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PSYCHIATRIE

Vers une suppression pure et simple de la contention en psychiatrie : et si c’était vrai ?

Publié le 24/09/2020

Nous serons fixés avant la fin de l’année sur la réelle ambition de cette nouvelle loi qui va concerner l’isolement et la contention en psychiatrie. Va-t-elle stimuler la créativité soignante en interdisant enfin cet acte barbare qui consiste à attacher, sans son consentement, un être humain pieds et poings liés sur un lit ? Ou plus modestement va-t-elle renforcer le contrôle et la traçabilité pour que perdure en toute légalité la torture au pays des droits de l’Homme sous couvert d’une "qualité de papier"...Une case cochée dans un dossier ne fait pas un soin de qualité. En tout état de cause, quand on cesse d’interroger sa pratique, devenir complice de la maltraitance institutionnelle peut arriver très vite...

Par économie psychique on peut se convaincre que nos actes violents sont thérapeutiques afin d’éviter de les remettre en cause et d’avoir à changer de pratique ou tout simplement pour conserver sa place dans l’équipe ?

La question des pratiques coercitives en psychiatrie est à nouveau d’actualité car, avant l’été, le Conseil Constitutionnel a déclaré le cadre réglementaire autour de l'isolement et la contention contraire à la constitution. Le gouvernement va donc devoir légiférer en urgence… Le 16 septembre, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, a déclaré à ce sujet Saisissons cette occasion pour faire évoluer nos pratiques en la matière ! Et si c’était vrai… Et si la maltraitance institutionnelle pouvait grâce à une nouvelle loi être considérablement réduite dans les prochains mois. Imaginez une réelle réflexion pour envisager, in fine, la suppression pure et simple de la contention comme le souhaitent plusieurs associations de familles d’usagers.

Depuis une dizaine d’année, avec des usagers, des cliniciens et des chercheurs, j’interroge cette pratique moyenâgeuse qui n’a rien de soignante via des interviews ou des publications afin d’évoquer la complexité de cette question qui mêle des dimensions sociales, culturelles, politiques et éthiques. Mais s’il y a des articles et des recherches éclairantes sur ce sujet pourquoi reste-t-on tristement figé au sujet de la contention ? La réponse tient selon moi en trois mots : dissociation, rationalisation et domination.

Et si c’était vrai… Et si la maltraitance institutionnelle pouvait grâce à une nouvelle loi être considérablement réduite dans les prochains mois

Comme l’explique le docteur en Sciences Infirmières, Jean Daniel Jacob, le mécanisme de dissociations cognitives et les stratégies de rationalisation sont bien connues des chercheurs en soins. En fait, par économie psychique on peut se convaincre que nos actes violents sont thérapeutiques afin d’éviter de les remettre en cause et d’avoir à changer de pratique ou tout simplement pour conserver sa place dans l’équipe. Mais le plus important, c’est la domination au nom de laquelle on peut justifier l’injustifiable. Comme par exemple que moins de 10% des gens possèdent 90% des richesses, que les professions fortement féminisées soient moins bien payées et surreprésentées dans la catégorie "premier de corvée" ou encore que le fait d’être noir, vieux, enceinte ou handicapé soient encore aujourd’hui en France des désavantages pour obtenir ou conserver un emploi. L’éducation, ou plus exactement l’intégration de la discipline, peut également majorer le célèbre principe d’autorité qui fait qu’on va se soumettre et exécuter les ordres d’un cadre, d’un médecin, d’une direction ou même d’un collègue alors qu’on n’aurait pas du tout agi ainsi sans la pression de l’autre.

Mais moi qui suis un jeune homme blanc, en pleine santé, et positionné comme chef d’une équipe ultra féminisée, ai-je réellement de bonnes raisons de lutter contre la domination ? Moi qui suis du côté de celui qui attache les usagers et qui peut potentiellement les sadiser. Moi qui, en tant que cadre, peut contraindre mes subalternes, car la loi m’autorise à les manager avec rudesse et leur imposer des plannings "à la con". Moi qui, aveuglé par les pouvoirs qui me sont conférés et les bénéfices et gratifications liés à ma position de domination, peut en arriver à mettre de côté mon humanité. Moi qui peut intégrer l’idée qu’un manager trop à l’écoute de ses équipes sera perçu par ses collègues et sa hiérarchie comme faible. Moi qui, pour prétendre aux postes clé peut devenir un killer qui a compris que l’enjeu de l'hôpital, comme toute entreprise, est de faire de l’optimisation des ressources humaines. Moi qui peut donc consentir à remplacer des êtres humains par des chiffres dans des tableurs excel et prendre de la distance avec ces frères humains que le système produit en tant que marchandise.

Par économie psychique on peut se convaincre que nos actes violents sont thérapeutiques afin d’éviter de les remettre en cause et d’avoir à changer de pratique ou tout simplement pour conserver sa place dans l’équipe ?

Bref, pourquoi continuer à faire la guerre aux cadres sup ou aux directeurs qui préfèrent pondre de nouvelles procédures de surveillance de la chambre d’isolement plutôt que de penser l’abolition des contentions ? Pourquoi ne pas se conformer pour éviter les sanctions disciplinaires qui ne favorisent pas les évolutions de carrière ? Pourquoi enfin être résistant quand on peut profiter tranquillement de sa place de dominant ? J’ose imaginer que nombreux d’entre vous pensent sincèrement que la bonne réponse à ces questions est : "pour les patients".

J’espère, pour terminer, que vous êtes disposés à lutter pour qu’une psychiatrie moins coercitive advienne. Et si ce n’est pas le cas, même si vous n’êtes pas encore un salaud , prenez la fuite et quelques heures pour lire Laborit  ou visionner au minimum "Mon oncle d’Amérique" car, croyez-moi, quand on cesse d’interroger sa pratique, devenir complice de la maltraitance institutionnelle peut arriver très vite. Bon courage à tous.

Jérôme Cornier
Cadre de santé
jerome.cornierifcs@gmail.com


Source : infirmiers.com