L’infirmière me sourit, me regarde dans les yeux, prend ma main avec délicatesse… Début d’un roman d’amour, script d’une scène d’érotisme ? Non, "elle" c’est moi, cette infirmière qui fait juste son travail
. Trois étudiantes en soins infirmiers livrent leurs réflexions sur la place et l’interprétation du toucher professionnel dans le soin.
"Erotisme" : le terme nous renvoie à Eros, dieu grec éternellement jeune, d’une beauté sans égale contraint à la quête incessante de l’objet de son désir. Cet appétit des sens, la sensualité, qui touche à notre intimité et à celle d’autrui, est-elle réservée à la jeunesse et à sa fraîcheur ? A ceux débordant de santé ? Elle est pourtant définie comme l’un des besoins fondamentaux selon la pyramide de Maslow ; et le soignant, lui, se doit de considérer la personne dans sa totalité.
Sujet de soin
Le patient ne doit pas être réduit seulement à un être vulnérable. L’infirmier se doit de le considérer comme sujet de soin et non uniquement comme objet de soin. Ce patient est aussi sujet à ressentir cette sensualité et par là même, le désir qu’il peut nourrir dans la relation avec lui. Dans le contexte d’une hospitalisation, et donc de vulnérabilité, il est logique que la situation du patient le pousse à une sensibilité exacerbée. L’infirmier devient alors source de soins, espoir de mieux-être, et quelquefois objet de désir.
Interprétation personne-dépendante
Les postures physiques soignant-soigné sont opposées : l’une debout, l’autre souvent couchée. Le patient se retrouve la plupart du temps à exposer son propre corps, sa nudité, symbole de vulnérabilité. Par sa fonction, l’infirmier entre dans la sphère intime du patient et le soin oblige le contact peau à peau, lequel se fait par le biais d’un toucher "soignant", technique, qui peut être reçu d’une autre façon par le patient et interprété comme signe de sensualité. Ce toucher soignant est très "soignant-dépendant" : il n’existe pas de geste académique. De ce fait, chaque soignant exerce son toucher "comme il le sent" ; chaque patient le reçoit aussi selon sa sensibilité propre.
Soignants coupables ?
Selon le concept de sollicitude de Levinas, reconnaître la vulnérabilité de l’autre et y répondre par une disponibilité est une exigence morale. Mais jusqu’où s’impose cette disponibilité ? Le consentement au soin demandé par l’infirmier inclut la permission de toucher, et le patient reste maître de sa décision. Le ressenti du patient est lui aussi aliéné à son interprétation. L’infirmier est donc amené à penser la sensualité dans les soins, tant celle que ressent le patient que celle qu’il peut lui-même ressentir. Il convient alors de travailler les limites dans ce toucher aux multiples conséquences ; le devoir professionnel pousse à penser la sensualité dans le cadre de son code déontologie. Loin des stéréotypes de femmes d’Église et d’objet de désir, comment l’infirmier, en tant que professionnel, fait-il face à la sensualité dans les soins ? Les soignants, formés à l’empathie, la sympathie, le chemin vers l’autre, le sourire et la recherche du regard peuvent-ils être coupables que l’autre y perçoive de la sensualité – voire de la séduction ? L’interaction entre le patient et le soignant pourrait être considérée comme un échange entre deux êtres comprenant leurs émotions, leurs sentiments, leur désir. Dès lors, le tabou de la sensualité est un sujet qui mérite d’être débattu.
Elisa ESPOSITO
Adeline DURAND
Sarah ESCOFFIER
Etudiantes en soins infirmiers
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