En santé, les questions de sexe, au sens biologique du terme, et celles de genre sont primordiales car elles peuvent avoir des impacts négatifs concrets dans la prise en charge si elles ne sont pas bien considérées. Une réalité que la HAS a choisi de mettre en lumière à travers son webinaire « Sexe et genre en santé ».
La médecine serait-elle trop genrée ? Élaborée autour de grilles de lecture essentiellement masculines, elle pâtirait d’une vision à la fois binaire et stéréotypée du sexe et du genre, ignorant ainsi certaines spécificités biologiques et physiologiques féminines, au risque de nuire à leur santé, tout en excluant parallèlement celles des hommes dans la prise en charge de maladies traditionnellement associées aux femmes. Face à ce constat et à la suite de la publication de son rapport d’analyse prospective sur le sujet, la Haute Autorité de Santé (HAS) a consacré lundi 28 juin un webinaire sur les questions de sexe et de genre en santé et les problématiques qu’elles soulèvent : biais dans la recherche, impacts dans la prise en charge, mais aussi transidentité et formation.
Sexe et genre, de quoi parle-t-on ?
Les questions de sexe et de genre irriguent l’ensemble du système de santé
, déclare Dominique Le Guludec, présidente du collège de la HAS, en introduction de la conférence. Encore faut-il distinguer les deux concepts. Le sexe relève de la biologie. Sa définition renvoie à tout un ensemble d’éléments : organiques, cellulaires, hormonaux, chromosomiques, qui ont une vocation essentielle : différencier l’homme de la femme et de leur permettre de se reproduire
, définit ainsi Muriel Salle, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Lyon 1. Le genre, lui, repose sur une composante essentiellement sociale et de représentation normée des rôles qu’imposerait le sexe biologique et qui peut donc être culturellement variable. Mais le genre, ce n’est pas seulement une question d’identité individuelle, c’est aussi un principe d’organisation
, ajoute Muriel Salle, qui précise que ce dernier se caractérise par sa binarité, entre genres féminin et masculin, et une hiérarchisation des valeurs qui leur sont associées. En découle ainsi que la médecine est une discipline androcentrée, dans ses discours comme dans ses pratiques
, qui aurait donné naissance à la fin du XVIIIe siècle à un discours médical dépréciatif envers les femmes, qui innerve encore les pratiques actuelles. Or la permanence en santé d’un certain nombre de préjugés attachés au sexe et au genre s’avère préjudiciables pour les patientes. Et pour les patients.
Il existe une intrication complexe de facteurs bio-psycho-sociaux qui ont des conséquences en termes de retard de diagnostic
Des conséquences concrètes sur la prise en charge
S’il y a des maladies de femmes et de moins nombreuses maladies d’hommes, c’est au moins autant pour des raisons de genre que pour des raisons de sexe
, relève Muriel Salle, ce qui peut avoir un impact négatif concret dans la prise en charge de certaines maladies lorsqu’elles sont traditionnellement associées à un sexe. Ainsi en est-il des problématiques cardiovasculaires
, considérées comme essentiellement masculines, les femmes bénéficiant de l’effet protecteur des œstrogènes. En France, du fait des changements de mode de vie (stress, tabagisme
…), les maladies cardiovasculaires représentent pourtant la deuxième cause de mortalité chez les femmes. Or, leurs symptômes sont souvent soit négligés
, soit envisagés sous l’angle émotionnel
chez les femmes. De même, l’ostéoporose est majoritairement perçue comme une maladie féminine, alors que 15 % des hommes de plus de 55 ans en souffrent.Il existe une intrication complexe de facteurs bio-psycho-sociaux
, observe la chercheuse, et ils ont des conséquences en termes de retard de diagnostic, de prise en charge et de pertes de chance
, pour les femmes comme pour les hommes.
Alexandre Yailian, praticien hospitalier psychiatre et pédopsychiatre (CHU de Montpellier) prend l’exemple de l’autisme pour illustrer les répercussions qu’une vision stéréotypée des genres induit dans sa prise en charge. Le comportement qu’induisent les troubles du spectre autistique (TSA) chez les garçons serait en effet mieux toléré par la société car plus conformes aux représentations collectives : Un jeune garçon trop calme, trop isolé, va beaucoup plus attirer l’attention, alors qu’une jeune fille va être jugée comme étant simplement sage et respectueuse des consignes
. Les symptômes seraient moins visibles, plus internalisés également, chez les femmes, entraînant ainsi des retards de diagnostic.
Ce biais a également un impact sur la recherche médicale, notamment lorsqu’elle concerne la conception de médicaments. Historiquement, les recherches sont effectuées majoritairement sur des populations mâles
, animales comme humaines, les femelles étant considérées comme trop compliquées pour les expérimentations
, indique Cara Tannebaum, directrice scientifique de l’Institut de la santé des femmes et des hommes des Instituts de recherche en santé du Canada. Les femmes en seraient ainsi exclues en partie pour des raisons éthiques (risques potentiels pour les grossesses), et les cohortes en phase de test, composées à 75 % d’hommes. Or cette exclusion a des répercussions concrètes sur les femmes, qui sont par conséquent deux fois plus susceptibles de développer des effets indésirables que les hommes
lors de la prise de médicaments. Taille et poids inférieurs, reins plus petits que ceux des hommes et qui métabolisent donc moins rapidement les substances…, les spécificités du sexe biologique féminin ont un réel impact sur les effets des médicaments. Sexe et genre sont des concepts complémentaires dont la mobilisation permet d’améliorer la santé, les savoirs et les pratiques
, en conclut Muriel Salle.
ne pas prendre en compte l’ensemble des facettes d’un patient, c’est prendre le risque de ne pas identifier ses problématiques
Approche holistique et intersectionnalité
Cette approche s’avère d’autant plus pertinente qu’il existe des profils sexués et genrés qui échappent aux normes biologiques et sociales : les personnes intersexes1 et transsexuelles, qui requièrent des prises en charge adaptées. D’où la nécessité pour Arnaud Alessandrin, sociologue et chercheur associé au LACES (Bordeaux) spécialiste des questions de genre, de santé et de discriminations, de bien intégrer ces questions dans les interactions entre les soignants et leurs patients. Parler de genre, ce n’est pas parler du sexe uniquement ou des genres au sens binaire, mais c’est parler des hommes, des femmes, des masculinités, des féminités, des façons d’être au monde, d’être dans un corps vécu comme féminin ou masculin
, plaide-t-il ainsi. La prise en charge se doit en réalité d’être globale, intersectionnelle
, afin d’inclure l’intégralité des spécificités – sexuelles, mais aussi environnementales, sociales, d’âge, voire ethniques – des soignés et favoriser ainsi de meilleurs parcours de soin. Or ne pas prendre en compte l’ensemble des facettes d’un patient, c’est prendre le risque de ne pas identifier ses problématiques
de santé, rappelle Corinne Hamel, médecin généraliste et membre de la World professional association for transgender health. Un constat que partages Cyrielle Claverie, présidente de la commission santé, bien-être et bientraitance du Conseil national consultatif des personnes handicapées, qui déplore toutefois un déficit de connaissances
persistant mais aussi l’existence d’une crainte de mal faire, de mal accompagner
chez les professionnels de santé, entre autres dans la prise en charge du handicap.
Mieux former grâce aux sciences sociales
Qu’il soit question de sexe, de genre ou encore de transidentité, l’enjeu principal demeure celui de la formation, jugée encore trop incomplète. Les questions relatives au sexe biologique sont enseignées en médecine depuis longtemps […], mais le genre ne l’est pas comme il le devrait
, estime ainsi Bach-Nga Pham, professeure des universités-praticien hospitalier et chef du service d’immunologie biologique du CHU de Reims. Et les formateurs eux-mêmes ne sont pas sensibilisés à la question du genre. Il faut qu’ils comprennent l’importance de faire réfléchir les étudiants sur ces sujets.
Il s’agirait ainsi d’inclure ces derniers tout au long des parcours de formation initiale de l’ensemble des professionnels de santé, en y intégrant notamment des modules dédiés aux sciences humaines et sociales, plus à même de répondre aux questionnements qu’ils induisent. Jusqu’à présent, les étudiants ont toujours été recrutés sur des caractères scientifiques
, réagit-elle. Or les sciences sociales représentent un tremplin qui porte les questions sociétales au cœur du métier des soignants
. Autre piste de réflexion : accroître le recours aux patients experts et à leur parcours expérientiel afin de renforcer la compréhension envers la délicate question du genre et lutter contre discriminations et préjugés. Sans toutefois tomber dans l’excès, alerte Muriel Salle, qui rappelle qu’il ne faut pas circonscrire ces sujets au seul point des exceptions à la norme. On peut être une femme terriblement normale et souffrir d’errance thérapeutique, comme dans le cas de l’endométriose
, signale-t-elle. Et de conclure que la prise en compte en santé du sexe et du genre, aussi variable soit-il, ne relève pas du militantisme ou de l’opinion, mais bien du savoir
.
1Personnes nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas à la définition binaire des corps masculins et féminins.
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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