QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL

Les infirmiers anesthésistes alertent sur leur mauvaise qualité de vie au travail

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Publié le 04/09/2024

Le syndicat national des infirmiers anesthésistes a présenté les résultats de son enquête destinée à mesurer la qualité de vie au travail de ces professionnels. Il constate une dégradation de la situation et de fortes disparités entre secteurs public et privé.

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Réformes hospitalières, dont création de la tarification à l’acte (T2A), masterisation de la profession, pandémie de Covid-19…, la dernière décennie a été marquée par une succession de crises et de mutations qui ont nécessairement eu des impacts sur les infirmiers anesthésistes (IADE) et leur exercice. C’est dans ce contexte que le Syndicat national des infirmiers anesthésistes (SNIA) a voulu mesurer la qualité de vie au travail de ces professionnels, plus de 10 ans après sa première enquête. « Nous avions laissé en 2011 une population IADE (Infirmier(e)-Anesthésiste Diplômé d’Etat) forte, fière de son identité professionnelle, mais qui touchait du doigt de nombreux manques de reconnaissance de leurs compétences et de leur investissement dans les établissements de santé », explique le SNIA en présentation des résultats de son enquête.

Des dépassements d’horaire trop fréquents

Entretemps, la situation s’est dégradée au point de devenir « alarmante », juge le syndicat. La qualité de vie au travail obtient ainsi une moyenne de 5,57/10, soit en-dessous de « la plupart des enquêtes nationales », avec toutefois des disparités selon les milieux d’exercice. Ainsi, elle plafonne à 5,46 au sein de la fonction publique hospitalière (FPH), alors qu’elle atteint 6,55 au sein des sociétés d’anesthésie.

Premier facteur qui explique cette dégradation : le dépassement particulièrement fréquent des horaires de travail. Ils sont une majorité d’IADE (87,1%) à déclarer travailler plus que leurs heures prévues. Dans le détail, 8,7% le font tous les jours, 41,2% au moins une fois par semaine, et 22,8% au moins une fois toutes les deux semaines. « La moyenne d’heures supplémentaires en plus du travail légal est de 13 h 30 par mois, la médiane de 10h en plus du temps de travail légal, le maximum étant à 45h par mois sur notre échantillon », note le SNIA.

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Graphique présentant l'origine des heures supplémentaires en fonction des réponses élaborées sur 6 niveaux six niveaux allant de “jamais” à “très souvent”. © SNIA

Il existe des disparités entre les hommes et les femmes, ceux-ci faisant plus d’heures supplémentaires en moyenne par mois (9,28 heures) que les femmes (7,73 heures). « 72% des heures supplémentaires effectuées sont imposées régulièrement par l’organisation du service », est-il ajouté. 43% des professionnels qui effectuent quotidiennement des heures supplémentaires déclarent toutefois le faire sur la base du volontariat.

Pour près de 60% des IADE, leur activité professionnelle a un impact important sur leur vie personnelle.

À cette charge de travail s’ajoutent les gardes et astreintes à domicile : 56,6% des IADE pour les premières, et 49,4% pour les secondes, dont 32,05% pour lesquels elles sont hebdomadaires. Dans les deux cas, c’est la fonction publique hospitalière qui pèse le plus lourdement, puisqu’elle concentre plus de 95% des effectifs. Or, souligne le SNIA, gardes et astreintes provoquent accumulation de fatigue, augmentation du stress ou d’irritabilité ou encore des troubles du sommeil. « Pour près de 60% des IADE, leur activité professionnelle a un impact important sur leur vie personnelle », observe-t-il, mettant en avant les « longues heures » de travail, les « situations stressantes » et les « prises de décisions complexes » inhérentes à leur profession, et qui ont impact non négligeable sur leur qualité de vie. « En effet, les horaires irréguliers, les gardes de nuit, les rotations et la charge de travail élevée peuvent entraîner des défis pour concilier vie professionnelle et vie personnelle. »

Fatigue, stress, pression

Conséquence, les IADE témoignent d’un ressenti de stress et de pression, né de ce qu’ils perçoivent comme une course à la rentabilité. Ils évoquent pour beaucoup une « perte de sens » du métier. Des disparités dans la perception de ces conséquences existent toutefois entre les hommes et les femmes. Si celles-ci déclarent être plus stressées et fatiguées moralement et physiquement et ressentir plus d’insécurité et de pression hiérarchique, les hommes, eux, font part d’un « désintérêt plus prononcé pour le travail ». Ces sentiments de stress et de fatigue sont particulièrement présents chez les IADE qui exercent des fonctions d’encadrement : 90% d’entre eux admettent ressentir du stress et 82,8%, des pressions hiérarchiques. Quant aux impacts sur la vie personnelle, ils sont 24% à considérer leurs familles souffrent de leur profession et des conditions de travail qu’elle impose. Là encore, c’est du côté des IADE exerçant au sein de la fonction publique hospitalière que ce sentiment est le plus prégnant.

Mais  « le sentiment d’être utile » et une motivation qui subsistent

Pourtant, paradoxalement, « les mots polyvalence, compétence et expertise sont les premiers mots sur lesquels les IADE s'accordent à plus de 91%. Ce sont des termes très positifs et prédominants dans les réponses des IADE », relève le SNIA. De même, la majorité des répondants interrogés expriment le « sentiment d’être utiles, témoignant d’une motivation intrinsèque » à leur travail, en particulier chez ceux qui exercent dans le secteur privé. Ils affirment ainsi plus fortement bénéficier d’une réelle reconnaissance, de la part des autres professionnels – IADE, médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR), entre autres – et de la hiérarchie, et accéder à une plus grande réalisation personnelle. Ce dernier sentiment pourrait notamment s’expliquer par le fait que les IADE qui exercent dans le privé sont amenés à « assumer un large éventail de responsabilités cliniques » et profitent d’un plus large degré d’autonomie, commente le syndicat.

Le manque de reconnaissance par la direction de l’établissement est ressenti par 80% des IADE interrogés.

Une faible reconnaissance de l’encadrement…

L’encadrement, poursuit le SNIA, joue par ailleurs un rôle important dans la perception de la qualité de vie au travail. À l’échelle de l’équipe, la filière d’origine des cadres est notamment présentée comme l’un des éléments qui influencent la perception des conditions de travail. « Les IADE encadrés par des cadres issus exclusivement de la filière IDE ont un sentiment de reconnaissance plus faible par rapport à ceux dont l'encadrement est issu d'une autre filière », notamment de la part des médecins hors MAR et des autres professionnels de santé, constate le syndicat Ces professionnels éprouvent également plus de stress, d’incertitude. ou encore le « sentiment d’être un pion » Pour autant, que l’encadrement provienne de la filière IADE n’est pas non plus gage d’une reconnaissance élevée de sa part ; il favorise toutefois un plus grand sentiment de reconnaissance de la part de la hiérarchie.

En revanche, à l’échelle de l’établissement, « le sentiment de manque de reconnaissance par la direction de l’établissement est présent chez 80% des IADE interrogés », un chiffre identique à celui mis en lumière par la précédente enquête. Car c’est vers la direction « que sont dirigées les revendications qui ne sont pas satisfaites », celle-ci étant perçue comme le « représentant de l’autorité gouvernementale », avance le syndicat. De manière générale, plus l’acteur concerné est loin du terrain, plus le manque de reconnaissance de la part des IADE est présent.

Mais une bonne reconnaissance des collègues et autres professionnels de santé

Or, rappelle-t-il, « la reconnaissance au travail constitue une appréciation positive des compétences, des efforts et des résultats obtenus par les professionnels, jouant un rôle crucial dans leur estime de soi et leur motivation. » Si cette reconnaissance peut prendre de multiples formes (académique, financière), celle qui émane des collègues et autres professionnels de santé est ainsi mise en avant par 90% des répondants comme étant essentielle. De ce côté-ci, du moins, les IADE répondants estiment en grande majorité bénéficier de la reconnaissance de l’équipe : des autres IADE à 95%, des autres professionnels de santé à 75%, des MAR à 73%, ou encore des autres médecins à 59%.

Comment améliorer la qualité de vie au travail ?

Dans ces conditions, comment améliorer la qualité de vie au travail des IADE, en particulier au sein de la FPH. Le SNIA avance plusieurs pistes. À commencer par l’amélioration des rémunérations, pour augmenter le sentiment de reconnaissance des professionnels. Depuis le Ségur de la santé, les autres spécialités (puériculteurs, de bloc opératoire, pratique avancée) ont profité d’un alignement de leurs grilles de rémunération au sein de la FPH avec celle des IADE. « Les diverses primes accordées aux paramédicaux de soins critiques et aux urgences (dont la majorité des IADE a été exclue) tendent à réduire l’écart salarial entre IADE et autres professionnels de santé, souvent moins qualifiés et avec moins de responsabilité », tacle ainsi le SNIA. S’y ajoute en complément le besoin d’une reconnaissance académique que ces infirmiers, malgré la masterisation de leur formation, peinent encore à obtenir. Un sujet d’autant plus brûlant que les IADE attendent toujours de voir leur exercice inscrit en pratique avancée, recommandée par un rapport de l’Igas paru en janvier 2022.

La nécessité d’une meilleure organisation au travail

En second lieu, vient la nécessité d’une meilleure organisation de travail, trop souvent sujette actuellement « à de très nombreux débordements » et aux salles et horaires inadaptés. Les IADE réclament également plus de communication entre professionnels et direction, avec l’instauration régulière de réunions pluridisciplinaires pour informer et diminuer les tensions, ainsi qu’un pouvoir décisionnel plus important « avec une participation plus active des paramédicaux dans les décisions ». Ils citent notamment en exemple la possibilité de créer « une unité de veille paramédicale type CME [Commission médicale d’établissement] pour protéger les soignants. » Enfin, comme l’ensemble des autres spécialités et de la profession infirmière en général, ils plaident pour une augmentation des effectifs, soutenue par un accès facilité aux financements de formation. « L'amélioration de la qualité de vie au travail des infirmiers-anesthésistes est indispensable pour assurer la pérennité des soins anesthésiques en France, et nécessite une attention immédiate de la part des décideurs politiques et des gestionnaires du secteur de la santé », conclut le SNIA.

L’enquête
L’enquête a été réalisée du 16 juin au 5 juillet 2023. 1 973 questionnaires ont été envoyés pour 896 qui se sont avérés exploitables. Ces réponses représentent 7,62% des 11 756 IADE recensés par la Drees (au 1er janvier 2021). Le questionnaire, composé de 62 questions, s’est également intéressé à la socio-démographie de la spécialité IADE : répartition entre hommes et femmes, situation familiale (avec ou sans enfant, célibataire, en couple…), modes (temps plein, temps partiel…) et secteurs (public, privé, sociétés d’anesthésie…) d’exercice.

Accéder aux résultats de l’enquête


Source : infirmiers.com