La pandémie a rendu le travail des soignants visible, et avec lui les difficultés : pénurie de personnel, rythme de travail effréné, conditions d'exercice de plus en plus dégradées, manque de reconnaissance, de rémunération, de matériel, la liste est longue. Le Covid aura ainsi au moins eu cet avantage de faire émerger une réflexion sur l'état du système de santé et de ses acteurs. Plusieurs chantiers ont été entrepris depuis, avec quelques mesures concrètes (même si jugées insuffisantes) sur le plan de la rémunération avec le Ségur, sur les multiples réponses à donner à la pénurie de personnel et à l'accès aux soins également, notamment avec la loi Rist. Pour autant, la situation reste très préoccupante. Les infirmiers quittent le navire hôpital, les libéraux s'épuisent et se sentent isolés, les étudiants sont de plus en plus nombreux à renoncer. En atteste la lettre ouverte des professionnels infirmiers et des étudiants adressée ce 10 mai à Emmanuel Macron, et leur mobilisation à l'occasion de la Journée Internationale des Infirmières.
Les ESI sont trois fois plus nombreux à abandonner qu'il y a 10 ans
Quand on parle d'avenir, c'est à eux que l'on pense d'abord : les étudiants. Pourtant, sur les bancs des IFSI, la situation aussi est inquiétante : les étudiants en formation d'infirmier sont trois fois plus nombreux à abandonner en première année en 2021 qu'en 2011, selon une étude1 publiée jeudi 11 mai par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). 10% des étudiants en première année de formation ont ainsi abandonné leurs études en 2021 alors qu'ils n'étaient que 3% en 2011. Résultat de cette évolution, le nombre de diplômés par an a baissé de 7% entre les années 2010 et 2021. Sur l'ensemble d'un cursus classique d'une durée de trois ans, le taux d'abandon pour la dernière promotion étudiée atteint 19% chez les hommes contre 13% chez les femmes et 14% pour l'ensemble de la promotion, précise l'étude.
Il faut sortir de cette politique mortifère du 'former plus, coûte que coûte' et investir massivement dans la qualité de vie au travail et dans la formation des professionnels de demain
Si les abandons plus nombreux ont été partiellement compensés par l'augmentation du nombre d'inscrits, relativise l'étude (35 500 élèves en première année de formation en 2021 alors que ce chiffre était stable -autour de 31 000- dans les années 2010), elle n'apporte pas d'explication à ces renoncements. Dans leur lettre ouverte, les organisations infirmières évoquent, elles, «un déficit global d'ambition pour [leur] discipline» et dénoncent une politique à court terme : «La mise en place de moyens détournés ou de mesures temporaires comme voie d’accès n’est pas la solution pour fidéliser les professionnels. Il faut sortir de cette politique mortifère du 'former plus, coûte que coûte' et investir massivement dans la qualité de vie au travail et dans la formation des professionnels de demain».
Une situation mondiale préoccupante
La situation des infirmiers n'est pas plus réjouissante dans le monde. Passées nos frontières, la pénurie de personnels infirmiers persiste, les conditions de travail difficiles aussi. L'exemple du Liban est éloquent : marqués par la gigantesque explosion survenue le 4 août 2020 dans le port de Beyrouth et poussés par le désir d’une vie meilleure, les infirmiers prennent la route des pays du Golfe, de l’Europe ou encore de l’Amérique du Nord, explique Rima Sassine Kazan, présidente de l’Ordre des Infirmiers du Liban (OIL). Des contre-exemples existent : au Congo, le leadership infirmier s’intègre dans le mode de gouvernance des hôpitaux pour améliorer la prise en charge des patients et porte ses fruits en modifiant l'existant.
Avec la publication du Rapport sur la situation du personnel infirmier dans le monde, des Orientations stratégiques mondiales pour les soins infirmiers et obstétricaux et du rapport Pérenniser et fidéliser les effectifs en 2022 et au-delà, le CII et d’autres organisations appellent au changement. «En plus de tirer les leçons de la pandémie pour mieux soutenir les infirmières, la campagne portera également sur la manière de renforcer nos systèmes de santé pour répondre à la demande croissante, au niveau mondial, en soins», souligne le CII.
Dossiers en cours et avancées
En France, l'adoption de la loi Rist, mercredi 10 mai par le Parlement, est un signal fort pour les infirmiers : ce texte, initié par la députée macroniste Stéphanie Rist, vise à faciliter l'accès aux soins en désembouteillant les cabinets des généralistes. Concrètement, sous certaines conditions, les Français pourront, sans passer par leurs médecins traitants, consulter des infirmières en pratique avancée ainsi que des kinésithérapeutes et des orthophonistes. «C'est un changement de pratique et de culture», s'est réjouie Stéphanie Rist, alors que son texte a fait grincer des dents notamment dans les rangs des médecins.
Le décret de compétences est également très attendu par les infirmiers français comme une piste d’évolution et de garantie d’une meilleure offre de soin. Cheval de bataille prioritaire de l’Ordre : le passage effectif du décret d’actes à un décret de compétences est envisagé pour 2024, un délai estimé trop long par l'ONI qui demande sa mise en œuvre dès le mois de juin 2023.
1 - Cette étude a été réalisée grâce à l'enquête "Ecoles", qui recueille les données annuelles sur les écoles de formation aux professions de santé. A cela s'ajoutent les données de l'enquête "Étudiants" -annuelle de 2003 à 2017 et quadriennale depuis 2022- qui apporte des données socio-démographiques des étudiants en formation aux professions sanitaires et sociales.
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