Diplômée cadre de santé depuis juin 2019, j’ai pris mon poste en Ehpad durant l’été qui a suivi. Loin d’imaginer l’expérience que j’allais vivre, j’ai commencé à apprendre à connaitre les équipes et le fonctionnement de l’établissement. Depuis le début de l’épidémie j’ai pris conscience que pour basculer, quelques gouttes suffisent… Cet article témoigne de ce que nous avons vécu au sein de notre institution. Nous n’avons aujourd’hui quasiment plus de cas de COVID-19. Nous prions pour qu’il n’y ait pas de seconde vague.
A la mi-mars 2020, nous étions en confinement depuis déjà 15 jours. Les résidents n’avaient plus de contact physique avec leur famille, et très peu avec les autres pensionnaires. Seulement quelques animations à trois ou quatre résidents distancés de deux mètres et quelques balades dans le parc en individuel. Un déchirement pour ces personnes vieillissantes car certaines voyaient leur famille quotidiennement. Pour les rassurer nous leur disions que cela n’était que provisoire, que les choses allaient vite s’arranger. Enfin n’était-ce pas aussi pour nous rassurer ?
Dans nos campagnes nous nous pensions protégés, et rien ne présageait ce qu’il allait nous arriver dans les jours suivants. Fin mars, les premières suspicions de COVID-19 font leur apparition. Des tests sont réalisés. Nous relativisons alors en nous disant que ces résidents-là sont connus pour des pneumopathies de déglutition, et que c’est probablement ce qui leur arrive en ce moment. Nous étions confiants et espérions que le résultat revienne négatif. L’appel du laboratoire a anéanti tous nos espoirs. Partagé entre le sentiment de tristesse, de colère, d’injustice et de culpabilité, nous avons subi cette première annonce tel un coup de massue. Entre tests positifs et faux négatifs, nous voilà submergés par la vague du coronavirus. A ce moment-là, je me demande si nous avions pris assez d’air pour la traverser…
Le « CO vide »
Mise en place des précautions "gouttelettes", informations aux familles, réorganisation par secteur "COVID, non COVID", la course au matériel… A partir de là, nous sommes rythmés par le virus. Les prises en soin sont plus importantes, les surveillances accrues, les précautions sont essentielles, mais chronophages. Face à nous, le regard en détresse de certains résidents qui tentent d’entrevoir nos yeux, encore visibles au travers de nos visières. Leur épuisement, leur peur face à cette maladie se fait ressentir. Les larmes sont difficiles à retenir.
Chaque jour, les professionnels ont surmonté avec beaucoup de courage et de témérité leur peur. Cette peur quotidiennement présente, qui fait l’effet d’une épée de Damoclès. La crainte d’être porteur du virus, à son insu et de le transmettre malgré tous les gestes barrières, aux résidents, aux collègues, à sa famille proche. De jour en jour, les cas se multipliaient, comme je disais c’est les cas tombes
(l’hécatombe) des résidents et des professionnels eux-mêmes. La peur fait place à la culpabilité. Celle qui ronge le soignant à chaque instant. Tous en quête de compréhension pour savoir comment ce virus est rentré, et pourquoi dans notre structure, malgré tous les efforts fournis.
Il y a des jours où l’on craque, victime de la pression, de l’incertitude, de la fatigue. Le soutien de médecin et psychologue nous aide grandement. Je ne peux pas dire que nous avons manqué de matériel. Notre établissement nous a soutenu et c’est une grande chance. La difficulté reste, comme partout en France, le manque cruel d’aide-soignantes et d’infirmier(e)s. Les renforts n’ont pas été simples à organiser, mais c’est aussi dans cela que j’ai redécouvert les équipes, solidaires et soudées. Ce sont des moments forts pour un cadre de santé. Je me suis sentie parfois coupable de solliciter des agents qui donnaient déjà beaucoup de leur personne. Mais j’ai aussi ressenti une profonde satisfaction de les voir spontanément se proposer pour revenir sur leurs repos. Un élan d’entraide et de dévouement qui me ramène aujourd’hui au pourquoi j’ai choisi ce milieu du soin.
Le grand voyage : entre tristesse et frustration
Et puis les décès se sont succédés. Avec impuissance nous assistons à ces pertes. Nous avons l’impression d’être dans un monde parallèle, les allers et venues des cercueils dans les couloirs ont été des images marquantes. Le bruit du couvercle qui s’entrouvre laisse un froid glaçant. N’oublions pas que nous sommes en EHPAD, un lieu de vie où les soignants font partie intégrante du quotidien. Avec le temps des liens se tissent, telle une famille.
Les soins autour du résident défunt sont chargé de sens pour les soignants. Il n’est pas rare d’entendre : regarde comme il beau
de la part des professionnels envers le défunt. La satisfaction d’aller jusqu’au bout, de faire une toilette mortuaire, et d’habiller la personne telle qu’elle le souhaitait est un moment intime et précieux. Néanmoins, depuis l’article 12-1 du décret n°2020-384 du 1er avril 2020, l’interdiction des soins de conservation ainsi que d’effectuer la toilette mortuaire est imposé
. Il est également question de ne plus vêtir les résidents de la tenue choisie, mais de leur enfiler une blouse à usage unique. A ceci s’ajoute la mise en bière après le décès. Un ensemble de règlementations que les professionnels n’appliquent que par résilience. Dans les échanges, ils évoquent la sensation d’un accompagnement non abouti. La peine de ne pas pouvoir donner au résident la dignité, et le respect qu’ils méritent. La mise en housse, est un geste inaccoutumé pour eux, réalisé par les agents des pompes funèbres en temps normal. Cela leur donne l’impression d’expédier
le résident alors, qu'habituellement, il est présenté avec une belle tenue, un peu de maquillage, enveloppé d’un drap. Les soignants vivent difficilement de ne pas avoir pu répondre aux dernières volontés chargées de symboles.
Malgré ce ressenti, je tiens à souligner que les aides-soignant(e)s, infirmier(e)s et agents de services hospitaliers ont fait un travail remarquable. Ils ont prodigué des soins de qualité jusqu’au bout. Ils se sont relayés pour tenir la main de résident pour ne pas qu’il décède seul, ils ont mis le téléphone en haut-parleur pour que les proches puissent parler une dernière fois à leur parent, nous avons accompagnés les familles dans ce processus douloureux et qui, dans ce contexte, est d’autant plus éprouvant.
Cet article témoigne de ce que nous avons vécu au sein de notre institution. Nous n’avons aujourd’hui quasiment plus de cas. Nous prions pour qu’il n’y ait pas de seconde vague.
Morgane Letang
Cadre de santé, Domaine du Lac. 49420 Pouancé - Ombrée d'Anjou
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