A LA LOUPE

Des infirmiers dévoilent leurs fiches de paie

Publié le 29/09/2022

Dans un contexte de pénurie de soignants, et notamment de paramédicaux, le salaire est souvent invoqué comme l'un des leviers possibles d'attractivité. Or, la France est régulièrement pointée du doigt car les infirmiers y seraient faiblement rémunérés . Les revalorisations salariales du Ségur , si elles ont apporté un peu d'air, ne suffisent pas à retenir les professionnels de santé. Nous avons voulu connaître, dans le détail, la réalité de l'évolution des salaires infirmiers, au fil d'une carrière. Quatre d'entre eux ont accepté de se prêter au jeu et ont détaillé pour nous leurs fiches de paie. 

A quoi ressemble l'évolution de salaire d'une carrière infirmière ? Voici 4 exemples choisis.

 

Julie

42 ans

IDE diplômée de juillet 2021

Titulaire de la Fonction Publique Hospitalière, échelon 2.

 

  • Avant de devenir infirmière, Julie a exercé comme aide-soignante pendant 20 ans. Elle a alors la sensation qu’elle arrive au bout de ce qu’elle peut apprendre en tant qu’AS et souhaite évoluer sur le plan de la carrière et du salaire. Sa dernière fiche de paie en tant qu’AS - elle est alors en poste au CHU de Brest dans le service de Médecine/Chirurgie/Obstétrique (MCO) - affiche : 1663 euros net ; salaire brut : 1738,20 euros. Elle est alors à l'échelon 8 ; Indice 380.
  • Diplômée en juillet 2021, elle commence comme infirmière au CHU de Brest, en psychiatrie adulte (ce n’est pas son choix, mais elle doit 5 ans à l’hôpital qui lui a payé sa formation). Elle touche 2057 euros net (primes comprises : elle travaille de nuit et à temps plein) ; salaire brut : 1827,55Elle est alors à l'échelon 1 - Indice 390.
  • Un an plus tard, en août 2022, elle change d’échelon, passe ainsi à l’échelon 2. Son salaire net est alors de : 2385,35 avec primes (heures supplémentaires, primes de nuit et primes du Ségur) ; salaire brut : 1989,97. Indice 419. 

Je suis plutôt satisfaite de mon évolution de carrière mais j'aurais aimé que mes années d'exercice en tant qu'aide soignante soient prises en compte dans mon ancienneté, explique Julie. En effet, ayant travaillé pendant 20 ans en tant qu'aide-soignante, je recommence à zéro et au 1er échelon. J'ai l'impression que toutes ces années d'efforts n'ont pas été prises en compte.

 

Alexandre Buissière

42 ans

IDE diplômé en 2004

Exerce aujourd’hui dans le privé, dans le secteur médico-social

  • En décembre 2004, Alexandre Buissière se trouve en poste au CHU de Grenoble, en médecine cardio, à temps plein. Il dégage son premier salaire infirmier : Il est alors contractuel et touche 1391 euros net ; salaire brut : 1705 ; Echelon 2 ; Indice : 323.
  • Il passe titulaire début 2006 et voit son salaire légèrement augmenter : 1462 euros net ; salaire brut : 1810 ; Echelon 2 ; Indice 323. 
  • Décembre 2006 : il change d’échelon et passe à l’échelon 3. Indice : 343. Il touche alors 1576 euros net ; salaire brut : 1951. 
  • Décembre 2009, changement d'échelon : il passe à l'échelon 4, indice 367 et touche 1686 euros net, soit en brut : 2098 euros.
  • En octobre 2010, il est embauché chez un prestataire de santé dans le secteur privé. Il fait alors de la coordination de parcours patient vers le domicile. Il est embauché à 1903 euros net, soit 2811 brut. Il restera à ce poste deux mois seulement car il se sent éloigné du soin.
  • Il prend alors un CDD de 4 mois, de nuit, à l’hôpital psychiatrique de Grenoble. Echelon 6 (il a pu négocier son échelon pour garder son salaire). Avec les primes de nuit, il touche 2146 euros net, soit 2631 brut ; Indice : 453. Il quitte ce poste en mars 2011.
 
  • Avril 2011 : passage en libéral à Grenoble, pour 8 ans. Il effectue d’abord 3 ans de remplacement : il gagne alors 2400 euros net par mois et 4800 euros brut. Puis, il travaille comme associé pendant 5 ans : avec 12/13 jours de travail dans le mois et des journées de 12 à 14h, il touche 3 000 euros net par mois, soit 6000 euros brut. (le brut en libéral correspond au chiffre d'affaire mensuel, il incombe directement à la personne de payer ses charges). Malgré tout, il ressent fatigue et essoufflement face à un rythme difficile.
  • Fin 2018 : retour au CHU de Grenoble dans un poste de « faisant fonction cadre formateur » à l’IFSI du CHU. Il donne des cours pendant deux ans et touche 1719 euros net, soit 2132 brut. Il est à l'échelon 3 ; Indice 386.
  • Il part ensuite travailler en tant que cadre de santé en Ehpad à Chambéry. Il s’occupe du management d’équipe, gestion de planning, des stocks, des commandes … et gagne 2131 euros net ; 3040 brut. Il occupe toujours ce poste actuellement.
  • La première prime Ségur (mise en place en septembre 2020) porte son salaire à 2314 euros net ; 3355 brut. S’ajoute à cela une prime pour accompagnement d’apprentis (propre à la convention collective), soit 100 euros par mois. Il touche donc 2414 euros net ; 3455 brut.
  • Avec le Ségur 2, (dont les primes sont mises en œuvre en janvier 2022) il touche 2600 euros net par mois (avec quelques heures supplémentaires) ; 3517 euros brut.

Considérant nos compétences, notre diplôme et les exigences de notre exercice, on est très mal payés, résume Alexandre Buissière, soulignant que les infirmiers ont la vie des patients entre les mains et des responsabilités qui ne sont pas reconnues. Si le Covid a eu le mérite de mettre en lumière à la fois l'importance du métier mais aussi les compétences des infirmiers, ce qui a permis d'appuyer nos revendications, la situation reste encore fragile, assure-t-il. Le Ségur a redonné un peu de pouvoir d’achat et de reconnaissance aux soignants mais on garde en tête qu’il s’agit de primes et qu’on peut les perdre du jour au lendemain. Aujourd'hui, le rapport de force est clairement en notre faveur (à cause du manque d'attractivité et des difficultés de recrutements notamment parmi les paramédicaux), mais nous continuons à aspirer  à une véritable reconnaissance de nos compétences, avec une rémunération enfin attractive.

 

Gauthier Golliot 

24 ans

IDE depuis 2 ans en psychiatrie à la FPH de Narbonne. Diplômé depuis 2020.

  • Premier salaire infirmier : il est embauché en août 2020 à l’hôpital de Carcassonne (en Occitanie), en oncologie, en journée, à temps plein et touche : 1583 euros net ; soit en brut : 2030 euros. Il est alors à l'échelon 1 ; indice 379.
  • En septembre 2020, le Ségur lui apporte + 183 euros. Il passe ainsi à 1801 euros net, soit 2241 euros brut ; même indice.
  • Il passe ensuite un an à l’hôpital de Narbonne (Occitanie), en psychiatrie, à temps plein. Il est toujours à l’échelon 1 et gagne 1730 euros net, soit 2200 euros brut (soit le salaire de base, minimum à cette fonction). Il effectue ensuite un week-end sur deux à l’hôpital (une obligation, intégrée dans leur roulement) et passe alors à 1800 euros net, soit 2330 euros net, pour un temps plein comprenant un week-end sur deux (prime du dimanche incluse). 

Pour ma part, je trouve que le Ségur a été positif. On était quasiment les derniers en termes de salaires par rapport à la moyenne européenne et le Ségur nous a permis de se placer un peu en dessous de la moyenne européenne. Pour autant, au niveau de l'évolution du salaire infirmier, ce qui me choque c'est la différence entre les chiffres officiels et la réalité. Sur son site, le ministère annonce 2 000 euros net pour un infirmier jeune diplômé. C'est absolument mensonger. En réalité, c'est un salaire que l'on peut toucher au bout de 4 à 6 ans. Pour résumer : le Ségur a fait du bien mais par rapport au niveau d'étude que demande le métier, par rapport aux responsabilités, au fait d'avoir des vies humaines entre les main, on est clairement sous-payés.   

 

Guillaume

Infirmier militaire depuis décembre 2015, d’abord comme hospitalier militaire puis infirmier des forces dans une base

32 ans

  • En décembre 2015, Guillaume occupe son premier poste d’infirmier militaire à l’Hôpital d'Instruction des Armées Percy, à Clamart, près de Paris. Avec les primes liées au statut de militaire, il gagne : 1960 euros net. 2230 euros brut ; Echelon 2 ; indice 363.
  • En septembre 2019, il devient infirmier en base militaire et son salaire connaît une évolution calquée sur la fonction publique : avec un échelon 2 indice 404, il touche 2482 euros brut - (la solde de base à laquelle viennent s’ajouter des primes de départ, le salaire fluctue donc beaucoup en fonction des missions intérieures ou extérieures mais aussi en fonction de la composition du foyer et de l’habitation).
  •  A partir de Janvier 2022, comme il a le même statut que les infirmiers hospitaliers, il touche une prime de 50 euros mensuelle liée au Ségur. En juillet, les salaires des fonctionnaires sont également revalorisés de 3,5%. Il est alors à l’échelon 3 ; indice 442 et touche 2114 euros net, soit en brut : 2633 euros.

Que nous soyons infirmier miliaire hospitalier ou infirmier militaire des forces, nous sommes tous calqués sur la grille de la Fonction publique hospitalière. Seule différence, actuellement dans les forces, nous ne touchons pas la prime Ségur à taux plein. Globalement, mon impression est que nous sommes sous-payés par rapport à notre fonction. L’évolution de salaire n’est pas très satisfaisante.

 

Retrouvez les autres articles de notre dossier sur les salaires :

Dossier "Salaires"/1 : Pourquoi la France paie-t-elle si mal ses infirmiers ?

Dossier "Salaires" /2 : Où en est-on vraiment ?

- Dossier "Salaires" /3 : Comment décrypter les revalorisations de grille ?

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com