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AU COEUR DU METIER

"Pour prévenir le cyberharcèlement, le rôle de l’IDE scolaire est fondamental !"

Publié le 11/03/2020

Messageries instantanées, réseaux sociaux, forums, chats, jeux en ligne… si l’avènement d’internet nous permet d’être informés et en contact avec nos proches en temps réel, toutes les innovations qui en découlent n’ont pas que des effets bénéfiques. En effet, elles ont permis de développer un nouveau mode de harcèlement via ces nouveaux moyens de communication : le cyberharcèlement. Devenu un enjeu éducatif majeur, les infirmiers scolaires ont un rôle à jouer pour éviter ce type de dérives qui reste malheureusement encore trop courant en milieu scolaire, notamment aux collèges et lycées.

Face aux nouvelles technologies, les comportements abusifs ont pris de nouvelles formes. Les réponses à ces dérives doivent être adaptées en conséquence.

D’après les enquêtes effectuées, on peut estimer que 10 % des écoliers et des collégiens rencontrent des problèmes de harcèlement et que 6 % d’entre eux subissent un harcèlement que l’on peut qualifier de sévère à très sévère, selon l’association e-enfance. Des estimations parcellaires si on tient compte du fait que les études demeurent relativement rares et sont réalisées sur la base d’auto-questionnaires d’où la grande difficulté d’avoir des données fiables. Le harcèlement à la base reflète une intension agressive et répétée visant à établir une situation de dominant/dominé. La victime n’arrive pas à s’en sortir seule. Avec l’arrivée des réseaux sociaux en 2010 et celle des smartphones, le phénomène a changé de forme. La différence c’est que la victime parvient parfois à se défendre et que les spectateurs restent moins souvent passifs, explique Nicole Catheline pédopsychiatre. Celle-ci a entre autres publié un ouvrage sur le harcèlement scolaire en 2008.

Dans le cadre du harcèlement sur le net, on peut surtout noter les phénomènes d’usurpation d’identité, de postage de photos ou vidéos sans l’accord de la personne, de propos agressifs souvent relayés par une communauté entière ce que l’on nomme l’effet de meute. Evidemment le fait que les comportements soient répétitifs est nécessaire pour parler de harcèlement. Si c’est un acte unique le terme approprié est cyberviolence. On évalue qu’entre 40% et 60% des enfants et d’adolescents ont déjà été confrontés à ce type de dérive (cyberharcèlement et cyberviolence confondus). D’ordre général, il est établi que le harcèlement sur le net est plus fréquent qu’en face à face. En revanche, en ce qui concerne le harcèlement sévère, pour ce que l’on peut en juger d’après les rares données dont on dispose, les chiffres sur le net ou de visu sont assez similaires : de l’ordre de 5 à 7 % des élèves. Mais on peut supposer que près d’un enfant sur deux a au moins une fois été confronté à une situation pas très agréable. 

De son côté, Pascale Massines, infirmière scolaire depuis près de 11 ans au collège et au sein de 4 écoles primaires de secteur estime voir sur le terrain environ une affaire de cyberharcèlement par an. Au début c’était pire ! Au commencement de Facebook, c’était quasiment hebdomadaire. On intervenait lors de bagarres après que les élèves s’étaient déjà insultés sur le réseau social. Depuis la rentrée de 2018, une loi interdisant l’usage des téléphones portables dans les établissements s’applique et change à nouveau la donne. Avant cela, les nuisances pouvaient commencer où se poursuivre dans l’enceinte des établissements scolaires maintenant cela s’arrête. Les victimes ne sont harcelées qu’une fois chez elles, seules face aux écrans, précise la professionnelle de santé.

Les infirmiers ont un rôle fondamental pour la prévention et le dépistage du cyberharcèlement

L’importance de la prévention

La seule prévention c’est de faire de l’information en leur permettant de comprendre les enjeux du net. Contrairement à ce que l’on pourrait croire il y a plein de choses qu’ils ne savent pas, et du coup, plein d’erreurs qu’ils commettent comme d’envoyer des photos dénudées à leurs petits copains, explique le Nicole Catheline. Autre point à aborder selon la spécialiste : permettre aussi aux jeunes d’aborder les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leurs relations avec les autres. L’infirmier peut avoir un rôle à jouer là-dessus : faire comprendre à l’élève que, s’il a le droit d’être en colère contre quelqu’un, s’en prendre à lui est tout sauf la solution. Il faut travailler la dynamique de groupe. Quand il y a harcèlement : c’est un échec de cette dynamique !

Toujours selon la pédopsychiatre, les populations les plus menacées sont les 12-14 ans, car, à partir du lycée, les adolescents ont davantage conscience des dangers et savent mieux comment se prémunir des dérapages. Quand cela nous tombe dessus, ce n’est pas évident d’aller s’en plaindre surtout à leurs parents. L’école reste donc un bon tiers dans ces cas précis. Les informer sur la conduite à tenir, sur les numéros verts qui permettent de faire retirer les contenus est la base. Il est indispensable qu’ils connaissent nommément un adulte vers qui se tourner, que ce soit l’infirmier ou le CPE.

Les 12-14 ans, une population que Pascale Massines connait bien. Chaque année, elle organise des actions de prévention contre le harcèlement dès la rentrée pour les 6èmes avec le CPE. Une campagne d’information qui se fait en deux temps : au départ on évoque la définition du harcèlement et du cyberharcèlement avec les conséquences pour les victimes, les témoins et les harceleurs. On fait aussi le jeu de la rumeur pour leur montrer comment un fait répété peut être déformé. Puis on programme une séance d’une heure d’information un mois plus tard. Mine de rien cela les marque. Elle leur explique aussi que leur image est libre de droit une fois sur les réseaux : je prends souvent l’exemple de personnes qui publient une photo de leur maison et disent en commentaires qu’ils partent en vacances. Quand ils reviennent elles découvrent avoir été cambriolées.

Pour rappel, le harceleur risque une double peine : celle liée à l’établissement mais aussi pénale. La première loi sur le harcèlement de 2011 le classe comme un délit même si dans le cas des écoles les responsables bénéficient de l’excuse pour minorité, explique Nicole Catheline. Une autre loi d’août 2018 permet de lutter contre le phénomène de meute ou mobbing en ligne car, à présent, liker ou partager un contenu agressif est considéré comme étant de responsabilité égale à celle de l’auteur lui-même.

Nous, les acteurs de terrain, on se doit d’être toujours vigilants afin de percevoir les signaux d’alertes

Comment voir ce qui n’est pas dit ?

Ce type d’action peut parfois aider à libérer la parole des témoins qui sont, en quelque sorte eux aussi, en souffrance mais la plupart du temps la soignante fait appelle à son sens de l’observation pour remarquer les comportements suspects. En réalité c’est ceux de la victime qui interpellent. Il faut être vigilant mais il y a des attitudes qui ne trompent pas. La personne souffrant de cyberharcèlement va avoir tendance à s’isoler, elle n’ira tout simplement pas vers les autres. On peut constater aussi que dès qu’elle prend la parole des groupes réagissent et murmurent des choses. On note un absentéisme, une chute des résultats. On remarque des dispenses en cours d’EPS car dans les vestiaires, aucun adulte n’est présent pour surveiller. Je me souviens du cas d’un élève que les autres enfermaient systématiquement. Parfois, les victimes de cyberharcèlement viennent aussi à l’infirmerie à plusieurs reprises pour des maux de ventre ou de tête.

L’infirmière scolaire quand elle perçoit une détresse tente alors de communiquer avec le jeune en question pour qu’il parvienne à libérer sa parole à mettre des mots sur ce qui lui arrive. Ils sont enfermés dans ce rôle et n’arrivent pas à en sortir, ce n’est pas évident.

En outre, il arrive aussi parfois que des témoins se manifestent, même s’ils ont du mal à comprendre pourquoi la victime se tait. Ils ont aussi peur des représailles ou d’être harcelés à leur tour : je suis dans un collège de quartier, les adolescents se retrouvent souvent après les cours. Du coup, on entend souvent cette phrase "je ne suis pas une balance !" Il ne faut pas oublier que, eux aussi, sont en souffrance, précise la soignante. Pour les spectateurs comme pour la victime, il s’avère particulièrement compliqué d’évoquer le sujet avec leurs parents.

D’abord par crainte que la réaction soit la confiscation du fameux smartphone ils ont peur d’être privé de leur doudou, de leur précieux. Ce qui est tout sauf la solution : la suppression de l’accès à internet ou du téléphone ne fait qu’empirer la situation. On voit des enfants aller jusqu’à la tentative de suicide suite à cela car le fait de retirer le moyen de communication n’empêche pas la rumeur de continuer d’enfler. Quand les enfants ne savent pas ce que l’on dit sur eux, ils imaginent le pire. Le mieux face à un adolescent qui vous en parle reste de regarder le contenu et d’en discuter avec lui, conseille la pédopsychiatre.

Par ailleurs, malgré le sentiment de honte, la victime peut tenter de parler aux parents mais n’est parfois pas suffisamment prise au sérieux, selon l’infirmière scolaire. Certains enfants essaient et ont droit à une remarque du genre "mais tu ne peux pas lui dire d’arrêter !" ce qui augmente le sentiment de dévalorisation déjà bien présent chez l’enfant harcelé.

D’après les premières études, les populations qui sont confrontées au harcèlement sur le net ne sont pas les mêmes qu’à l’école mais les données plus récentes sont revenues sur cette affirmation. Maintenant, il est avéré que ce sont les mêmes personnes

Pas de profils de personnes mais des profils de situation

Pour Nicole Catheline on ne peut pas établir de profil type d’enfants prédisposé ni comme harceleur ni comme harcelé. Il faut arrêter de penser cela. Il existe des profils de situations plutôt que des profils d’individus. Il faut militer auprès de tous les enfants. Une personne vivant un mal-être aura tendance à harceler des camarades car cela lui servira d’exutoire. Il peut s’agir d’un conflit familial, d’une rivalité fraternelle, d’un deuil, d’un échec scolaire. Les réseaux sociaux engendrent des situations propices à cela et rendent les enfants plus vulnérables, affirme-t-elle.

Un point de vue étayé par Pascale Massines face à un harceleur souvent, on soulève un lièvre : c’est un enfant qui ne va pas bien. On retrouve toujours une souffrance cachée, inconsciemment il se venge de sa peine sur quelqu’un qui d’après lui, n’a pas de difficultés, pour qui la vie est plus facile. La victime apparait comme une personne qui a quelque chose de plus que lui. Il existerait donc une sorte de complexe d’infériorité chez le harceleur par rapport à sa victime, ou de l’envie pour quelque chose qui lui manque. 

En ce qui concerne la victime il s’agit également d’un élève qui manque de confiance en lui et qui parfois ne parle pas à ses parents pour les protéger. C’est en général quelqu’un qui va tenter de cacher sa détresse. Il est souvent pacifiste et consensuel. Il refuse de faire ce qu’il considère comme pas bien.

Cependant, selon la praticienne, dans ce type de relation, les rôles peuvent changer entre les spectateurs, le ou les harceleurs et le ou les victimes. Une opinion en partie partagée par l’infirmière mais celle-ci n’est pas aussi catégorique : une victime peut devenir un harceleur mais c’est par la force des choses. Pour ne plus subir, elle préfère devenir bourreau. C’est pour se protéger mais une fois qu’elle est prise sur le fait, elle s’effondre car elle a parfaitement conscience des conséquences de ce qu’elle a fait. Contrairement peut-être aux autres harceleurs qui jugent mal la portée de leurs actes.

le changement d’établissement n’est pas forcément la solution, loin de là, car internet est partout. En tout cas ce n’est pas une décision à prendre dans la précipitation, sinon le harcelé va avoir une attitude apeurée dans sa nouvelle école, ce qui peut attirer la défiance des autres et après on pensera que le problème vient uniquement de lui

Il faut prendre en charge l’ensemble des acteurs concernés

Face à un harceleur, la sanction est nécessaire mais loin d’être suffisante pour les deux expertes. Il faut avant tout comprendre et faire comprendre. Il faut leur expliquer l’ampleur du mal qu’ils ont fait. Quand ils agissent ils ne mesurent pas toujours les conséquences. Il faut leur demander quels étaient leurs objectifs en agissant ainsi ? Qu’est-ce qu’ils pensaient qu’il allait se passer ? Ils n’ont pas le droit de soulager leurs émotions sur les autres comme cela. Il faut qu’ils apprennent à gérer leur ressenti autrement. Selon la spécialiste entre 7 et 16 ans un enfant est en pleine construction de sa personnalité ce n’est que plus tard que l’on peut parler de comportement pathologique.

De son côté, la professionnelle de terrain pense également que ne faire que sanctionner est trop simple et inefficace. Ce sont des enfants qui ne vont pas bien, ils présentent une faille quelque part. Ne faire que les punir va renforcer leur sentiment d’infériorité. Un suivi psychologique est donc également nécessaire pour le harceleur comme pour la victime.

Au niveau de la personne harcelée ce suivi est plus qu’essentiel Il est important de la réconforter car toutes ses émotions remontent une fois la parole libérée. Il faut lui faire comprendre qu’elle n’est pas responsable de ce qu’il lui est arrivé car souvent elle culpabilise. Elle imagine le mériter. La perte d’estime de soi peut être considérable. Il est aussi majeur qu’elle ne reste pas seule et de prévenir ses parents qui sont rarement au courant, informe l’infirmière qui sert souvent de médiatrice avec la famille des enfants concernés. Être pris en charge lui permet de comprendre aussi pourquoi elle a été entraînée là-dedans.

De manière générale, comme faire en sorte que cela ne se reproduise pas, comment aller vers un internet plus sûr ? S’ils disposaient des moyens idéaux les professionnels de santé aimeraient pouvoir agir avec les parents et ce dès le plus jeune âge des enfants. Ce que l’on fait déjà il faudrait le faire dès la maternelle quand on leur apprend les comportements psychosociaux. Les professeurs des écoles le font déjà autant que possible, mais nous, les IDE, on pourrait faire des actions en petit groupes dès 4 ou 5 ans et leur enseigner comment se positionner avec les autres, comment respecter l’autre, développe la soignante tout en insistant sur le fait que des actions auprès des parents sont indispensables. Idéalement, il faudrait toucher les parents le plus tôt possible avant que les mauvaises habitudes avec les écrans et internet ne s’installent. Je vois tous les jours des enfants de CP qui ont déjà vu des films d’horreur. Il faut que les enfants se rendent compte que les jeux vidéo et les films qu’ils regardent trop jeunes, ce n’est pas la vraie vie.

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com