Le métier d’infirmier en médecine légale demeure très confidentiel. Comment en êtes-vous arrivée à l’exercer ?
Au cours de mes études, j’ai effectué un stage au Brésil. Là-bas, j’ai découvert qu’il y avait autant de spécialités pour les infirmiers qu’il y en avait pour les médecins. Et cela m’a donné envie de poursuivre mes études au-delà des 3 années de la formation socle. J’avais fait un stage aussi aux urgences et j’avais pu voir un peu ce qu’était le Centre d'accueil spécialisé pour les agressions (CASA) du CHU de Rouen, qui est l’équivalent d’une unité médico-judiciaire. Comme ça me plaisait, je me suis renseignée pour savoir comment je pouvais travailler en médecine légale. Or il n’y a pas d’infirmier spécialisé dans ce domaine. Donc j’ai postulé à des masters en médecine légale, comme les médecins, et j’ai été acceptée dans le master « Médecine légale, criminalistique, archéothanatologie, victimologie » à Nancy. J’ai ensuite effectué trois autres stages : en institut médico-légal au Brésil, un en unité médico-judiciaire (UMJ) à Nancy et un dernier en Suisse, dans une unité de médecine de violence (UMV) qui est un peu la référence européenne en termes de prise en charge des victimes de violences en Europe. Une fois diplômée, j’ai suivi en 2021 mon professeur de médecine légale de l’université de Nancy, qui devenait chef de service à Montpellier. Par la suite, j’ai réussi à trouver un poste en Bretagne, à Lorient : c’était une création de poste donc j’ai pu expérimenter plus de compétences. Et depuis janvier 2024, je suis également experte à la Cour d’appel de Rennes.
Si je peux dire que je suis la première infirmière en médecine légale diplômée d’un master, je ne suis pas la première infirmière en médecine légale. J’ai appris le métier grâce à mes collègues qui, elles, ont dû apprendre sur le tas.
Nous sommes aujourd’hui 106 infirmiers en médecine légale sur le territoire.
La création de la société francophone des infirmiers en médecine légale a été récemment officialisée. Quel a été votre cheminement pour y parvenir ?
J’ai mené une étude entre février 2022 et février 2023 pour recenser les infirmiers qui exercent dans ce secteur, dont j’ai présenté les résultats lors du dernier Congrès en médecine légale. J’ai appelé les UMJ une par une pour leur demander si elles intégraient des professionnels et si je pouvais échanger avec eux. C’était un travail faramineux !
C’est une fois récupérées les coordonnées de ces infirmiers que j’ai pu commencer à organiser tous les quatre mois des réunions de réseau : on y fait du lien entre infirmiers, on récapitule l’actualité de la profession, et deux infirmiers viennent également présenter les spécificités de leurs UMJ respectives. Et nous avons organisé en septembre 2024 le premier colloque francophone des infirmiers en médecine légale (voir encadré), où nous avons officialisé la création de la Société francophone des infirmières en médecine légale (SFIML). Une expérience que nous comptons répéter tous les deux ans. Au sein de l’association, nous sommes cinq pour l’instant, qui composons le Bureau, en attendant la parution de la création de la Société au Journal Officiel.
Qu’un infirmier puisse travailler en médecine légale, une spécialité jusque-là plutôt médicale, n’est pas une évidence.
En quoi cette association est-elle importante pour la profession ?
La profession d’infirmier en médecine légale existe depuis la réforme de la médecine légale de 2010, et nous sommes aujourd’hui 106 sur le territoire. Une UMJ sur deux dispose d’au moins un infirmier en médecine légale. Mais l’exercice demeure peu connu parce que le métier est nouveau. Qu’un infirmier puisse travailler dans ce domaine, qui était une spécialité jusque-là plutôt médicale, n’est pas une évidence. La SFIML a donc pour objectif de mettre en relation les infirmiers en médecine légale, de donner de l’information et de faire connaître le métier auprès de nos autres collègues infirmiers. De le développer également, en collaboration avec nos collègues médecins. Il faut que l’on arrive à trouver ensemble ce que sera l’infirmier en médecine légale de demain, qui soit utile pour les victimes et pour les médecins.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Nous nous sommes mis en lien avec la société française de médecine légale et d’expertises médicales (SFMLEM), et j’ai demandé que nous l’intégrions. Car c’est la société qui représente l’ensemble des professionnels de santé du monde judiciaire. Actuellement, la cotisation est trop élevée pour les infirmiers, donc nous réclamons un tarif spécial, de 50 euros maximum. Nous souhaitons également un tarif spécifique pour le Congrès international francophone de médecine légale qui soit équivalent à celui pratiqué pour les internes,. Et nous voudrions enfin un siège réservé à un infirmier au sein de la SFMLEM ; il serait désigné par l’association. Parallèlement, nous travaillons à un projet de formation pour les futurs infirmiers en médecine légale. Pour l’instant, la SFIML est simplement une vocation, et il est trop tôt pour dire si elle deviendra une société savante. Mais elle intègre déjà un but d’enseignement et de recherche, c’est inscrit dans ses statuts.
Et dans un plus court terme, nous prévoyons début 2025 de créer un site internet et l’ouvrir aux adhérents. Les infirmiers en médecine légale travaillant en UMJ, en Unité d’accueil pédiatrique enfance en danger (UAPED) ou en Cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) pourront y adhérer.
Organisé le 20 septembre 2024, le premier colloque francophone des infirmiers en médecine légale a été l’occasion d’officialiser la création de la SFIML. Mais il a aussi constitué un moment d’échanges privilégiés entre les quelques quarante infirmiers en médecine légale qui s’y sont déplacés. « Il y avait aussi des médecins en médecine légale », rapporte Maëlle Guyomard. « C’était une découverte pour beaucoup d’infirmiers qui n’avaient jamais assisté à un colloque, et une découverte des pairs, une opportunité de pouvoir échanger sur les pratiques de chacun. » À titre d’exemple, des infirmiers sont intervenus pour parler du remplissage des certificats de décès en collaboration avec des médecins, ou encore de modes d’organisation alliant service des urgences et UMV. « Il y a également eu une communication sur Mayotte. Comme il y a très peu de médecins légistes, le rôle et les compétences des infirmiers sont très développés en termes de recueil des prélèvements et de thanatologie. »
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