«3114 ? Bonjour Madame, je vous écoute. Ça fait combien de temps que vous êtes dans cet état-là ?... Est-ce que vous avez des idées suicidaires en ce moment ? Ecoutez, vous avez très bien fait d'appeler, on va prendre le temps tous les deux de discuter de ce qui vous arrive et puis ensemble on verra de quelle aide vous avez besoin». Florian est l'un des infirmiers-répondants du 3114, numéro d'urgence mis en place en 2021 en France, dans le cadre de la politique nationale de lutte contre le suicide. «Les gens qui nous appellent sont souvent désespérés, isolés», explique le jeune homme, qui travaille auprès du 3114 depuis un an, tout comme sa collègue Gabrielle. «Ils sont en demande d'écoute, pas forcément de soins mais ils ont besoin de parler». Dans cette pièce que les équipes appelle « le call center», les appels sont transférés soit à un infirmier, soit à un psychologue, 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Ces professionnels du soin, formés à la prise en charge de la crise suicidaire, et à l'écoute, passeront le temps qu'il faudra pour «désamorcer la crise», dans un premier temps, puis pour orienter les gens en détresse.
70% des personnes appellent pour elles-mêmes
Le suicide est responsable de la mort de plus de 9 000 personnes chaque année en France, un chiffre alarmant qui a poussé les pouvoirs publics à réagir. Le dispositif, mis en place en 2021 a ainsi plusieurs intérêts : briser l'isolement grâce à une écoute et une orientation adaptées, mais aussi offrir un espace sans tabou où la santé mentale est déstigmatisée.
Parmi ceux qui appellent le 3114, confie Gabrielle, on compte «70% de personnes qui appellent pour elles-mêmes, 25% qui s'inquiètent pour quelqu'un et demandent des conseils, des renseignements et savoir quoi faire, et 5% de professionnels». Des hommes, des femmes, des enfants... «Je crois que la personne la plus jeune qu'on ait eue avait 8 ans».
Le lien tissé avec le patient, "filet de sécurité" anti-suicide
«La première chose qu'on fait, c'est créer du lien avec les gens, souligne Florian, et ça prend du temps. C'est la partie la plus importante de l'entretien puisque c'est pour ça que les gens appellent, et au cours de cet entretien, on en profite pour évaluer le risque suicidaire avec tout un tas de critères et en fonction, de proposer une orientation». Si les infirmiers-répondants insistent sur l'importance cruciale de créer ce lien par téléphone, c'est parce que celui-ci est crucial dans la dissuasion du passage à l'acte. «Comme tout se passe par téléphone, on ne peut pas mettre physiquement en sécurité le patient, et on ne peut compter que sur le lien qu'on créé avec lui. C'est ça notre filet de sécurité : réussir à créer du lien, c'est tout l'enjeu de l'appel, parce que c'est ça qui met en sécurité les gens».
Le travail par téléphone n'en n'est pas moins «très riche, émotionnellement, cliniquement et humainement», assurent les deux infirmiers. «Beaucoup dans notre entourage nous demandent si le contact avec les patients nous manque : de fait, ils ne nous manque pas puisqu'on a des patients - c'est simplement qu'on les a par téléphone», sourient-t-ils. Pour Florian, la proximité est d'ailleurs presque plus grande avec eux que dans un service de soin : «Ils parlent tout près de notre oreille...».
Le suicide en France, en chiffres
Selon les derniers chiffres sur le suicide en France, relevés sur l'année 2017 :
- 8 214 décès par suicide ont été enregistrés en France métropolitaine soit un taux global de suicide de 12,6 pour 100 000 habitants. Les remontées des certificats de décès étant imparfaites et en faisant l’hypothèse d’une sous-estimation de 10 %, on compterait après correction 9 035 décès par suicide.
- Le nombre de décès par suicide est nettement plus élevé chez les hommes que chez les femmes, respectivement 6 167 et 2 047. Le taux de décès standardisé par âge révèle la même différence : respectivement 19,6 et 6,1 décès pour 100 000 habitants, soit un taux de suicide 3,2 fois supérieur chez les hommes.
- 4,7 % des personnes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. L’épisode dépressif caractérisé est le facteur le plus fortement associé à la survenue de pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois.
- 7,2 % des personnes de 18-75 ans ont déclaré avoir tenté de se suicider au cours de leur vie, la prévalence étant plus élevée chez les femmes (9,9 %) que chez les hommes (4,4 %). Au sein de cette population, 37,7 % ont déclaré au moins une récidive ce qui justifie le déploiement, en France, d’un dispositif tel que VigilanS de recontact des personnes ayant fait une tentative de suicide.
- Entre 2000 et 2016, le taux de décès par suicide en France a diminué de près de 33,5 %. Cette diminution concernait toutes les classes d’âge à l’exception des 45-54 ans entre 2000 et 2008 et des 95 ans ou plus au cours de la période 2008-2016. Bien qu’elle témoigne du caractère évitable du suicide, cette diminution reste lentement progressive.
Source : 3114.
Pour en savoir plus :
- Site internet du numéro national de prévention du suicide
- Appel à projets publié le 8 décembre 2020 par le ministère chargé de la Santé pour identifier l’équipe en charge du déploiement opérationnel du numéro national
- Circulaire du 7 juillet 2021 relative à la mise en place du numéro national de prévention du suicide dans le cadre de la stratégie de prévention du suicide
- Instruction du 6 juillet 2022 actualisant l’instruction n° DGS/SP4/2019/190 du 10 septembre 2019 et relative à la stratégie nationale de prévention du suicide
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