Les dépenses de soins de ville pèsent lourd sur le budget de l’Assurance maladie ; elles représentent même le premier poste des dépenses de l’organisme. C’est ce que note la Cour des comptes dans sa note thématique « Accélérer la réorganisation des soins de ville pour en garantir la qualité et maîtriser la dépense ».
Sur les 247,2 milliards d’euros à la charge de l’Assurance maladie, ils montent ainsi à la hauteur 107,6 milliards (soit 43%), devant l’hôpital et ses 98,4 milliards d’euros. Les dépassements de l’enveloppe prévisionnelle annuelle sont réguliers et, en 2022, ce dépassement a atteint 5,1 milliards d’euros. Et quand on parle répartition, ces dépenses de soins en ville « comprennent essentiellement les honoraires médicaux et paramédicaux, les produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux), les indemnités journalières, la biologie et les transports sanitaires. » 39% des dépenses seraient ainsi imputables aux honoraires des professionnels de santé, dont 14% pour les paramédicaux (contre 25% pour les médecins), soit 15,1 milliards en 2022. En comparaison, ces dépenses s’élevaient à 12,4 milliards en 2017.
Une augmentation continue des dépenses
Pour expliquer ces dépassements, la Cour des comptes avance plusieurs explications, à commencer par un manque de régulation et des « mécanismes conventionnels peu responsabilisants ». Dans les faits, elle juge l’Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) trop peu contraignant dès lors que les soins en ville sont concernés. « Contrairement au secteur hospitalier où les tarifs des séjours sont ajustés à l’enveloppe de dépenses, les soins délivrés par les professionnels de santé libéraux ne sont pas soumis à une régulation prix-volume, à l’exception de la biologie », explique-t-elle ainsi.
Quant aux mesures de régulation, elles prennent essentiellement leur source dans les conventions signées entre les professionnels libéraux et l’Assurance maladie. Mais, à l’instar, par exemple, de la possibilité de différer l’entrée en vigueur d’une convention à la suite d’un signalement sérieux de dépassement de l’ONDAM, elles ne sont que peu, voire pas du tout, mobilisées par les pouvoirs publics. « Les négociations conventionnelles ont permis des avancées sur la répartition territoriale des infirmiers (IDE), masseurs-kinésithérapeutes et sages-femmes », note la Cour des comptes, qui en pointe toutefois les limites en termes de maîtrise des rémunérations.
Une forte hausse du budget relatif au BSI
Malgré les montants importants engagés, souligne-t-elle, les négociations concernant l’avenant 8 pour les infirmiers, relatif au Bilan de soin infirmier (BSI) ont été poursuivies. « C’est ainsi que les sommes allouées au bilan de soins infirmiers ont été portées à 217 milliards d’euros contre 122 milliards d’euros annuels initialement prévus deux ans plus tôt », rappelle-t-elle. Sur les 5,1 milliards d’euros de dépassement constatés en 2022, « 1,6 milliards d’euros de hausse de dépenses » sont dus à « des revalorisations de rémunérations des professionnels de santé ainsi qu’à un accroissement de l’activité des infirmiers et des pharmaciens », auxquelles viennent s’ajouter, il est vrai, une progression « significative » des dépenses de médicaments et une hausse des indemnités journalières.
Les conclusions de la Cour des comptes n’ont guère plu à Convergence infirmière (CI), qui a dénoncé dans la foulée « de nouvelles pelletées de terre jetées sur la tête des IDEL. » « Nous coûtons trop cher, les patients coûtent trop cher, la santé coûte trop cher », s’insurge le syndicat, accusant par ailleurs la proposition de la Cour des comptes d’utiliser les conventions comme moyen de régulation de relever de « la méthode 49.3 ». Soit « plus d’autoritarisme et moins de rémunération évidemment. » Autre cause de mécontentement : la proposition de la Cour qui consiste à augmenter le nombre de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), une mesure loin de répondre au besoin de renforcer la prévention et la qualité des soins. D’autant plus que, selon les propres données de la Cour des comptes, « une place en SSIAD coûte annuellement 14400€ alors qu’un BSA revient à l’année pour un patient avec majorations dimanche et déplacements à 7585€, 9471€ pour une BSB et 13303€ pour un BSC », rappelle CI. Soit une manière de rappeler qu’investir dans les infirmiers libéraux, garants notamment du maintien à domicile, permettrait in fine de réaliser des économies.
Si encore l’augmentation de ces dépenses permettait réellement de mieux répondre aux besoins de santé des Français sur l’ensemble du territoire. Las, elle « n’a pas résolu les difficultés d’accès aux soins et d’organisation des parcours des patients », regrette la Cour des comptes. D’une part, sont à déplorer de fortes disparités géographiques des professionnels de santé en fonction des territoires, avec des « inégalités de répartition des sages-femmes, infirmières, masseurs- kinésithérapeutes » jugées « plus importantes encore que celles des médecins généralistes ». Pour autant, elles tendent à se réduire de 7% pour les infirmiers entre 2019 et 2021, ce à quoi le principe de zonage introduit en 2011 pour la profession n’est pas étranger. En octobre 2022, l’Ordre infirmier se félicitait d’ailleurs qu’il n’existait pas de désert infirmier sur le territoire.
Quant aux solutions engagées par le gouvernement pour résoudre cette problématique elles reposent essentiellement sur la possibilité de dégager du temps médical et de mieux coordonner les interventions des professionnels de santé. De ce fait, soit leur impact est encore difficilement mesurable, soit elles n’ont tout simplement pas été encore appliquées. Sont ainsi listées : le déploiement des assistants médicaux (3 112 contrats signés fin mai 2022), dont les premières évaluations sont toutefois encourageantes puisqu’il aurait permis d’augmenter de 10% le nombre de patients vus par les médecins libéraux ; la fluidification des parcours de soin via l’exercice coordonné (MSP, CPTS) ; ou encore le partage des compétences. Sur ce dernier sujet, la Cour des comptes a néanmoins soulevé un point de vigilance sur l’intégration « laborieuse » des infirmiers en pratique avancée. « Cette dernière contrainte a été levée très récemment par la loi dite « Rist » qui autorise les patients à accéder directement à certains auxiliaires médicaux exerçant dans des structures permettant un "exercice coordonné" avec les médecins », nuance-t-elle. La permanence des soins, enfin, reste quant à elle « mal assurée » . Une problématique à laquelle les Services d’accès aux soins, dont la généralisation est attendue, sont en partie chargés de répondre.
La coopération entre professionnels de santé ou entre secteurs – ville, hôpital, établissements médico-sociaux – bute le plus souvent sur des questions de rémunération.
Mieux financer l’organisation des soins et la prévention
À la fin de sa note thématique, la Cour des comptes identifie plusieurs leviers, organisationnels et financiers, pour mieux maîtriser les dépenses. Elle incite, entre autres, à bien définir les missions de chaque professionnel de santé dans « un cadre interprofessionnel », dans un souci de « promouvoir le partage des tâches et limiter les conséquences de la pénurie de médecins traitants », et à accélérer l’entreprise de réorganisation des soins sur le territoire (via le virage numérique). Elle préconise également de renforcer les incitations financières relatives à la prévention et à la qualité et l’organisation des soins. « La coopération entre professionnels de santé ou entre secteurs – ville, hôpital, établissements médico-sociaux – bute le plus souvent sur des questions de rémunération. » Reste enfin à mettre en place de manière effective certaines des transformations initiées, à commencer par celle de la loi du 19 mai 2023, qui introduit le principe de responsabilité collective des professionnels à la permanence des soins.
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