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Santé en prison : des carences graves de soins spécialisés

Publié le 08/08/2022
Santé en prison

Santé en prison

Une enquête de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF) alerte sur un accès aux soins "globalement très dégradé" en milieu carcéral. Outre une identification des freins et dysfonctionnements en la matière, cette étude propose une série de recommandations afin que les personnes privées de liberté ne le soient pas non plus des soins auxquels elles ont droit.

La moitié des sollicitations relatives à l’accès aux soins reçues par l’Observatoire international des prisons (OIP) en France, concernent les soins spécialisés. (crédit : Karsten Winegeart sur Unsplash)

Soins dentaires, de kinésithérapie, d’ophtalmologie ou de gynécologie, problèmes dermatologiques, traumatologiques… Aujourd’hui, en France, l’accès aux soins spécialisés relève du parcours du combattant pour bon nombre des personnes détenues. Et ce, alors même qu’il est notoirement connu que ces personnes sont plus vulnérables aux problèmes de santé que la population générale, qu’elles ont d’ailleurs un état de santé dégradé par rapport à celle-ci et que leur santé est fragilisée par des conditions de détention éprouvantes, l’insalubrité et l’absence d’activité physique favorisant la survenue et le développement de pathologies.

À l’intérieur et hors les murs : privation de soins et pertes de chance

Dans son dernier rapport , la section française de l’OIP constate ainsi un accès aux soins spécialisés globalement très dégradé, avec des délais à rallonge pour obtenir des rendez-vous médicaux. Ainsi en 2021, l’association indique avoir reçu près de 400 sollicitations concernant l’accès aux soins somatiques et dont près de la moitié relevaient de l’accès à des soins spécialisés.

Dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) (voir encadré), la situation s’avère compliquée. Les soins dentaires (27% des sollicitations relatives aux soins spécialisés reçues à l’OIP) sont particulièrement concernés, de même que ceux de kinésithérapie, d’ophtalmologie, de cardiologie ou de gynécologie. La prévention et la prise en charge des maladies infectieuses (VIH, hépatite C) y sont quant à elles ralenties par les contraintes liées à la détention.

En dehors de ces unités sanitaires, la situation n’est pas plus reluisante. Certes, faute de pouvoir consulter un spécialiste en détention, les personnes détenues devraient en principe pouvoir se faire soigner à l’extérieur. Malheureusement, les extractions pour raisons médicales [entre 30 000 et 50 000 par an], qui nécessitent une escorte pénitentiaire, sont régulièrement annulées par manque de personnel. Et quand elles ont lieu, les conditions dans lesquelles elles se déroulent conduisent nombre de détenus à préférer se priver de soins tant les dispositifs de sécurité et les moyens de contrainte sont souvent excessifs, appliqués indistinctement à tous quelle que soit leur dangerosité. Face à ces difficultés, si l’octroi de permissions de sortir constitue une alternative pour accéder à des soins, dans les faits ce système est encore trop peu développé essentiellement en raison de freins juridiques et logistiques. Ainsi, les hospitalisations de courte durée [moins de 48h – NDLR], à l’hôpital de secteur, se heurtent le plus souvent aux mêmes problèmes de disponibilité d’escorte et d’atteinte à la confidentialité des soins. L’OIP pointe tout de même « des conditions plus respectueuses des droits fondamentaux des patients détenus » dans les unités hospitalières sécurisées (UHSI, pour les prises en charge plus longues) même si celles-ci doivent notamment aussi faire face à des difficultés organisationnelles pour les unités dédiées aux soins somatiques.

L’ensemble de ces difficultés d’accès aux soins spécialisés impacte évidemment sur l’état de santé des détenus : Le suivi n’étant pas toujours optimal, leurs pathologies tendent à s’aggraver, quand ils ne développent pas une addiction aux antalgiques prescrits dans l’attente d’une prise en charge. De même, souligne l’OIP : Les dépistages et diagnostics tardifs sont autant de pertes de chance.

Des causes multifactorielles

Cette dégradation de l’accès aux soins spécialisés en prison est multifactorielle. Parmi les freins principaux à une bonne prise en charge, l’OIP cite donc :

  • les annulations d’extractions médicales
  • la pénurie de praticiens
  • des moyens matériels insuffisants et inadaptés (locaux sous-dimensionnés et sous-équipés)
  • les interférences du milieu pénitentiaire dans le processus médical (rendez-vous non honorés en raison des contraintes pénitentiaires/problèmes de coordination entre l’administration pénitentiaire et l’unité sanitaire ; équipements médicaux et traitements refusés en cellule , difficultés d’affiliation à une couverture sociale ou de mise à jour de celle-ci).

8 axes de recommandations

S’inspirant des initiatives et bonnes pratiques identifiées au cours de son enquête, l’OIP propose en fin de rapport 8 axes de recommandations, pour que le principe d’égalité des soins entre personnes détenues et population générale, inscrit dans la loi depuis 1994, soit enfin une réalité. A savoir :

  • Réunir les conditions préalables à une bonne prise en charge des besoins sanitaires en détention, ce qui suppose notamment de réaliser des études, renouvelées à échéances régulières, pour actualiser les connaissances de l’état de santé des personnes détenues et identifier leurs besoins sanitaires spécifiques mais aussi de réitérer les propositions de dépistage au cours de la détention, d’améliorer l’accès aux mesures de prévention des maladies infectieuses ou encore de former le personnel médical exerçant en prison sur l’environnement et les problématiques sanitaires spécifiques de la population carcérale.
  • Améliorer l’offre de soins spécialisés en détention, ce qui passe entre autres par la mise en place d’une feuille de route nationale avec  un financement pérenne des postes du personnel médical et paramédical avec notamment des effectifs dédiés et suffisants au sein des USMP pour les spécialités qui doivent être accessibles sur place et pour lesquelles la télémédecine n’est pas une solution (dentisterie, kinésithérapie, gynécologie, ophtalmologie…) ;
  • Améliorer les conditions de prise en charge des personnes détenues. Soit, adapter les locaux des unités sanitaires avec des salles dédiées et dans le respect du secret médical,  les équipements médicaux nécessaires à l’exercice des spécialités présentes en détention, et autoriser les patients détenus à accéder aux traitements non disponibles via la pharmacie de l’USMP ainsi qu’au matériel médical nécessaire en cellule, conformément à leurs prescriptions médicales…
  • Limiter les annulations des extractions pour raison médicale (25 à 30% selon la DGOS versus 37% selon l’OIP) ;
  • Garantir des conditions d’extraction respectueuses des droits, par une formation effective des soignants en milieu hospitalier sur les droits des personnes détenues extraites ou encore par des moyens de contrainte et de surveillance individualisés et strictement proportionnés.
  • Favoriser les permissions de sortir pour soin
  • Eviter les ruptures de soins à la sortie
  • Permettre une prise en charge en milieu libre aux détenus ayant un état de santé incompatible avec la détention.

Une série de recommandations pour que le principe d’égalité des soins entre personnes détenues et population générale, inscrit dans la loi depuis 1994, soit enfin une réalité rappelle ainsi l’OIP.

L’organisation des soins en détention

Depuis 2012, l’organisation des soins en détention, tant somatiques que psychiatriques, repose sur trois niveaux d’intervention :

  • le niveau 1 concerne les soins ambulatoires dispensés en détention par l’USMP. Y sont assurés les consultations (de médecine générale, dentaire et certaines spécialisées) et examens ne nécessitant pas d’hospitalisation, ainsi que la fourniture des appareillages, prothèses  médicaments et autres produits pharmaceutiques ;
  • le niveau 2 concerne les soins nécessitant une hospitalisation courte ou à temps partiel. Les soins somatiques sont réalisés dans le service correspondant à la spécialité requise de l’hôpital de rattachement ou en chambre sécurisée avec garde statique ;
  • le niveau 3 concerne les soins requérant une hospitalisation à temps complet. Les soins sont dispensés en unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI – situées au sein des CHU) ou à l’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF). Exceptionnellement, ils peuvent toutefois avoir lieu à l’hôpital de rattachement (en chambre sécurisée).

La problématique des maladies chroniques, du handicap et du vieillissement

Le constat de l’OIP est sans appel : le suivi des pathologies chroniques en prison est difficile faute de praticiens en nombre suffisant, de régularité du suivi (difficultés dans la distribution du traitement), de refus de l’administration pénitentiaire et de la difficulté desextractions pour raisons médicales.

Les prisons sont également non adaptées au handicap et à la vieillesse. Si des réformes ont eu lieu ces dernières années , celles-ci restent appliquées diversement sur le territoire, tant sur le plan de la mise aux normes des bâtiments que pour organiser l’intervention des auxiliaires de vie en détention. L’OIP pointe du reste un recours limité aux aménagements et suspensions de peine pour raison médicale. La complexité des procédures de même que le manque de structures d’hébergement médicalisé pour accueillir les personnes sortant de prison restent en effet des freins importants à la mise en œuvre de ces mesures, qui demeurent sous-utilisées.

Pour en savoir plus :

Soins spécialisés en prison : l’OIP dénonce la double peine pour les détenus malades

Source : “La santé incarcérée. Enquête sur l’accès aux soins spécialisés en prison”. Rapport de l’OIP, juillet 2022

Valérie Hedefvalerie.hedef @orange.fr


Source : infirmiers.com