Alors que la pandémie de Covid-19 se répandait dans le monde entier, la Chaire de recherche en sciences infirmières AP-HP Paris-Nord a lancé en 2020 quatre programmes de recherche sur le sujet. Deux d'entre eux ont été présentés à l'occasion d'un webinaire du Gerond'if – gérontopôle d'Ile-de-France – notamment soutien de la Chaire et qui organise tout au long du mois de mars une série de webinires sur la thématique du vieillissement. Décryptage des résultats et éléments de discussion.
Comment avance la recherche infirmière pendant la pandémie et sur la crise de la Covid-19 ? C'est en substance ce à quoi s'est intéressée, entre autres, la Chaire de recherche en sciences infirmières (RSI) AP-HP-université Sorbonne-Paris Nord durant l'année qui vient de s'écouler et qui a débouché sur la réalisation de quatre études1 toutes soumises pour publication à des revues scientifiques internationales
a indiqué Monique Rothan-Tondeur, infirmière, PhD et titulaire de la Chaire, dans le cadre du webinaire "Impact de la Covid-19 sur le secteur du vieillissement" organisé le 4 mars dernier par le Gérond'if.
Lors de ce webinaire, le Gerond'if a exposé deux des trois projets en lien avec le Covid-19 qu'il a menés pendant cette crise sanitaire en Ile-de-France :
- Covid-hop : étude sur la mortalité hospitalière en gériatrie en IDF menée de mars à mai 2020. Les résultats ont notamment montré un taux de mortalité de l'ordre de 33 % ;
- Covid-Ehpad : étude de la prévalence et des présentations cliniques de la Covid-19 menée en mars-avril 2020 dans 15 Ehpad. L'objectif principal était de décrire la symptomatologie clinique des résidents PCR+ ; secondairement de donner des chiffres de prévalence en Ehpad et les confronter aux données nationales, et décrire par ailleurs cette fois-ci la symptomatologie clinique des soignants PCR+.
Quant à l'étude Cogevax – évaluation de la vaccination anti-Covid-19 chez des sujets très âgés et comorbides en Ehpad et USLD en IDF (au total 35 établissements) –, le recueil des données est actuellement en cours. Il s'agit d'un travail complémentaire de la surveillance renforcée par la pharmacovigilance de l'ANSM des vaccins anti-Covid-19. Les résultats préliminaires de cette étude de cohorte (près de 4 000 sujets – 75% vaccinés et 25% non vaccinés ; la plus importante au plan national) devraient être disponibles début avril.
Quelle implication des infirmières dans la recherche sur la Covid-19 ?
Présentée par cette dernière, l'étude Covid-Iaso visait à mesurer l'implication des IDE dans la recherche sur la Covid-19. Réalisée entre le 1er janvier et le 24 juillet 2020, cette recherche quantitative a recensé 724 articles publiés dans différentes revues de nursing indexées2 parmi lesquelles (par ordre décroissant) "Chinese general practice nursing research" (55), "British journal of nursing" (36), "British journal of community nursing" (19), "Practice nurse" (17)… Sans surprise, les États-Unis, l'Angleterre sont parmi les pays qui ont le plus publié (respectivement 249 et 201) suivis de peu par la Chine (198), puis l'Australie (43) et… le Danemark (16). Il s'agissait au final de peu d'études (241) mais plutôt d'avis d'experts (483), de réflexions et de recommandations sur des thématiques ayant trait à la clinique (37 %), mais surtout à des objets concernant la profession (62 %) tels que la formation, la fatigue, la posture des infirmières, le droit/la réglementation, un outil d'aide à la décision clinique dans le cas de la Covid-19 et quasiment pas à la santé publique (1 %). À la lumière de ces résultats, Monique Rothan-Tondeur a pointé quelques éléments de discussion quant aux résultats. Par exemple, la relative faible contribution de l'Australie alors qu'il s'agit d'un pays plutôt très générateur de publications (est-ce à mettre en lien par le fait qu'il ait été touché moins vite ?), et a contrario une forte et rapide contribution de la Chine . En outre, ce ne sont pas les revues qui ont le plus haut impact factor (IF) qui ont publié le plus durant cette période. À ce propos, la titulaire de la Chaire a émis l'hypothèse que celles-ci avaient un processus de soumission et de publication plus complexe et plus long.
Faible nombre d’études cliniques et publications dans des revues à faible impact factor
Globalement, Monique Rothan-Tondeur regrette une faible réactivité de la recherche infirmière, qui se traduit par un faible nombre d’études cliniques et des publications dans des revues à faible impact factor. Ceci peut s’expliquer par une recherche infirmière insuffisante de manière générale et un effet de la pandémie sur la disponibilité des IDE pour faire de la recherche, bon nombre d'infirmières chercheuses étant retournées sur le terrain pour prêter main forte à leurs collègues. Enfin, sur la méthode de son analyse de la littérature infirmière, Monique Rothan-Tondeur s'est interrogée sur l'exhaustivité des résultats (difficultés à trouver les articles en entier car abstracts pas toujours disponibles), les difficultés de traduction, ou encore sur le "nettoyage" des données (le premier auteur est-il une infirmière ?).
Perceptions et expériences de la crise sanitaire des infirmiers en première ligne et de leurs proches
Autre étude présentée : Covid-Nintu. Cette fois-ci qualitative3, cette recherche portait précisément sur les perceptions et expériences de la crise sanitaire des infirmières de première ligne – particulièrement exposées à un risque psychologique et physique accru compte tenu de leur positionnement auprès des patients infectés4 – et de leurs familles.
Les résultats montrent l'émergence de paradoxes qui signent une vision contrastée entre les IDE et leurs proches par rapport à leur expérience de la crise
a souligné Stéphanie Chandler-Jeanville, PhD en 2e année à la chaire RSI en charge de l'étude et par ailleurs infirmière en service d'anesthésie à l'hôpital Avicenne (AP-HP). En l'occurrence :
- le paradoxe du silence (bruit médiatique permanent dans lequel vivaient les proches en regard du silence assourdissant subi par les soignants) ;
- le paradoxe du "héros" (soignants considérés comme de super héros/applaudissements aux balcons, sentiment de fierté et de devoir accompli en regard de leur impuissance et de leur épuisement) ;
- le paradoxe de l'échange symbolique (soignants dépossédés d'une partie de leur vie perso et professionnelle – relationnel effacé au profit de la prise en charge médicale par exemple – au profit d'un enrichissement émotionnel fort (IDE heureux des marques de soutien/dons de nourriture…) ;
- le paradoxe des effectifs (pour les infirmiers : sureffectif dans les services aigus, de réanimation, urgences en regard du manque de personnels dans les services de gériatrie, en Ehpad notamment) ;
- le paradoxe de l'incertitude (certitudes des savoirs et des compétences – caractère répétitif des soins – en regard de l'inconnu et de l'angoisse) ;
- le paradoxe de l'apprentissage chez les étudiants en soins infirmiers (mobilisation des ESI sur le terrain en regard d'objectifs d'apprentissage interrompus : flou autour de leur fonction mais en même temps expérience formatrice).
Six paradoxes qui laissent à voir quatre sentiments sous-jacents : la peur (de la mort pour les soignants, liée à la surinformation pour les proches), la colère (liée à un manque de soutien organisationnel avec le manque d'équipements de protection individuelle (EPI), de matériel ou de leadership inclusif – manque de visibilité et de présence de l'encadrement en Ehpad notamment), la fierté du devoir accompli et la souffrance ("héros" en manque de reconnaissance, situation indigne et inhumaine pointée dans les Ehpad par rapport à l'interdiction des visites). À noter : lors des entretiens réalisés, certains infirmiers ont évoqué leur souhait de quitter leur profession ou leur établissement (1 sur 2 en gériatrie). Plus globalement, il ressort de cette étude des besoins et des attentes exprimés de part et d'autre vis-à-vis des directions et autorités sanitaires, à savoir être soutenus et protégés (EPI en quantité suffisante, accès à des tests de dépistage de façon prioritaire et régulière), informés et éduqués (par exemple pour les IDE information pour comprendre la variabilité des protocoles, les différents changements et y adhérer ainsi plus facilement), écoutés et reconnus (compétences et valeurs apportées aux soins dans le cadre de la crise sanitaire mais aussi en dehors). Enfin, on notera deux limites liées à la méthode de l'étude, à savoir l'utilisation de la visioconférence (parfois problèmes de connexion) et le rôle des émotions (sujets abordés parfois très sensibles, donc nécessité de mener les entretiens avec le plus de réflexivité possible).
Notes
- Étude Covid-Iaso, étude Covid-Nintu, étude Cérès sur l'impact de la crise sanitaire et de la situation économique au Liban sur les habitudes alimentaires des infirmières libanaises et étude Deimos sur le Covid-19 dans la ville de Kinshasa : représentations sociales chez les fugitifs du confinement
- Sur Web of Science (WOS), Pubmed et Cinahl
- Réalisée auprès d'IDE (27 % en Ehpad et services de gériatrie), ESI et proches (échantillonage non-aléatoire, par quota et cumulatif par la méthode boule de neige) via des entretiens semi-directifs (au total 97 par visio/audioconférence, près de 35 heures)
- 160 000 infirmiers ont déjà été infectés ; plus de 2 200 décès d'infirmiers sont imputables à la Covid-19 dans le monde, un chiffre probablement très en deçà de la réalité selon le Conseil international des infirmières (CII). En France, Santé publique France a recensé au total 19 décès liés à l'infection à SARS-CoV-2 enregistrés depuis le 1er mars 2020, dont 1 infirmier, et aucun depuis mi-décembre 2020. Ce recensement n'a toutefois été effectué que chez les professionnels exerçant en établissements de santé
Valérie Hedef
Journaliste
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