Attractivité du métier, gestion des postes vacants… Lors de sa dernière grande discussion, le Sidiief, association emblématique des infirmiers francophones*, s’est intéressé au problème majeur de la pénurie infirmière. Joëlle Durbecq est directrice du département infirmier aux Cliniques universitaires Saint-Luc, en Belgique francophone. Elle a détaillé les mesures mises en place dans son établissement pour y répondre.
La pandémie, accélérateur de la pénurie infirmière
"Cette pénurie existe depuis une dizaine d’années en Belgique : les infirmières que nous formons ne suffisent pas à remplir tous les besoins"
, souligne Joëlle Durbecq mais elle s’est encore aggravée lorsque les études d’infirmières sont passées de 3 ans à 4 ans, en 2016, conformément aux normes européennes
. (cf visuel plus bas). Sur le terrain, cette pénurie se traduit "par des fermetures de lits, environ 100 lits sont actuellement fermés aux Cliniques universitaires Saint-Luc, ce qui correspond environ à 10% des infrastructures. Il nous manque aussi 10% d’infirmières, essentiellement en soins généraux"
, comptabilise l’infirmière, qui constate également un absentéisme important ces dernières années, encore aggravé par la crise du Covid. ("Nous avons doublé notre taux d’absentéisme au moment de la dernière vague, au mois de janvier. Cela représente près de 130 équivalents temps plein qui ne sont pas sur le terrain"
). Joëlle Durbecq évoque aussi "des absences de longue durée. Ce que l’on entend, c’est que certaines infirmières ne veulent plus venir travailler dans un hôpital où les conditions de travail se sont trouvées si dégradées pendant deux ans"
. Enfin, le recrutement reste compliqué par manque d’étudiants en soins infirmiers.
Huit mesures stratégiques
Recours important à l’intérim
La toute première mesure concerne le recours important à l’intérim . "Nous considérons que si 4 à 5% de notre personnel vient de l’intérim, cela reste une situation saine"
, rapporte Joëlle Durbecq. Remplacements de congés ou de professionnels malades, le recours à l’intérim "apporte une flexibilité qui satisfait tout le monde"
, assure-t-elle. Pendant la pandémie, le recours à l’intérim est ainsi passé à 9%, et il va être amené à perdurer à ce niveau haut. Malgré tout, la mesure comporte ses inconvénients : elle est onéreuse d’abord pour les établissements, et pas toujours adaptée. "C’est particulièrement compliqué car les personnes recrutées par ce biais, bien que de très bonne volonté, ne connaissent pas le service (en soins intensifs notamment, il est très difficile de fonctionner avec des intérimaires)"
.
Fermetures de lits bien choisies
"Nous avons également dû nous résoudre à des fermetures de lits, mais nous avons choisi de le faire dans plusieurs services plutôt que de fermer des unités de soins)"
, confie la cadre de santé belge. 6 lits parmi les 30 qui existent dans une dizaine d’unités de soin au total ont donc été fermés. "Pour l’avoir vécu, fermer des unités de soins est traumatisant pour les équipes : les infirmiers perdent leurs équipes, leurs chefs, la pathologie à laquelle ils sont associés. C’est pourquoi nous avons préféré fermer des lits dans plusieurs unités, sur la demande des professionnels, afin de les retenir. Nous avons dans le même temps renforcé le duo entre la cadre de santé et le médecin chef afin que les difficultés rencontrées soient plus facilement reconnues et que le dialogue s’installe plus facilement"
.
Création d’une équipe d’optimisation du travail
Un grand chantier "d’optimisation du travail"
a du reste été mené : "quand on n’a plus assez de ressources, on se pose les questions fondamentales. Nous avons donc cherché ce qui pouvait par exemple être simplifié, ou qui pouvait être délégué"
explique Joëlle Durbecq. Pour cela, l’hôpital a constitué "une équipe d’optimisation qui analyse la situation dans 6 unités de soins"
. Constituée pour moitié d’infirmières formées à la gestion de projet
, elle a étudié les échecs de ce qui a été mis en place pendant la crise sanitaire pour en tirer les leçons. Quelques exemples : "Le trajet du médicament est particulièrement compliqué dans notre établissement, donc nous mettons nos efforts pour fluidifier ce process. Par ailleurs, nous avons réalisé le besoin crucial du service support sur place (et non pas en télétravail) pour éviter que l’infirmière ne passe trop de temps au téléphone pour des soucis informatiques par exemple. Cette situation avait beaucoup énervé dans les rangs infirmiers durant la crise"
. Enfin, autre mesure héritée de ces temps douloureux : une plus grande délégation du travail aux aides-soignants.
Entraide et communication
"Nous avons fait jouer la solidarité et favorisé l’entraide de toute l’institution et de tous les métiers"
, précise ensuite Joëlle Durbecq. Un courrier a ainsi été envoyé à tous les membres du personnel "pour communiquer sur la situation de pénurie et pour faire appel à toutes les bonnes volontés : cela peut aller d’une heure par jour de son temps consacré à donner à manger aux patients, à des actes techniques, administratifs, en passant par répondre au téléphone…"
L’accueil a été positif parmi les infirmiers qui se sont sentis entendus. Malgré tout, la réponse a été mitigée. En outre, "il s’agit là d’une mesure qui ne peut pas être pérenne"
, reconnait-t-elle, puisqu’elle implique une énergie difficile à mobiliser dans le temps.
Réunion quotidienne pour repenser la répartition des effectifs
Toute l’équipe de direction a également décidé d’une courte réunion chaque jour consacrée à la question. "On parcourt toutes les unités où il n’y a qu’une seule infirmière. On met alors toute notre énergie à régler ces situations pour répartir les forces. Parfois il nous a fallu une heure et demi pour trouver une solution, mais on l’a trouvée"
, assure Joëlle Durbecq.
Communication auprès des médecins
Enfin, cette pénurie infirmière étant inscrite dans le temps, il a fallu communiquer auprès des médecins "qui avaient du mal à l’entendre"
. Depuis début janvier, Joëlle Durbecq se rend donc une fois par semaine dans les comités de direction médicale "pour informer de la situation, des mesures correctrices"
et pour éventuellement décider de façon concertée "des bonnes actions à prendre"
.
Les grandes discussions du Sidiief : de quoi s’agit-il ?*
Le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone (Sidiief) anime "des discussions internationales sur les évolutions inévitables de nos sociétés et de la profession infirmière à l’heure de l’urgence sanitaire mondiale"
. Tous les deux mois environ, des acteurs-clés de la profession témoignent de leur expérience et posent un regard éclairé sur l’avenir
.
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