le Liban, lui, est confronté à une problématique différente. Les nouveaux diplômés voient en effet dans la formation infirmière un passeport pour quitter le pays, illustrant ainsi une crise éthique de plus en plus prégnante qui voit les pays du sud se vider de leurs professionnels de santé au profit des pays du nord. C’est donc bien la question de la rétention qui se pose, plutôt que celle de l’attractivité.
Des solutions multiples à mettre en œuvre
Une fois le constat posé, quelles solutions apporter pour retenir les professionnels en poste ? Au-delà du besoin de reconnaissance et de valorisation du métier et des possibilités de développement de carrière, présents dans toutes les revendications quel que soit le pays, « nous ne pouvons pas approcher la pénurie de manière mathématique. Il faut retrouver le sens de ce que nous faisons en tant que professionnels», défend Renée Descôteaux. Ce qui passe nécessairement par laisser la possibilité aux infirmiers de faire pleinement usage de leurs compétences et de capitaliser sur la plus-value de leur rôle propre. « Il faut que les infirmiers puissent utiliser toute l’étendue de leur pratique. C’est ce qui fera rester les professionnels, et les patients en face seront mieux pris en charge », affirme ainsi Isabelle Lehn. « 50% de ce qui est attendu de notre part n’est pas fait », regrette en effet Renée Descôteaux, notant qu’en période de pénurie, ce qui se rapporte à l’autonomie des infirmiers tend à être sacrifié.
Or gagner en autonomie constitue un facteur d’attractivité et de rétention, note Rima Sassine Kazan. « Les jeunes diplômés », plus particulièrement, « ne considèrent plus la profession comme une vocation. Ils veulent être des infirmiers autonomes. » Et il s’agirait également de mieux accompagner leur intégration dans les services, voire les préparer plus en amont, dès la formation, aux réalités du terrain afin d’adoucir le choc que peut parfois représenter la prise de poste.
Il est aussi essentiel de faire participer les infirmiers aux discussions relatives à l’organisation des services. « Il faut donner de la place aux échanges au sein de l’équipe », martèle Isabelle Lehn. « Les infirmiers font certes connaître les problèmes, mais ils apportent aussi des solutions », qui peuvent être innovantes. Autre élément d’attractivité, corollaire de cet argument : laisser la possibilité aux infirmiers de choisir leurs horaires, en bonne intelligence avec le reste du service. « Les roulements en 12 heures sont présents dans presque tous nos établissements » en Suisse, poursuit-elle, « mais ce sont des horaires qui ont été choisis. » En France, rappelle François Giraud Rochon, les horaires en 12 heures sont dérogatoires, mais tendent à se généraliser. « Les jeunes diplômés ne se rendent pas compte de la pénibilité de tels horaires », nuance-t-il.
Les hôpitaux ont aussi la responsabilité de proposer des conditions de travail qui soient attractives, explique Renée Descôteaux, évoquant le concept de "Magnet hospitals". Apparu dans les années 1980 aux États-Unis, ce concept est devenu un label dans les années 1990. Pour l’obtenir, les établissements doivent remplir un certain nombre de critères (organisationnels, managériaux) qui encadrent la pratique infirmière, parmi lesquels une culture du soin centrée sur les besoins des patients, le respect de l’autonomie des soignants dans leur sphère de décision clinique, la mise en place d’un leadership infirmier de type transformationnel, ou encore un mode de management participatif. Dans ces hôpitaux, une meilleure performance des soins, une plus grande implication des soignants et une plus grande fidélité des personnels sont, entre autres, observées. « Il n’y a rien de compliqué à mettre en place. Il faut s’en inspirer », juge Renée Descôteaux.
De la nécessité de savoir prendre la parole
Mais pour défendre leurs positions, encore faut-il que les infirmiers apprennent à porter leur voix en public, et de manière collective. « Il est très important de se préparer pour discuter » avec les pouvoirs publics, encourage en effet la présidente de l’Ordre libanais. « Nous avons fait venir des experts pour nous apprendre à le faire. Et nous nous sommes ensuite assis [avec les institutions et le ministère de la Santé] pour trouver des solutions innovantes pour retenir nos infirmières. » Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la problématique est abordée au sein du SIDIIEF, qui appelle à une prise de parole par les infirmiers pour défendre la professionnalisation du métier. « Il nous faut travailler à prendre plus largement une parole publique », abonde Renée Descôteaux. « Il nous faut trouver des représentants dont la profession peut être fière. » La pénurie et les problèmes d’attractivité étant mondiaux, «il faut que nous travaillions tous ensemble sur les solutions que nous venons de lister et que nous les inscrivions dans le long terme », conclut Isabelle Lehn.
*Qui s'est tenu à Ottawa, du 16 au 19 octobre.
IDEL
Vidéo - "Avec un enfant, il faut savoir être enveloppant"
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse