Laurent Garcia, cadre de santé en EHPAD, a pris sa plume durant le confinement, au printemps dernier, pour transmettre son ressenti, ses craintes et ses espoirs dans une période où les plus fragiles pouvaient se sentir plus vulnérables encore. Mais il évoque surtout les ajustements qu’il a décidé d’apporter aux actions protocolées afin d’humaniser son management et de répondre du mieux possible aux attentes des équipes dont il a la charge et aux besoins des résidents. Quand le rôle de cadre de santé fait place à celui "d’ambianceur"...
Dimanche, jour de repos dans un pavillon de la Seine-Sant-Denis, il y a confinement plus dur à vivre… Le temps de mettre sur le papier quelques lignes pour partager alors ce que je vis en tant que cadre de santé à l’EHPAD des Quatre saisons, mais surtout peut-être pour engager une réflexion sur l’après.
J’aurais voulu être un artiste
…. je suis cadre de santé ou plutôt ambianceur !
Cette crise, aussi dure soit-elle, nous donne à réfléchir sur ce que nous, professionnels, familles souhaitons pour nos "anciens". Ce que nous vivons et mettons en place actuellement sont aussi des pistes à suivre pour un meilleur accuei,l même si cette réflexion a déjà été engagée. Il est bon d’entendre avec tant de respect les mots adressés aux personnels soignants qui ont si longtemps étaient invisibles et peut-être même dénigrés. Aides-soignants, aides-soignantes, infirmiers, infirmières, personnels de cuisine, de service sont autant de professions qui participent effectivement au bien-être de nos aînés quand le choix est fait de l’installation en EHPAD. Ce respect ne devra pas être oublié et les rémunérations repensées.
Le 31 mars paraissaient sous la plume de Florence Aubenas, grand reporter au journal Le Monde, le récit des 11 premiers jours du confinement. Ses mots sur le quotidien de notre établissement étaient justes, sincères et peu de choses sont à rajouter pour comprendre ce que nous vivons actuellement. En effet, il n’existe pas un dedans et un dehors de l’EHPAD, mais des vies. Une soignante qui traverse des difficultés chez elle continuera de les vivre à la résidence. De ce simple constat, j’ai toujours voulu, en tant que cadre, que la parole de "mes soignantes" soit libre et que ce soit avec facilité qu’elle puisse pousser la porte de mon bureau ou me parler quand nous nous croisons dans les couloirs, pas seulement de la situation de tel ou tel résident mais d’elle, de lui, de leur famille. Voilà à mon sens un point essentiel de ma façon d’exercer ma fonction. Je ne suis pas le donneur d’ordre mais l’"ambianceur", celui qui admire le dévouement des soignants, qui facilite leur travail, qui dit "je vous aime" à défaut de pouvoir les serrer dans mes bras. Je les aime aujourd’hui mais je les aimais hier aussi.
Mon travail est d’être disponible, à l’écoute de leurs difficultés, quelles qu’elles soient, et surtout mettre tout en œuvre pour que nous trouvions la solution ensemble. Rechercher un peu de bonheur. Alors, si parfois la musique, les danses sont bruyantes, je suis là, pas de réprobation systématique mais laisser la place à la joie, ne pas sanctionner mais participer à tout, être vivant, laisser vivre les initiatives.
Je ne suis pas le donneur d’ordre mais l’"ambianceur", celui qui admire le dévouement des soignants, qui facilite leur travail, qui dit "je vous aime" à défaut de pouvoir les serrer dans mes bras...
Parce que les EHPAD sont avant tout des lieux de vie
Cet article est donc là pour continuer à mettre en avant le travail des équipes soignantes, des cuisiniers, des équipes de service, d’entretien et de la direction. Nous n’avons pas eu le temps de nous abandonner à la sidération, tous autant que nous sommes, avons d’abord pensé aux résidents, à faire au mieux avec nos moyens et depuis ce que nous étions. Il est remarquable que ce temps ait permis un décloisonnement des taches, de mettre en lumière l’entraide qui existait entre tous les membres du personnel. Nous étions une équipe, nous sommes devenus une famille, j’ose à le croire et je m’en réjouis.
Si pareil comportement relève à mon avis du bon sens, j’ai l’impression que ces dernières années le clivage entre cadre et équipes s’était accru. Les premiers voyant les seconds comme de simple exécutant, les seconds pensant de plus en plus que les premiers sont dans l’incapacité de comprendre la difficulté et le nombre des tâches quotidiennes qui leur incombe. Réaliserons-nous un jour qu’onze toilettes pour une soignantes n’est pas acceptable ? Qu’un infirmier pour 65 résidents n’est pas suffisant ? 2 personnels d’entretiens pour 65 chambres dans un milieu médicalisé permettent-ils de faire comme le voudraient les équipes ? Qu’il y ait seulement deux personnes présentes la nuit ? Alors aujourd’hui, dans les lumières de la crise, plus de sachants, plus de chefs ou d’ordres péremptoires mais du temps pris pour une réflexion commune sur ce qui est le mieux pour chacun des résidents, pour chacun des membres de l’équipe. Tout ce que j’ai toujours voulu, tenté est devenu simplement possible.
L’urgence à créer du temps
Ici, plus personne qui impose ce qu’il y aurait à faire, ou ce qu’il faut faire mais tout le monde qui fait. Alors oui, quand il faut créer un "espace COVID" et que cela nécessite le déménagement de nombreux résidents, c’est une équipe qui se met en marche, c’est chacun qui met la main à la tâche. Le cadre devient déménageur, le personnel d’entretien devient celui qui prend du temps pour écouter, l’aide-soignante ou l’infirmier permettent que les soins continuent pour chacun des résidents malgré le grand chamboulement.
Tout ceci a été fait avec une certaine douceur, car nous n’oublions pas que certains de nos résidents seraient déstabilisés par tant de changement s’il était fait brutalement. Nous le faisons ensemble. J’en appelle donc encore plus aujourd’hui à la douceur et à la convivialité. Les repas sont le temps par excellence de la convivialité, le moment où la salle commune se remplit, où le personnel de service virevolte pour que tous puissent être servis chaud, que les aides-soignantes accompagnent, restent attentives pour que tous mangent.
Pourtant, confinement oblige, cet espace a disparu… mais nous avons mis en place un service au perron des chambres, les mots, les rires traversent les couloirs. Si cela permet de moins mal vivre le confinement en chambre, cette solution a également permis d’alléger le travail de service et de permettre aux équipes présentes de partager le repas avec nombreux résidents et d’aider à manger les résidents alités. S’autoriser des écarts, c’est aussi permettre à deux de nos hôtes à tour de rôle de pouvoir rejoindre la salle commune d’y manger "en amoureux", à distance, tout en restant protégés. Les taches restent mais de nouvelles apparaissent, les échanges par de nouveaux canaux avec les familles, des photos envoyées, des petits mots qui rassurent. Des tensions qui n’étaient pas encore réglées ont peut-être disparu ou ont été simplement mises entre parenthèse ? Je cherche encore la meilleure façon pour que disparaisse l’idée d’un dedans et d’un dehors de l’EHPAD, pour qu’il existe un temps singulier pour les familles.
Actuellement, il ne s’agit évidemment pas d’alourdir les taches du personnel mais d’opérer encore un nouveau partage, en mettant en attente certaines tâches administratives dont le nombre a exponentiellement augmenté tout au long des dernières années, pour revenir à ce qu’est à tous notre cœur de métier : être proche des résidents, prendre le temps d’écouter, d’échanger. Comment cela sera-t-il encore possible après ? Quand disparaitra la mainmise des protocoles et des contre protocoles arrivant par mail pour une organisation et une réflexion depuis ce que nous vivons au quotidien ? Nous essayons d’ouvrir quelques fenêtres. Bientôt, j’espère que nous ouvrirons les portes … que nous multiplierons les échanges, les rencontres, les solidarités. Certains de nos résidents qui avaient leurs habitudes de ballade ont eu besoin de sortir. Nous l’avons fait, les avons accompagnés dehors pour qu’ils réalisent les rues désertes, qu’ils comprennent qu’ils n’étaient pas seuls à devoir vivre le confinement.
Nous essayons d’ouvrir quelques fenêtres. Bientôt, j’espère que nous ouvrirons les portes …
Allier le dire à l’agir pour que la nouvelle organisation soit comprise
Finalement, être cadre de santé est, à mon sens, s’affranchir de la pensée que nous saurions indispensables, que nous ne saurions que les simples messagers des ordres et contrordre reçus, les bons élèves des Agences Régionales de la Santé, mais penser notre agir au regard du nombre de résidents, des forces et des volontés présentes. Il est clair que les aides-soignants, infirmiers, cuisiniers ou personnels de services qui travaillent, pour certains, depuis de nombreuses années en EHPAD sont riches de bon sens et que c’est bien leurs sourires et leur expérience qui sont précieux pour les résidents et indispensables pour traverser la crise en cours et penser l’après ! Ma manière n’est pas forcément la bonne manière ou celle qui sera possible partout, pour tous. Ma manière oscille entre respect des recommandations et écarts réfléchis. Tout cela est envisageable au sein de l’EHPAD des Quatre saisons pour de multiples raisons : notre taille, nos liens avec la municipalité, nos réseaux. En effet, les solutions ne seront pas les mêmes dans un établissement accueillant 65 résidents que dans ceux qui accueillent 100, 200 personnes ; les possibilités ne sont pas les mêmes quand aucun membre des équipes n’est absent ou quand il manque 10%, 20% du personnel.
Je suis cadre dans un petit établissement où l’entente entre tous existait avant le confinement. L’établissement des Quatre saisons offre par ailleurs, et à plusieurs égards, une faculté importante de se réorganiser. En effet, nous sommes une petite centaine à vivre là, la plupart du personnel réside à proximité et n’a pas à faire des heures de trajet pour venir travailler. Personne ne se pense supérieur à l’autre.
J’ai eu la chance que personne n’ait fait valoir quelconque qualité pour passer un test COVID alors que l’ensemble du personnel et des résidents ne le pouvaient pas, que personne n’ait trouvé judicieux,, en période de pénurie de masqu,e de faire valoir sa protection personnelle avant celle de ceux en contact direct avec les résidents suspects. Médecin, directeur, cadre de Santé, infirmiers, eides-soignants, personnels de service, de cuisine..., personne n’a fait sentir aux autres qu’il était plus important. Nous sommes dans le même bateau. Cadre de santé dans un EHPAD, je me préfère "ambianceur" dans un lieu de vie. Ce que nous partageons depuis toujours n’est pas d’être de simples accompagnants vers la mort mais des faiseurs de joies pour continuer à s’inscrire dans la vie. Sur le tableau blanc à l’entrée de la résidence est écrit : "Merci, Il va falloir beaucoup, beaucoup d’amour" Il ne faudra jamais l’effacer.
Cadre de santé dans un EHPAD, je me préfère "ambianceur" dans un lieu de vie !
Laurent Garcia, cadre de santé
Ehpad des Quatre-Saisons, Bagnolet (93)
laurent.garcia1@gmail.com
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