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CONCEPTS DE SOINS

Soins d’hygiène et de confort auprès d’une personne intersexuée : rôle de l'aide-soignant

Publié le 11/05/2022

La fonction d'aide-soignant suppose des incontournables. Ceux de l’intime et de la pudeur. En effet, prodiguant pour partie des "soins d’hygiène et de confort", les aides-soignants se placent, dès lors, comme les premiers garants de l’alliance thérapeutique. Celle-là même qui construit la relation de soin autour du respect et de la confiance. Dans ce cadre, que se doit-il d'apporter à un patient intersexué qu'il prend en soin ?

Si le combat législatif paraît engagé, le combat sociétal ne fait que commencer

Le regard posé par l’aide-soignant sur toute enveloppe charnelle admet d’être sans jugement, sans désir et d’une totale neutralité vis-à-vis du langage du corps. L’aide-soignant dispose pour cela d’outils professionnels et relationnels afin de surseoir à l’impératif cardinal de la proxémie (c’est-à-dire la bonne distance physique) dans ce cadre éminemment sensible du rapport au corps d’autrui. Sur ce dernier point, l’intersexuation peut questionner et exiger de la pratique soignante qu'elle soit construite sur des piliers précis.

Des signes intimes invisibles a priori

Reconnue comme les caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques de "mâles" et de "femelles", d’après l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’intersexuation (également appelée à une autre époque "hermaphrodisme"), peut bousculer les représentations individuelles du soignant vis-à-vis du corps humain car cette phénoménologie biologique bouscule une idée générale de la norme d’attribution typique des organes génitaux externes.

Le rôle de l'aide-soignant auprès des personnes intersexuées revêt un caractère bien particulier

Or les personnes intersexuées peuvent être l’objet d’une forme de discrimination en raison de signes intimes invisibles a priori, mais que la relation de soin révèle. Ainsi, au moment des soins d’hygiène et de confort, le rôle de l'aide-soignant auprès des personnes intersexuées revêt un caractère bien particulier, tant la juste compréhension de cette caractéristique biologique conditionnera la congruence du professionnel de santé dans sa démarche de soins. Intersexuation et soins d’hygiène et de confort : le rôle aide-soignant est une nouvelle fois au centre des enjeux de soins afin que tout à chacun soit "bien dans sa peau" au moment d’entrer en relation.

L’intersexuation en quelques mots

Plusieurs phénomènes biologiques et physiologiques peuvent être à l’origine de l’intersexuation. La mécanique chromosomiale est la plus répandue et se manifeste par une variation inopinée du matériel génétique lors de la fécondation.

Au niveau physique, l’intersexuation se manifeste dans ses formes les plus visibles par le développement ou l’absence d’organes génitaux externes, une pilosité faciale ou bien l’apparition d’une poitrine. Dans d’autres situations, l’intersexuation est seulement visible au niveau du cycle d’apparition et de reproduction des gamètes.

Sur le plan psychique, l’intersexuation ne produit pas d’effets directs sur l’individu. Pour autant, cet article en témoigne, grandir et évoluer dans une société dite « genrée » en tant que personne avec des critères dysmorphiques de genre, qui n’y correspondent pas, peut avoir des conséquences délétères sur l’estime de soi.

En cela, l’histoire de l’intersexuation, et notamment des enfants, est aussi marquée par de cruelles séances de mutilations sexuelles à leur encontre, sans consentement éclairé, afin de procéder à une "correspondance de genre".

A ce titre, dans le cadre de la révision des lois bioéthiques de 2019, l’article 21 bis "Enfants présentant une variation du développement génital"* inscrit la nécessité d’un parcours de soins pluridisciplinaires dans les centres de références des maladies rares compétents en ce domaine. En outre, il prévoit l’accompagnement psychosocial de l’enfant et de ses parents, notamment en ce qui concerne les propositions de soins et l’abstention thérapeutique.

Observer n’est pas juger

L’observation est la clé de voûte du rôle de l’aide-soignant. C’est en partie grâce à cette expertise que se concrétise le relais efficace des informations auprès des autres professionnels de santé, et notamment de son collaborateur le plus direct, l’IDE. Aussi, l’observation aide-soignante est à l’initiative du raisonnement clinique partagé autant que ses compétences le permettent. Pour autant, ce domaine de l’observation clinique est une compétence sensible. En effet, en qualité de soignant, regarder l’autre peut-être différemment perçu par le patient, parfois même mal vécu, et requiert donc la juste utilisation d’un outil relationnel de base : le regard positif inconditionnel. Intégré dans une approche holistique centrée sur le patient, le regard positif inconditionnel, théorisé par le psychologue américain Carl Roger, absout l’ambiguïté qui peut subsister lorsque le soignant observe un patient. Constituée d’un sentiment de sollicitude, l’observation soignante se distingue alors du regard habituel que l’on peut poser sur le monde qui nous entoure par le simple fait qu’elle dégage à la fois une attitude professionnelle et rassurante, et un égard exempt de jugement. En définitive, l’enjeu du rôle aide-soignant dans l’observation clinique de la personne intersexuée est celle de la réassurance positive de la personne soignée, en tant qu’individu. Un instant suspendu où le regard de l'aide-soignant considère seulement l’autre du point de vue d’une seule norme : l’humanisme.

Toucher l’Autre sans atteindre l’Autre

Le soin d’hygiène et de confort est une effraction de l’intime corporel. C’est un fait incontestable. En effet, il existe peu de personnes qui apprécieraient qu’un inconnu, rencontré il y a peine quelques minutes, l’observe sous la douche, lui frotte le dos ou l’aide à réaliser sa toilette intime, et cela quotidiennement car les équipes changent. Aussi, la réalisation de ces soins auprès de la personne intersexuée admet un caractère sensible, encore plus subtil, dans la mesure où elle impose doublement à l’individu de se mettre à nu. Dans l’acceptation générale du contact physique au cours duquel se dévoilera tout ou partie du "marqueur" physique.

L’expertise soignante doit demeurer inscrite dans l’instant de soin où demeurent intemporels la sollicitude et l’accompagnement, défaits de tout jugement

En cela, l’expertise aide-soignante dans le toucher est de mise car il est un outil relationnel non verbal dont on ne mesure pas toujours les effets à l’aune d’une prise en soin humaniste qualitative. De toute évidence, celui-ci traduit le regard positif inconditionnel de l’aide-soignant en ne laissant transparaître aucune émotion, dégoût ou appréhension dès lors que l’on entre en contact physique avec un Autre qui ne correspond pas aux attendus de la norme corporelle. Ainsi, la main tendue par l’aide-soignant lors des soins d’hygiène et de confort est empreint d’une réelle humanité. Elle est une rencontre. Or, la posture soignante humaniste dénuée de tout jugement moral normatif est une nécessité pour garantir au patient toute sa dignité dans le soin.

En définitive, l’intersexuation, même si elle est un phénomène rare à l’échelle mondiale, ne doit pas pour autant être absente des réflexions autour de la pratique professionnelle de l’aide-soignant. Son rôle est effectivement placé au carrefour de nombreux enjeux (éthiques, techniques…), lesquels sont globalisés d’une inaliénable vision humaniste de sa fonction. Aussi, parce qu’il est au cœur de la relation de soins, dans son expression la plus intime, l’aide-soignant doit donc être au rendez-vous des valeurs qui motivent sa raison d’être soignant. En cela, dans un monde où la question du genre est au centre des débats éthiques et moraux pour les années à venir, l’expertise soignante doit demeurer inscrite dans l’instant de soin où demeurent intemporels la sollicitude et l’accompagnement, défaits de tout jugement. De sorte que, en somme, s’il en faut peu pour travailler, il en faudra toujours beaucoup plus pour soigner.


*Projet loi n°474, adopté avec modifications (31 Juillet 2020), par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique

Alexis Bataille
Etudiant en soins infirmiers (2019-2022)
Aide-soignant
@AlexisBtlle


Source : infirmiers.com