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"Notre hôpital demain : la parole aux soignants et aux patients"

Publié le 13/07/2020
hôpital soignants

hôpital soignants

Les acteurs de santé de ville et de l'hôpital, leurs représentants ainsi que les Français (citoyens, patients, représentants d'usagers) ont pris la parole lors d'une conférence débat organisée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) ce 2 juillet. Un moment de travail et d’échanges dont la finalité était de réfléchir à des pistes de solutions concrètes pour que demain le système de santé français soit valorisé, modernisé et qu’il emporte l’adhésion du plus grand nombre des parties prenantes. Retour sur les principaux sujets abordés.

"L'hôpital est malade de maladies que l'on a pas encore reconnues" a ainsi affirmé sans ambages le Dr Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France (Amuf). La première étant" son manque de démocratie", suivie "du manque de moyens (manque de lits d’aval…)"

Le 11 mars dernier, la 3e assemblée de la République qui représente la société civile votait une résolution qui l’engageait dans trois directions : mettre en place une plateforme citoyenne sur l’hôpital, réunir une conférence avec les acteurs de santé et produire un avis à l’automne prochain1 a indiqué Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental(Cese), en ouverture de cette journée d’échanges et de débats qui portait sur le thème "Notre hôpital demain : la parole aux soignants et aux patients".

Consultation citoyenne

La première direction a déjà été atteinte puisque la consultation citoyenne mise en place par ses soins autour de la question "Comment améliorer l’hôpital de demain et sa place dans le système de santé" s’est déroulée du 14 mai au 24 juin dernier. Parmi les quelque 3 500 propositions recueillies et exploitables, 22 idées principales regroupées en sept priorités ont émergé (cf. encadré ci-dessous).

Consultation citoyenne : 7 priorités dégagées

Plus de 68 800 Français ont formulé quelque 3 500 propositions dans le cadre de cette grande consultation citoyenne. Celles-ci doivent venir alimenter l'avis qu'adressera le Cese au gouvernement en octobre prochain ainsi que les réflexions qui sont actuellement menées dans le cadre du Ségur de la santé, dont les travaux doivent aboutir mi-juillet aux accords de la santé.

Sept thématiques prioritaires ont notamment émergé :

  • revaloriser les salaires des personnels soignants à l'hôpital ;
  • repenser la gouvernance des hôpitaux (donner la clé au terrain) ;
  • désengorger les urgences (21 millions de passages en 2016 versus 10 millions en 1996) ;
  • sortir l’hôpital des logiques de rentabilité financière ;
  • développer la prévention en santé ;
  • favoriser les liens entre hôpital public et professionnels libéraux ;
  • relocaliser en France la production de matériel médical.

Autant de priorités qui selon Olivier Véran, le ministre des Solidarités et de la Santé, venu également ouvrir la journée d’échanges, ne contrarient pas celles que nous [le gouvernement, Ndlr] avons placées sur la table du Ségur de la Santé puisqu'il s'agit des mêmes.

Journée d'échanges avec les professionnels du terrain

La deuxième direction consistait donc dans l'organisation de cette journée d’échanges. Deux grands axes étaient à l'ordre du jour, à savoir le financement, l'équipement (ressources, matériels, médicaments) et la gouvernance, mais aussi l'aspect humain au cœur de l'hôpital tant au niveau des patients (éducation, prévention, accès, parcours de soins, croissance des maladies chroniques dont les maladies psychiatriques, vieillissement de la population tout en garantissant l’égalité d’accès aux soins, la qualité voire l’excellence et la proximité) que des personnels (recrutement, épuisement et perte de sens, conditions). Deux axes qui impliquaient de redéfinir les liens entre médecine hospitalière et médecine de ville, la réorganisation et la coordination entre le soin et la prise en charge médico-sociale, l'amélioration du maillage territorial de santé, l’adaptation de la prise en charge psychiatrique, pour mieux répondre aux nouveaux enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

Le temps que je peux consacrer à ma fonction primaire qu’est le soin, celui passé avec les patients, est de plus en plus compté ». Thomas, IDE aux Hospices civils de Lyon (HCL)

La parole à la ville

Ce sont les représentants de la médecine de ville, mais aussi des professions paramédicales qui ont entamé la réflexion sur la place du médecin de ville-domicile du patient – le parcours de soin et de santé. Parmi les points abordés : les modalités de collaboration entre médecine de ville et médecine hospitalière sur le parcours de santé (présention, prise en charge, suivi post-traitement) ; les intérêts et limites des différents modes d'exercice coordonné entre professionnels, enfin, les nouvelles pratiques pour lutter contre la désertification médicale (médecine itinérante, médecine avancée…).

Il faut vraiment avancer sur la coordination laquelle passe par une définition des missions de chacun et des champs de missions. Aujourd’hui, si notre système de santé dysfonctionne, c’est que les champs de missions ne sont pas clairement définis et respectés a d’emblée souligné le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Un avis partagé par Daniel Guillerm, président de la Fédération française des praticiens de santé (FFPS) et de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) pour qui il faut d’abord clarifier les niveaux de coordination2 dans la loi sinon point de salut, mais aussi par Alexis Vervialle, conseiller technique de France Assos Santé : La coordination ville-hôpital, cela fait des années qu’on la réclame.

Avancer donc sur la coordination, mais aussi sur l’accès aux soins d’un point de vue géographique et social, par exemple avec le développement des centres de santé (pour un vrai service public territorial de santé selon le Dr Villebrun, secrétaire général de l’Union syndicale des médecins de centres de santé – UMSCS), ainsi que sur la permanence des soins (PDA). S’agissant de cette dernière, le Dr Jacques Battistoni, président de MG France et de la Fédération française des médecins généralistes, a rappelé que ce n’est pas tellement la nuit qui est en cause mais la journée, et que s’il y a un problème dans les urgences, c’est parce que les gens ne savent pas où aller. Et d’ajouter : Nous souhaitons mettre en place une régulation par les libéraux des appels dans la journée et l’inscription dans l’activité normale des professionnels de santé de ces demandes de soins non programmés dans la journée.

Mais pour ce faire, encore faut-il que cela soit incitatif3, que les outils (partage d’agendas, par ex) soient au RDV et qu’il y ait un numéro unique (par ex le 116-117) qui permette d’identifier les soins de ville. Par rapport à ces différents sujets abordés, Daniel Guillerm a suggéré l’activation de différents leviers systémiques parmi lesquels le partage de compétences là où il y a une raréfaction médicale en augmentant notamment les prérogatives d’autres métiers (kinés, orthophonistes, infirmiers) qui d’ailleurs demandent depuis plusieurs années un accès direct sur une partie de leur champ d’activité, mais aussi la mise en place de services coordonnés qui permettent de répondre à des soins non programmés sachant que les CPTS n’ont pas vocation à faire du soin (à la différence des équipes de soins primaires) ou encore la responsabilisation des acteurs, en particulier du triptyque socle médecin traitant, pharmacien correspondant et IDE "référent".

Quant à l’amélioration du soin à domicile dans le système de santé pointée dans les diverses auditions et entretiens réalisés par le Cese, le président de la FFPS et de la FNI a suggéré de combattre deux tares : le structuro-centrisme et le médico-centrisme, ce qui suppose d’amener de la transversalité et passe, entre autres, par le bannissement du terme d’"auxiliaire médical" dans le code de la santé. Autre nécessité dans la coordination ville-hôpital : créer des espaces de discussion – les CPTS en sont – entre la ville et l’hôpital non pas pour faire de l’activité de soins mais organiser les parcours.

Et quid des patients face au virage ambulatoire ? Les associations de patients sont plutôt inquiètes de cet envoi parfois dans le décor vers la médecine de ville, vers les professionnels de soins de ville qui sont pour certaines professions ou spécialités très sinistrées a expliqué Alexis Vervialle qui, de fait, revendique le rôle crucial des paramédicaux, infirmiers notamment, capables de faire beaucoup plus que ce qu’ils ne font actuellement, entre autres être la porte d’entrée à l’instar des médecins généralistes. Quid encore du développement en ville de la prévention – une des trois missions socles financées par l'assurance maladie dans les CPTS–, des programmes d’ETP à ce jour essentiellement hospitaliers ? Des usagers qui quoi qu’il en soit, à l’heure de la démocratie en santé, ne veulent plus être dans le "pour information" mais dans un véritable processus de "co-construction".

On demande un petit coup de pouce. Moi je ne compte pas quand je suis au boulot. J’ose croire que l’on pourra sortir de la misère de l’Assistance publique. Sandrine, IDE depuis 20 ans en service de gériatrie

La parole à l'hôpital

L'après-midi, c'est les soignants hospitaliers qui avaient la parole. Au programme : le rôle du patient dans les activités de l'hôpital de demain (prise en charge, formation…), les modalités d'organisation territoriale et de coopération entre l'hôpital et les acteurs de santé du territoire, enfin, les évolutions de la politique RH au sein des hôpitaux pour répondre aux enjeux soulevés par la crise qu'ils traversent.

L'hôpital est malade de maladies que l'on a pas encore reconnues a ainsi affirmé sans ambages le Dr Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France (Amuf). La première étant son manque de démocratie, suivie du manque de moyens (manque de lits d’aval…). Parallèlement, il ne faut pas oublier le vieillissement de la population, et derrière la prise en charge des handicaps […] avec des enjeux majeurs. Face à cela, le médico-psycho-social apparaît comme les trois plans essentiels de la médecine de demain. Et de prôner, en regard de la crise de la Covid-19, les services comme étant la cellule la plus active, efficiente… pour faire le management, mais aussi la souplesse du nombre de lits d’hospitalisation (comme en pédiatrie en période de bronchiolite), faire tourner les plateaux techniques de manière beaucoup plus efficiente et continue. Sur la PDA, de nouveau au cœur des discussions de l’après-midi, l’urgentiste l’a clairement considérée aujourd’hui comme "obsolète", le soin non programmé étant "H24". Il a donc suggéré de dégager, avec les libéraux, des plages de gens qui viennent de manière inopinée. Une telle organisation qui pourrait s’avérer payante, le problème restant étant néanmoins celui de la liberté d’installation des médecins.

Autre sujet abordé, celui de la place de la psychiatrie pour laquelle « près de 25 % de nos concitoyens auront recours à un moment ou un autre » n’a pas manqué de rappeler le Dr Serge Knopp, représentant du Manifeste du printemps de la psychiatrie. Un secteur, qui « depuis 1967, peu de temps après son ouverture, n’a pas de moyens supplémentaires alors que nous sommes plus nombreux, que les pathologies sont plus complexes et que les solidarités familiale et sociale ne cessent de diminuer ». Un secteur qui fait fi également de la triple dimension bio/psycho/sociale pour ne plus être que sur « la seule dimension biologisante » en se centrant sur un symptôme. « L’évolution des études d’infirmière (plus de spécialité) ont fait que les IDE qui travaillent aujourd’hui en psychiatrie n’ont plus de clinique. Et ce manque de clinique fait que l’on a plus de sens et que l’on accompagne mal les patients (contention, chambres d’isolement…) sans compter la lourdeur administrative au détriment du soin, de la communication » a témoigné une infirmière DE qui a ainsi prôné la réhabilitation d’une spécialisation.

L’hôpital de demain, c’est ce qui a permis un énorme coussin amortisseur sur l’épidémie que nous venons de voir ; c’est le coussin amortisseur des maux de la société. Du coup, il a un avenir radieux et magnifique devant lui, mais c’est à nous de lui donner des règles. Dr Pelloux

Repères

- Environ 53 CPTS actives à ce jour, soit qui ont signé l’ACI avec l’Assurance maladie.
- Les effectifs d’Idel augmentent de 5% par an depuis 12 ans D. Guillerm
- 30 % des IDE abandonnent la profession dans les cinq ans qui suivent.
- 1 centre médico-psychologique (CMP) pour une population d’environ 75 000 habitants. La politique actuelle est de dire qu’il faut aller sur un secteur de 200 000 habitants pour fusionner les CMP. Dr Klopp

Autre point mis en exergue et non des moindres, celui de la gouvernance. À ce propos, plusieurs intervenants ont largement critiqué la loi HPST et notamment plaidé pour que les conseils de surveillance, dans lesquels siègent les élus, ne soient pas de simples « chambres d’enregistrement » mais aient un réel pouvoir de décision face au directoire. On ne peut pas faire sans les trois piliers qui composent l’hôpital, soit les médecins, les usagers, les professionnels non médicaux autres que médecins, et naturellement aussi le gestionnaire mais il ne peut pas garder seul la voix a souligné Marie Citrini, représentante des usagers au conseil de surveillance de l’AP-HP. Un contre-pouvoir appelé des vœux de tous et notamment du Dr Pelloux pour lequel l’hôpital est imperméable à la démocratie. On n’y arrive pas faute de corporatismes ; le pouvoir est exclusif, dans les seules mains des hospitalo-universitaires a-t-il ainsi déploré de son côté. Les doyens n’ont aucun compte à rendre à personne idem pour les agences régionales de santé. Sur cette question de la gouvernance, c’est aussi l’organisation en pôles qui a été dénoncée, la préférence des soignants allant de loin aux services, le cœur de l’hôpital.

Le sujet de l’offre et des besoins a aussi été questionné. Les rapporteurs du futur avis s’interrogent en effet sur la pertinence d’inverser la logique actuelle qui consiste en une offre de soins sur les territoires. Pourquoi ne pas plutôt repartir des besoins de soins des territoires ? Un sentiment partagé par le Pr René Frydman, membre de l’Institut Santé et présent dans l’assistance : Il me semble qu’il faudrait une décentralisation de la santé car il faut partir d’un territoire de santé et de ses besoins et réduire ou augmenter l’offre en conséquence ». Ce qui suppose « un changement radical de notre système de santé ; c’est peut-être l’un des points clés.

Enfin, dernier point discuté, celui de la formation. Déléguée générale de la FHP, Christine Schibler a défendu le besoin d’un choc d’attractivité pour les métiers soignants, lequel ne pourra se faire qu’avec la conjonction d’une revalorisation des salaires, des parcours mais aussi d’un big bang de la formation qui passerait par la formation de 100 000 soignants en plus, soit doubler les effectifs d’une formation dite normale et ce grâce à 2 milliards d’euros d’engagement supplémentaire. À la clé, 100 000 emplois créés de façon pérenne dans l’ensemble du secteur sanitaire. Par ailleurs, la croissance du numerus clausus pour les étudiants en médecine n’est pas sans poser problème du fait de la surcharge des terrains de stage ou du nombre d’encadrants notamment.

Il n’y a pas de modernité sans démocratie. Dr Pelloux

Un avis pour la mi-octobre

Une journée d’échanges bien dense au bout de laquelle Sylvie Castaigne, co-rapporteure du projet d’avis, a esquissé une solution en guise de conclusion : Être tous unis [l’ensemble du monde de la santé, NDLR] et dire que l’on sait comment faire et même dépenser moins. Maintenant, il n’y a plus qu’à !. L'avis du Cese, voté le 13 octobre prochain et qui sera adressé au gouvernement, doit ainsi dresser un état des lieux partagé de la situation actuelle de l’hôpital et des besoins de soin et de santé. Cet avis, s’inscrivant dans les orientations stratégiques de la 3e assemblée sur notamment l’impératif de cohésion sociale, présentera des préconisations devant aussi dessiner l’hôpital de demain et sa place dans le système de soin et de santé.

Valérie Hedef

Notes

1- Intitulé "L'hôpital au service du droit à la santé"

2- Équipes de soins primaires (ESP), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et services d’appui à la coordination (ex-PTA)

3- Cela passe par des négociations conventionnelles.



Source : infirmiers.com