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AU COEUR DU METIER

"Ségur de la Santé" : déjà la déception et la colère pour les infirmiers

Publié le 27/05/2020

C’était leur crainte : une fois passé le plus dur de la crise sanitaire, une fois oubliés les applaudissements à 20h, après les louanges, les remerciements, la reconnaissance… que restera-t-il de leur engagement, sans faille, remarqué parce que remarquable... A l’heure du Ségur de la Santé qui doit « réinventer » l'hôpital et le système de soin qui l'accompagne et reconnaître ses acteurs et enfin, les valoriser, une question, douloureuse, se pose comme une évidence. Quelle sera la place des infirmier(e)s dans les négociations et quelle parole feront-ils entendre alors que leur représentation dans les « Comités Ségur » est réduite à peau de chagrin. Passé la déception, la colère de la communauté infirmière se fait d’ores et déjà entendre.

Quelle sera la place des infirmier(e)s dans les négociations et quelle parole feront-ils entendre alors que leur représentation dans les « Comités Ségur » est réduite à peau de chagrin.

Ils sont venus, ils  sont tous là, parmi les quelque 300 représentants du monde de la santé lors de l’ouverture de leur "Ségur" ce lundi 25 mai, certains, même, invités "au dernier moment", ce qui traduit peut-être un manque d’anticipation gouvernementale… Ordre infirmier, syndicats, associations professionnelles de spécialités… ils comptent bien peser sur les débats, défendre le coeur de métier infirmier, gagner ainsi en visibilité et exister, enfin, comme ils l’exigent depuis maintenant des années et plus encore depuis ces dernières semaines, crise sanitaire oblige. Mais très vite, le soir même, en lisant le communiqué du ministère de la Santé qui rappelle sur quels piliers vont reposer les concertations (cf. encadré ci-dessous) c’est la désillusion, la douche froide : aucun représentant spécifique des infirmiers ne figure parmi les membres du "Comité Ségur national". Seul représentant annoncé : la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Pas l’ombre de l’Ordre national des infirmiers à côté de celui des médecins, seul ordre d’ailleurs mentionné ! Pas mieux du côté du groupe de travail national "carrières et rémunérations" où règnent représentants de médecins, de directeurs d'établissements, de doyens de faculté, de centrales syndicales et de la Fnesi, toujours.

On apprendra quelques heures plus tard que l’Ordre national des infirmiers fera "quand même" partie du Comité national, exprimant quelle sera sa mission. Au-delà de la nécessaire reconnaissance financière, nous demandons une reconnaissance de la contribution réelle des infirmiers à l’offre de soins et appelons les pouvoirs publics à engager dans les plus brefs délais la révision des textes qui encadrent l’exercice de la profession. De plus, les infirmier(e)s doivent pouvoir bénéficier d’une véritable logique de carrière, avec un suivi de l’évolution de leurs compétences et de leurs souhaits d’orientation et/ou de spécialisation.

Les quatre piliers du Ségur de la Santé

Dans la lignée des orientations fixées par le Président de la République, les concertations du Ségur de la Santé reposeront sur quatre piliers :

  • Pilier n°1 : Transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent ;
  • Pilier n°2 : Définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins ;
  • Pilier n°3 : Simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes ;
  • Pilier n°4 : Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers.

Les conclusions du Ségur de la Santé sont attendues pour la mi-juillet.

"Tout ça pour ça ?" La profession exprime son mécontentement

Le Syndicat national des professionnels infirmiers, SNPI dénonce très vite la mascarade d’une grand-messe en visioconférence à 300 personnes, réclame de véritables négociations, pas un simulacre de "Grand Débat" réunissant des personnes en convention, pour que le gouvernement ne change rien à ses positions de départ. Rouvrir des lits et créer des postes, reconnaître la profession infirmière sur tous ses terrains d’expertise, supprimer ses ARS… Pour le syndicat : les soignants doivent pouvoir intervenir dans la gestion des services hospitaliers et des établissements de santé. L’intelligence sociale des professionnels de santé a fait ses preuves devant le Covid19. La cogestion médico-administrative doit écouter les soignants de terrain.

La Coordination nationale Infirmière (CNI), de son côté, rappelle conserver ses espoirs de voir enfin de réelles évolutions des conditions de travail et des rémunérations des professionnels de santé en France, mais demeure extrêmement vigilante devant des prises de paroles, définies au préalable, dans lesquelles n'apparaissaient pas de représentants paramédicaux.

L’Unaibode et le SNIBO, représentants des infirmiers de bloc opératoire diplômés d'Etat, dénoncent d’emblée de Petits arrangements entre amis alors que le Ségur de la santé suscitait beaucoup d’espoirs chez les personnels soignants et les IBODE. Les grandes phrases de nos dirigeants ces derniers temps "plus rien ne sera jamais comme avant" pouvaient laisser penser à une véritable prise de conscience et à une nécessaire redistribution des cartes. Pourtant, la composition des groupes de travail démontre que rien ne change. On prend les mêmes et on recommence ! De plus, les IBODE dénoncent l’information donnée en ouverture du JT de 20H de France 2 le 25 mai, affichant une moyenne salariale IBODE de 3282 euros dans le public et de 3474 euros dans le privé. Ces chiffres peuvent susciter l’incompréhension et il convient de rappeler que les IBODE perçoivent 1597 euros en début de carrière et 2491 euros en fin de carrière pour 18 mois de formation supplémentaire après leurs 3 années de formation infirmière

Les infirmières et infirmiers puéricultrices et puériculteurs, par la voix de leur association ANPDE, le déplorent également : s'il a été rappelé à plusieurs reprises la volonté d'entendre l'ensemble des organisations professionnelles, il est néanmoins regrettable de constater que la composition des groupes nationaux laisse totalement de côté les organisations professionnelles infirmières, et notamment les spécialisées. De toute évidence, les groupes ont été planifiés avant cette première réunion. L'ANPDE ne peut que regretter la tournure que prend ce "Ségur de la Santé". Et d'enfoncer le clou : alors que notre spécialité est systématiquement mise de côté, que la question de la formation est méprisée par les gouvernements successifs depuis plus de 10 ans, que les conditions de travail se dégradent, il semble que ce soit le même fonctionnement qui ait été choisi par ce gouvernement une fois encore. Un gouvernement qui a pourtant répété à plusieurs reprises avoir tiré les enseignements de la crise en affichant une volonté de changement.

Les infirmières scolaires via leur syndicat SNICS-FSU  y vont également de leurs doléances, adressant une lettre ouverte au Premier ministre intitulée "Un Ségur de la Santé pour que rien ne change". On prend les mêmes, on ne change pas de cap, on va plus vite… de toute façon, on a raison, voici ce que les infirmier(e)s de l’Education nationale craignent du "Ségur de la Santé". La composition du comité du Ségur leur donne également un goût amer. Et de s'interroger : alors que trop peu de paramédicaux participeront aux débats, comment comptez-vous "dépasser les tabous" et sortir du carcan médico-centré dans lequel s’est enfermé notre système de santé ? Comment instaurer des échanges de qualité dans un calendrier si contraint et resserré ?

Du côté du Collectif Inter Hôpitaux, alors que ses deux représentantes ont participé à la première réunion du Comité Ségur, le constat est là : il y a un déséquilibre au sein de ce comité dans la représentation des différents professionnels de santé, un faible nombre de représentants de personnels non médicaux et d’associations de patients. Le Collectif Inter Urgences, à l’origine d’une mobilisation sans précédent, n’est pas représenté. Réaction de ce dernier disqualifiés du processus de concertations au motif d'une posture sectorielle, nous investirons les dispositifs de retour d'expérience. A défaut d’échanger au sein du comité,nous débattrons dans les hôpitaux et les espaces publics, avec en point d’orgue le 16 Juin et la mi Juillet.

Les infirmiers de pratique avancée dénoncent, eux aussi, par la voix du seul syndicat qui les représente, l'Union National des Infirmiers en Pratique avancée (UNIPA), le fait qu’ils ne soient pas présents au comité et lancent une pétition, pour affirmer que les infirmiers en pratique avancée sont un nouveau corps intermédiaire, ils bénéficient d'un nouveau statut et ne peuvent donc être correctement représentés que par eux mêmes. Quant à la SoFRIPA, Société Française de Recherche des Infirmiers en Pratique Avancée, elle apporte sa contribution au Ségur de la santé sur la revalorisation des carrières infirmières par le biais d'un document de travail conséquent dont la substance souligne combien il est essentiel à ce jour d'améliorer l'attractivité de la pratique avancée et d'accompagner de manière pertinente et cohérente l'implantation des #IPA et #EIPA en France. Pour co-construire le système de santé de demain... 

Les cadres aussi ont besoin d’une reconnaissance salariale. Cadre de Santé, issue de la filière IADE et titulaire d’un M1 et d’un M2 en droit de la Santé  

Les infirmiers libéraux, quelque peu absents de ce "Ségur de la Santé", jugé très "hospitalo centré, rappellent en quelques lignes, par la voix de l'Onsill, leur déception :  Ségur de la Santé ou le grand flop annoncé. Et c’est dommage. Citons pêle-mêle : la sous représentation du corps infirmier, la non représentation dans certains groupes de travail (absence des paramédicaux sur les rémunérations infirmières), l’hospitalo-centrage des débats et propositions déjà envisagées, le flou et le peu d’intérêt porté au secteur libéral qui se résume à la coordination ville-hôpital là encore portée par l’hôpital, et l’ancrage des projets dans les CPTS déjà largement envisagées dans Ma Santé 2022, le statut des paramédicaux oublié dans le discours du Premier Ministre qui n’a évoqué que la carrière des médecins, la politique du Grand âge seulement évoquée là encore pour l’hôpital, et, bien entendu, l’absence de remise en question du médico-centrage.

Autre syndicat d'infirmiers libéraux, Convergence Infirmière, le déplore également : alors que les infirmières et les infirmiers libéraux ont été en première ligne dans les soins de ville durant cette crise afin d’éviter un engorgement des structures hospitalières et souvent seuls d’ailleurs, nous sommes encore une fois ignorés et donc méprisés. En revanche, la technostructure administrative est quant à elle bien là, omniprésente, omnipotente. Les auteurs des dysfonctionnements sont plus nombreux autour de la table que ceux qui ont trouvé des solutions. Le Gouvernement semble rester accroché aux vieilles lunes, aux carcans, aux lobbys et aux mêmes orientations qui nous ont conduits aux mêmes échecs. Les attentes restent dortes : nous attendons du concret de ce Ségur de la Santé. Nous prenons en charge 1 million de patients par jour tous les jours de l’année. Nous avons démontré notre engagement sans faille, notre esprit de responsabilité et notre professionnalisme dans cette crise sanitaire. Le temps est donc venu de considérer les infirmières et les infirmiers libéraux comme des acteurs de soins à part entière, de conforter notre rôle et de renforcer notre autonomie.

On ne nous donne pas la parole, on ne nous écoute pas mais on veut toujours plus nous contrôler, nous encadrer, nous enrégimenter.

Un leadership qui se gagnera dans l'union professionnelle

Alors, que dire face à cette déception générale de la communauté infirmière qui pourrait bien transformer ce "Ségur de la Santé" en "Ségur de la Colère" ? Plusieurs collectifs de santé, syndicats et partis politiques de gauche appellent déjà à une vaste mobilisation pour défendre la santé et les soignants le mardi 16 juin et des actions locales, devant les hôpitaux, s'observent déjà, ici et là, tous les mardis, afin de "déconfiner sa colère". Les infirmiers se mobiliseront-ils, massivement, pour s'exprimer et rappeler leur rôle au coeur de notre système de santé et la place, essentielle, qu'ils se doivent de défendre. La coordination nationale infirmière rappelle un historique cher au coeur de toutes celles et ceux qui l'ont vécu : écarter les infirmier(e)s du comité du nom de cette même rue Ségur dans laquelle nous avons, il y a 30 ans, démontré notre détermination à nous faire entendre, à faire reconnaitre notre expertise et à être respectés, est reçu comme une insulte qui ne peut rester sans suite. C’est pourquoi, le Syndicat CNI a déposé un préavis de grève pour la journée du 16 juin et appelle les soignants à se mobiliser. La colère des soignants est colossale face au dédain et au mépris que le gouvernement leur témoigne après les avoir exposés au danger sans protection suffisante pendant des semaines !

Première profession de santé en effectifs avec quelque 700 000 infirmiers en exercice, mais, paradoxalement, une si faible représentativité auprès des tutelles. Syndicats, associations professionnelles... ils en livrent des combats, déploient des actions et font entendre, certes, les doléances de la communauté infirmière, utiles et légitimes, mais tous ces messages des uns et des autres morcellent l'unité professionnelle et la disolvent, perdant ainsi de leur poids. Le leadership doit se gagner et il se gagnera dans l’union. Infirmières et infirmiers, ils ont été comparés à des soldats, engagés corps et âmes, dans la crise sanitaire. Et si, avec la même énergie, et la même détermination, ils se mettaient maintenant en ordre de marche pour eux-mêmes, pour LEUR profession ? Le moment est historique.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com