« La solitude est à l’esprit ce que la diète est au corps, mortelle lorsqu’elle est trop longue quoique nécessaire » Vauvenargues
Au mois de mars 2006, je suis allée en stage dit de santé publique à l’UFPPP (Unité Fonctionnelle de Psychiatrie Pénitentiaire et Probatoire) de la Maison d’Arrêt Charles III de Nancy.
Mis en place en 1995, en même temps que l’UCSA (Unités de Consultations et de Soins Ambulatoires), l’Unité Fonctionnelle de Psychiatrie Pénitentiaire et Probatoire est une unité de soins psychiatriques qui dépend du centre psychothérapique de Nancy. Le Docteur Boissenin est le praticien hospitalier à l’origine de la création de ce projet unique en France. Cette unité comprend une équipe qui travaille à la Maison d’Arrêt en milieu fermé et une équipe plus réduite qui travaille actuellement à la cité judiciaire auprès du service pénitentiaire d’insertion et de probation ainsi qu’en lien avec le centre de semi-liberté de Maxéville. L’UFPPP est une unité de consultations et de soins ambulatoires qui est en quelque sorte l’équivalent du Centre Médico Psychologique en milieu fermé.
Mon expérience d’adjointe de sécurité de la Police Nationale m’avait déjà permis de côtoyer ce public. J’étais curieuse d’aborder cette population sous un autre angle et surtout en tant que soignante. Ce témoignage est un extrait de ce que j’ai écris chaque jour lors de mon stage. Je vous livre mes pensées avec simplicité et sincérité.
En haut des escaliers qui me mènent à l’UFPPP, je me retrouve face à deux cellules minuscules, grandes comme mes toilettes, où attendent plusieurs détenus obligés de rester debout de par le caractère exigu de l’endroit. Des barreaux, pas de portes. Je me demande où je suis, ce que sont ces cellules « chiottes ». Je comprends vite qu’il s’agit des salles d’attente de l’unité médicale.
Je sonne pour qu’on m’ouvre la grille menant au service, je m’appuie contre le mur, je suis humide. Personne ne vient m’ouvrir, le temps me semble une éternité. Je suis épiée par les détenus debout derrière leurs barreaux à deux mètres de moi. Je suis à deux mètres de l’enfer. Encore un pas et je ne serais plus « libre », je n’ai pas de trousseau de clefs. Enfin, la surveillante, l’énorme trousseau de clefs qui tintent à la ceinture et sa carrure de bûcheron avec ses cheveux décolorés vient m’ouvrir.
Premier grincement de clefs dans la serrure qui glace le sang, inoubliable son auquel on s’habitue vite.
Premier entretien de visite d’entrée d’un détenu avec l’infirmier psy. Je me retrouve dans un bureau minuscule face à un individu qui, pour 40 euros, a assassiné son meilleur ami à coups de hachoir à viande et de clou de menuiserie. Je suis assise aux côtés de l’infirmier psy qui part du principe que « la majorité des détenus sont des voleurs de poules au QI de mouche ». Raté. Premier entretien, premiers questionnements. Je suis fascinée par le détenu qui raconte son enfance, son adolescence et les raisons de son incarcération en 20 minutes chrono. Résumé d’une vie, de 23 ans de vie qui aboutissent ici, dans la moiteur de ces murs, ces murs qui n’absorbent plus ni la souffrance ni la solitude, ni la misère, ces murs qui regorgent d’indifférence, de peine et de désespoir.
Café. Discussion avec l’homme d’entretien. Interlude. Information. L’homme d’entretien est un détenu qui a tué sa femme, amoureux de sa mère et bla bla bla….
La matinée s’enchaîne entre défenestration de cousins gitans, viols d’enfants, serial violeurs et braqueurs de banque.
La matinée s’achève. Bol d’air. Les « voleurs de poules » me laissent sans voix. Je m’interroge sur cette fascination que je ressens et sur ce plongeon que je fais dans chaque histoire sans parvenir à sortir la tête de l’eau. Une femme m’interpelle : « Ça fait combien de temps ? C’est dur, hein ! De reprendre tout cet air dans les poumons ! ». Je reste muette.
Ce premier interlude de liberté dans ma première journée de stage me déstabilise. Je ne sais quoi faire de mon temps libre. Je retourne à la Maison d’Arrêt avant l’heure prévue, comme si je cherchais quelque chose que je devais absolument trouver.
Je dépose à l’entrée de la prison ce que je suis dehors comme je vide mes poches sous l’arc du détecteur à métaux.
Les surveillants me font enlever mon manteau, ma ceinture, mes chaussures, mes chaussettes, détacher mes cheveux….Mise à nue. Rires.
Premier contact privilégié avec l’atelier dessin. Me voilà cloîtrée dan une salle avec trois détenus et des pots de peinture. Je suis béate devant les œuvres d’art des détenus qui ressemblent plus à celles d’élèves de maternelle qu’à celles d’adultes incarcérés.
Ici et là des empreintes de mains en peinture, le dessin de la voiture des rêves, des bonhommes sous un gros soleil qui sourit et des infirmiers qui discutent entre eux de la vie à l’extérieur. Je suis gênée. Le contact n’est pas naturel, je crains d’être indécente dans mes propos. Je tente une discussion…réponses : « On a que ça à faire M’dame, attendre ». « Ma fille, je la connaîtrais quand elle aura 9 ans. » « Bien sûr M’dame que je vais bien, c’est le Club Med ici… ». A trop réfléchir à ce que je peux dire ou ne pas dire, je sombre directement dans tout ce que je voulais éviter. Épreuve.
Premiers pas en détention. Je ne m’attendais pas à pire. Cliché de la prison française du siècle dernier. Trois coursives en bois sous une immense verrière. Les quelques rayons de soleil de ce mois de mars rendent déjà l’atmosphère irrespirable. Nous ne sommes pas encore au printemps… Le bois craque sous mes pas, je regarde en bas, au travers des filets de sécurité, des surveillants discutent et rient avec les auxiliaires.
Tour de distribution des médicaments. Je suis briefée sur les consignes de sécurité à respecter : blouse blanche, plateau contre soi bien à distance du détenu, ne jamais être derrière une porte ouverte, ne pas faire un pas dans la cellule…
Je suis le surveillant qui, inlassablement brandit son trousseau de clefs à chaque cellule. Découverte de la vie intérieure de la prison. Stupéfaction, horreur et curiosité. 9m² pour 6 à 10 personnes, 9m² de crasse et de puanteur dans l’obscurité. Un nom, un visage dans le rayon de lumière provenant de la lucarne. Visages renfermés, las, renfrognés, méfiants, fatigués, demandeurs, réticents…Je suis déshabillée du regard, sifflée, alpaguée, bousculée, testée. Réflexions obscènes, regards vicieux, mouvements de langue, déballage de pénis. Tout est tenté, tout est osé. Ma seule arme : le regard franc et soutenu, le sourire « sain » de la soignante et une ouie défaillante.
Retour au rez-de-chaussée. Les travailleurs rentrent de leur atelier. Je me retrouve face à une quarantaine de détenus hommes appuyés contre la grille d’entrée de la détention, bras ballants entre les barreaux qui attendent l’ouverture de la grille. J’ai une vingtaine de mètres à faire seule, face à eux. J’aperçois l’infirmier au loin, de l’autre côté de la grille, qui me soutient d’un clin d’œil et d’un sourire « tu peux le faire ! ». L’énorme grille s’ouvre dans un bruit effrayant, on me recommande du haut de la deuxième coursive de longer le mur et de regarder loin devant moi. J’obéis et je ferme mes écoutilles pour éponger les remarques romantiques. Je joue au mur. J’imbibe. Je ressors de là abasourdie. Je ne veux qu’une chose : y retourner.
Quartier des pointeurs. Visite entre trouille, excitation et interrogation. Je me sens de mieux en mieux. Les jours passent. Je me sens dans mon univers. Je m’attendais à « des gueules à faire peur », je me retrouve face à moi-même avec mon délit de sale gueule. Etrangement, c’est le seul quartier où je n’entends pas de mots doux, où les regards sont durs à saisir, où le contact est écourté.
Je suis fascinée par ce grain de sable qui, à un moment donné, dans un contexte particulier est venu enrayer la machine et tout foutre en l’air. Je suis fascinée par ce déclencheur du passage à l’acte qui ruine une vie, des vies entières, en toute connaissance de cause.
Donner les médicaments seuls. Quelle aventure ! Les soignants m’encouragent comme si j’avais 5 ans et que je me lançais pour la première fois sans les petites roues de mon vélo.
Des réflexions fusent ça et là dans les couloirs qui mènent à la détention. Bonjour messieurs les surveillants…
Entrée en détention, ouïe défaillante de la femme en blanc. Certains me baiseraient les pieds lorsque leur nom retentit dans la cellule et que je leur tends leur petit paquet de médicaments minutieusement scotché la veille. Heure bénie du soulagement médicamenteux. Fin du supplie de l’état de veille. Une dose pour 24 heures, pour oublier… un peu, pour supporter l’environnement et surtout soi même. Se retrouver face à soi même. Ipso facto.
Arrive le tour de médicaments de la cellule tant attendue car un des détenus fait chaque jour la forte tête, désirant qu’on lui livre son traitement jusque dans son lit. Je cite son nom, ses co-détenus le sollicitent et il m’adresse un « fais chier celle-là » parce que je refuse de venir jusqu’à lui et que je lui demande de se lever.
Me voilà prise d’un dédoublement de personnalité. Je lui dis que si je le fais chier, je remballe. Il n’aura qu’à venir chercher son traitement à l’infirmerie ; vu les problèmes de mouvements, il aura le temps de baver avant qu’on l’autorise à monter.
Je suis ferme et calme. Je vois alors deux grands yeux qui me regardent interloqués à un mètre de moi. Il est debout. « Je t’aime bien toi, t’es marrante toi ! » Il tend la main. Médicaments.
Tour de clefs. Au suivant.
Je n’en reviens pas de ce que je viens d’être.
Je parcours la coursive distribuant les médicaments au gré des noms inscrits sur les petits paquets nominatifs. Respect, politesse et fermeté. Quelle découverte ! Ça y est, je sais faire. Il va falloir que je m’entraîne quand même….mes jambes flagelles.
Dans le couloir de l’UFPPP, un détenu sort du bureau de l’infirmier psy, les yeux gonflés de larmes. Je souris à ce garçon qui répand autour de lui cette odeur fétide de souffrance et de solitude. Il m’interpelle, veut discuter. Je suis déstabilisée. Les infirmiers et les médecins déambulent autour de moi sans prêter attention. Derrière moi, une dizaine de détenus attendent leur rendez vous dans la cellule d’attente envahissant l’air de monoxyde de carbone, gravant les murs de dates et de prénoms, invectivant la surveillante « ce n’est pas parce qu’on ne paie pas qu’on doit attendre trois plombes ! ».
Le jeune homme, comble du comble, me demande si je vais bien. Esquive. « Et vous ? ».
Je ne sais quoi dire, ni comment me tenir, ni comment le regarder. Je ne suis plus observatrice. Je suis sa seule interlocutrice. J’attends cette situation depuis le début de mon stage et là je donnerai cher pour qu’il ne m’ait pas choisi moi ! Pourquoi moi !
Pourquoi moi Monsieur X ? Après quelques coups d’œil sur mes chaussures, sur le crépi gris en toile de fond, sur l’horloge en haut à droite de mon champ de vision, après avoir croisé et décroisé mes bras une dizaine de fois, mon regard se pose, mes bras arrêtent de gesticuler. Je le regarde dans les yeux. Je lui parle ! Ca y est ! Comme une professionnelle…ou presque, parce que je ne cesse de prier pour qu’il ne me parle pas du motif de son incarcération. J’apprends, doucement, mais j’apprends ! Je repars regaillardie, le saluant et lui souhaitant « tout de même une bonne journée ». Je ne suis pas encore au point.
LOUIS-WAGNER Gwénaëlle
IFSI LAXOU
FORMATION EN IFSI
Témoignage de stage en prison
Publié le 04/05/2009
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Source : infirmiers.com
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