En 2023, l’annonce de la refonte du métier d’infirmier portait aussi celle de la réforme de la formation. Laquelle, depuis 2019 et la publication de la loi relative à l’organisation et la transformation du système de santé, est en voie d’universitarisation, supposant la délivrance du diplôme d’infirmier par l’université au bout de 3 années d’étude. Une vingtaine d’universités participent ainsi à une expérimentation visant à intégrer les étudiants infirmiers, avec des enseignements construits en commun avec les Instituts de formations en soins infirmiers (IFSI).
Un référentiel à revoir
Cette réforme de la formation, qui doit s’achever à la fin 2024 pour laisser le temps d’élaborer les nouvelles maquettes d’enseignement pour la rentrée de septembre 2025, est « une véritable opportunité de rendre l’universitarisation effective », juge Aurore Margat, directrice de l’École universitaire de recherche (EUR) sciences infirmière en promotion de la santé, lors d’une table ronde organisée dans le cadre du Salon Infirmier. « Elle était déjà présente, mais on va la rendre plus visible ».
Et les enjeux sont importants, entre évolution du référentiel, réelle adaptation des enseignements aux réalités du terrain, et plus forte intégration des étudiants infirmiers dans le contexte universitaire.
Il y a en IFSI énormément de cours qui s’enchainent, à un rythme qui rend difficile l’acquisition des compétences. Il faut libérer du temps personnel qu’on doit inclure dans les ECTS.
Il y a d’abord ces 400 heures de formation qui manquent à la formation infirmière française pour correspondre aux directives européennes. Pour autant, défend Malorie Dupont, vice-présidente en charge de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Orientation au sein de la Fédération des étudiants en sciences infirmières, il ne s’agit pas d’alourdir la formation actuelle. Ce serait même plutôt tout l’inverse. « Il y a en IFSI énormément de cours qui s’enchainent, à un rythme qui rend difficile l’acquisition des compétences. Il faut libérer du temps personnel qu’on doit inclure dans les ECTS, ce qui faciliterait la compréhension des enseignements et l’acquisition des compétences. »
Ce changement de paradigme doit s’accompagner d’une autre évolution, indispensable au vu des besoins sur le terrain : le rapprochement entre les différentes professions de santé sur les bancs de l’université afin de favoriser ensuite les pratiques en exercice coordonné. « Nous avons des bases de connaissances et de compétences similaires à toutes les professions de santé : santé publique, éthique…», poursuit-elle. Les enseignements mutualisés permettraient defaire des travaux dirigés en commun, ce qui créerait de l’interprofessionnalité au cours des études et renforcerait celle-ci en pratique. « Il faut que chacun apprenne le rôle et la place des autres professionnels dans le parcours de soin. » Et de citer comme exemple le service sanitaire*, qui encourage la construction d’actions en interprofessionnalité.
Améliorer l’accueil et l’accompagnement des stagiaires
Et côté établissements de santé et donc terrains de stage, « c’est la responsabilité de tous de réfléchir à la manière dont on va accueillir ces étudiants, à une politique institutionnelle qui définit le nombre d’étudiants que l’on peut recevoir et la façon dont on les intègre », avance Axelle Chavanon, coordinatrice de la recherche paramédicale au CHU d’Angers. L’objectif étant d’améliorer l’accueil et l’accompagnement des stagiaires, alors que les stages qui ne se déroulent pas dans de bonnes conditions sont encore trop souvent à l’origine d’abandons d’études. Les établissements auront enfin à s’interroger sur la manière dont « les professionnels de santé peuvent s’emparer de la question afin qu’encadrer un étudiant ne soit plus un obstacle, mais bien un atout. Car il deviendra un professionnel de santé qui reviendra potentiellement ou qui contribuera aux questionnements d’un service » une fois diplômé.
Proposer un vrai parcours d’initiation à la recherche
L’autre enjeu de taille réside dans l’accès pour les infirmiers à la recherche, dont l’intérêt est encore trop mal compris par les étudiants. « Nous souhaitons un vrai parcours d’initiation à la recherche » afin de développer l’attrait des futurs professionnels pour cette activité, affirme la vice-présidente de la FNESI. Une orientation qui est loin d’être anecdotique. Car la recherche et « l’utilisation de données probantes issues de la recherche » servent à « modifier nos organisations de soin et nos soins », fait valoir Axelle Chavanon. Or, à l’heure actuelle, les étudiants infirmiers éprouvent toujours des difficultés à mesurer l’intérêt de la recherche dans leur pratique quotidienne, mais aussi à y avoir tout simplement accès. « Il faut leur apprendre à lire un article scientifique, à comprendre à quoi ça sert », insiste Aurore Margat. « Je fais partie d’une génération d’infirmiers qui n’a pas lu un seul article scientifique au cours de sa formation », relève-t-elle, notant la nécessité d’accompagner le terrain et les cadres formateurs sur le sujet.
Nous sommes la profession la plus nombreuse mais nous n’avons pas accès aux bases de données. Il n’est pas normal que les hôpitaux ne financent pas les abonnements aux revues scientifiques dans notre champ.
La profession manque d’enseignants chercheurs, notamment en raison de l’absence de statut qui permettrait de conjuguer recherche et pratique clinique. L’Igas ne s’y est d’ailleurs pas trompé : dans un rapport publié en mars dernier, elle recommandait la création d’un statut de bi-appartenant pour développer le vivier de formateurs paramédicaux. Se posera alors la question des cadres formateurs, dont il faudra revoir la formation, rebondit Malorie Dupont, avec en ligne de mire la formalisation de cette profession.
Il faut dire que, parallèlement, la recherche en sciences infirmières est peu favorisée par le terrain. « « Nous sommes la profession la plus nombreuse mais, dans les établissements, nous n’avons pas accès aux bases de données. Il n’est pas normal que les hôpitaux ne financent pas les abonnements aux revues scientifiques dans notre champ », s’élève la directrice de l’EUR.
De nouveaux modes de gouvernance à inventer
Enfin, impossible de parler de l’universitarisation sans évoquer l’un des écueils contre lesquels elle se heurte : l’incapacité des universités et des IFSI à réellement coconstruire les nouveaux enseignements. Depuis 2009 et l’intégration de la formation infirmière dans le cursus Licence-Master-Doctorat, la distinction bien nette entre les deux acteurs ne permet pas « à la richesse pédagogique de chacun de se confronter », déplore Malorie Dupont. Souvent, les universités vont « imposer quelque chose aux IFSI ou vont proposer quelque chose aux étudiants » que les IFSI ne permettent pas. Avec in fine, un impact sur les étudiants en bout de chaîne.
Favoriser les transferts entre IFSI et universités
D’où la nécessité de déployer plus de postes favorisant les transferts et les échanges entre universités et IFSI, a souligné Yann Le Faou, chargé de projet Interprofessionalité en santé et universitarisation à l’université de Rennes. « Deux mondes se regardent, avec des fortes incompréhensions. Il faut donc un rôle de passeur entre les IFSI et les universités », plaide-t-il, défendant une « hybridation sociale, de formation, de fonctionnement » entre les deux acteurs qui s’appuierait sur un décloisonnement et « une ouverture interculturelle ». À cet égard, il soutient la possibilité pour les établissements et territoires d’« expérimenter » de nouvelles formes de gouvernance, en s’inspirant par exemple des modes mis en place dans les études de médecine. « Peut-être faut-il travailler tout le temps en expérimentation », aussi bien sur le référentiel, amené à évoluer en même temps que les besoins en santé, que sur l’organisation des enseignements et des soins, conclut-il.
*Mis en place en 2018, le service sanitaire permet aux étudiants des filières en santé de participer à des interventions de promotion de la santé, via un module de 6 semaines.
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