Les remèdes traditionnels sont principalement d’origine végétale (aspirine, digitaline, opium, quinine…). Élaborés à partir de plantes médicinales cultivées dans les jardins de curés il y a encore quelques décennies, ces préparations sont, pour certaines, distribuées de nos jours par les laboratoires pharmaceutiques en pharmacie. Depuis s’y sont ajoutées de nouvelles médications délivrées ou non sur prescription médicale. Leur composition ou leur forme galénique n’est pas toujours appréciée des religions ; mais en cas de force majeure, dans toutes les religions, la nécessité lève l’interdit habituellement prescrit.
Depuis les débuts de l’humanité, les religions se sont intéressées à la bonne santé de leurs fidèles. Pour se faire, elles ont prescrit des lignes de conduite (hygiène, diététique…) à respecter pour rester en meilleure forme possible sans oublier des règles de distanciation en cas de fièvre, maladie, perte de sang… Elles ont aussi participé à la genèse de la pharmacopée, à laquelle elles imposent certaines limites par ailleurs.
Religions et suivi des prescriptions
Jusqu’au XIXe siècle, dans la France des villes et des campagnes, tout bon catholique associe la prise de remèdes préparés par son curé à des prières adressées à l’intention d’un saint guérisseur (Maclou pour les infections, Marc pour les fièvres, Mathurin ou Gildas pour les brins de folie, Georges pour les poussées d’herpès, Fiacre pour les crises hémorroïdaires…) ; au port d’une médaille religieuse rapportée d’un pèlerinage à Lourdes, Lisieux, Paray-le-Monial… ou Rome ; à une image pieuse déchirée dans un missel puis avalée par petites boulettes accompagnée d’une gorgée d’eau puisée à Lourdes dans la source dégagée par Bernadette Soubirous dans la grotte de Massabielle1. Après sa guérison, le fidèle dépose auprès de la statue du saint sollicité ses pieux remerciements gravés dans le marbre d’un ex-voto ou la représentation en terre cuite du membre ou organe guéri (jambe, bras, cœur, poumons…).
Parallèlement aux dévotions, la prise de médicaments n’est pas interdite aux croyants. Le proverbe d’origine biblique ne dit-il pas : aide-toi et le ciel t’aidera
? Pour autant, leur consommation varie en fonction des obédiences. Selon Robert Pujol, membre du Groupe de pharmacologie sociale de la faculté de Toulouse2, les juifs en prendraient pour éviter les souffrances inutiles, les catholiques y auraient aisément recours, les protestants seraient plus modérés et les bouddhistes résolument réticents, les hindous les récuseraient tout bonnement alors que les musulmans confieraient aisément leur destin à la fatalité3. Du coup, ils seraient moins enclins au suivi régulier d’un traitement alors que le prophète Mohammad a rapporté : Dieu a envoyé à la fois la maladie et les moyens de la guérir
4.
Quand l’exigence vitale lève les interdits dans les religions…
L’islam autorise les médicaments composés d’ingrédients illicites, à l’état pur ou non, s’ils s’avèrent indispensables à la guérison. Lorsqu’une vie est en danger, tout interdit est levé - par exemple, le Prophète a autorisé deux de ses compagnons ayant contracté la gale à se revêtir de vêtements de soie, matière interdite aux hommes - y compris lors du Ramadan5, durant lequel seules les voies orale et intraveineuse sont prohibées pendant les heures de jeûne. Les autres modes d’administration sont possibles, y compris par voie orale. La prise des traitements entre le coucher et le lever du soleil est à privilégier dans la mesure du possible, comme les médications d’origine végétale sans alcool. De même, le judaïsme proscrit boissons et aliments pendant les jeûnes6. Comme dans l’islam, leur suivi n’est pas recommandé aux malades et aux personnes fragiles.
Juifs, musulmans, hindous, bouddhistes, végétariens et végétaliens apprécieraient que soit précisée l’origine de la gélatine (animale ou végétale) des gélules. À défaut, leur choix tend régulièrement vers une forme galénique exempte de cette substance (comprimé, poudre…). En revanche, si les musulmans ne consomment pas d’alcool, ils ne se refusent pas à l’utilisation de produits à usage externe qui en contiennent ; si juifs et musulmans ne consomment pas de porc, ils ne s’opposeront pas à la pose de valve cardiaque d’origine porcine s’ils ne peuvent pas bénéficier d’une valve artificielle. Hindous et bouddhistes, végétariens et végétaliens donneront leur préférence aux traitements exempts de substance animale. Les bouddhistes acceptent les traitements morphiniques contre la douleur si leur dosage n’entraîne pas de perte de conscience. Même requête chez les hindous – du moins lorsqu’ils acceptent de suivre une prescription médicale. En cas de maladie, la plupart des bouddhistes et hindous s’en remettent à une pratique religieuse plus rigoureuse afin de s’assurer une meilleure réincarnation sans chercher à prolonger leur existence actuelle.
Même revendication chez les juifs : ils refusent les traitements entraînant la perte de la mémoire (point capital du judaïsme) comme ils récusent les praticiens n’échangeant pas avec eux autour de leur prise en charge. Désirant être des patients actifs, ils revendiquent de suivre ou de modifier les prescriptions s’ils jugent opportun de le faire. Les protestants auraient aussi tendance à contrôler ce qui leur est prescrit et de ne suivre une prescription médicale qu’à condition qu’ils la jugent opportune par souci de lutter contre l’excès en matière de consommation et de valoriser la modération en toute circonstance. Peut s’ensuivre la diminution de doses, voire l’arrêt du traitement sans avis préalable du prescripteur. Les juifs respectent des lois alimentaires, elles sont plus strictes lors de la Pâque juive. Chaque année, le consistoire israélite publie une liste des médicaments autorisés pendant cette période7. Les traitements pour maladies cardio-vasculaires, de Parkinson, d’Alzheimer et autres pathologies chroniques sont admis pendant cette fête, sous toutes formes galéniques, y compris gouttes (auriculaires ou oculaires), pommades et crèmes (application en dehors de la région buccale). Les spécialités pharmaceutiques présentées sous ces formes seront privilégiées dans la mesure du possible. Pour tous les cas, l’avis du médecin sera respecté après consultation d’une autorité rabbinique. Pour le reste de l’année, un guide des médicaments cashers, disponible gratuitement par tous sur internet8. Les produits retenus (y compris laits infantiles) ne contiennent aucun élément d’origine animale ou de poisson sans écaille, ni alcool de vin. Les praticiens pourront y recourir lors de la prise en charge de patients israélites mais aussi musulmans, hindous, bouddhistes, végétariens, végétaliens… et tous ceux qui sont soucieux de connaître la composition des médicaments qui leur sont prescrits. Loin d’être exhaustif, il peut être néanmoins d’une aide précieuse dans bien des cas.
… et dans les cultures
Les patients d’origine chinoise considèrent les médicaments occidentaux trop agressifs. Aux comprimés réputés dégager de la chaleur pour mieux ronger le corps malade, ils préfèrent sirops ou gouttes. Mélangés à de l’eau chaude, leur performance serait décuplée. Par tradition ancestrale, afin de se maintenir en bonne santé, ils boivent régulièrement en journée de l’eau chaude non aromatisée. Ils y associent mixtures d’herbes chinoises, massages toniques des pieds et du corps, acupuncture, régime spécifique... Ces traitements quasiment sans effet secondaire ont été prescrits par le praticien formé à la médecine chinoise traditionnelle. L’observation visuelle de la langue du patient suivie par la prise de ses divers pouls au poignet lui a révélé les éléments nécessaires pour parfaire son diagnostic.
Si un patient d’origine africaine ne suit pas scrupuleusement son traitement, soit il n’a pas saisi les subtilités de son suivi (à modifier selon son état, par exemple), soit il refuse la maladie (VIH, tuberculose…) et par conséquent sa thérapie, soit il l’arrête dès l’apparition d’effets secondaires (vomissements, vertiges…), soit il ne veut pas révéler sa maladie à son entourage pour ne pas l’inquiéter ou risquer toute discrimination dans sa communauté.
Pour beaucoup, le médicament étant une bonne nourriture pour la maladie, il lui donne plus de force au lieu de l’endiguer. Beaucoup d’entre eux refusent suppositoires et ovules vaginaux car ils se demandent comment un médicament introduit par une voie considérée comme impure pourrait soigner ? Ils n’apprécient pas prises de sang, injections, transfusions sanguines… Le sang appartenant aux ancêtres, il ne faut ni le faire couler ni modifier sa composition, ni le mélanger à un autre. Pour certains, il en est de même pour les scanners et IRM. L’homme ne doit pas rechercher à observer ce que les divinités ont caché aux yeux de l’homme. La palabre entre soignant/soigné peut faire entendre raison à un patient. L’entremise d’un proche ou d’un médiateur culturel augmentera les chances de le convaincre.
Face au refus de traitement d’un patient
Face à un patient hésitant ou refusant à suivre un traitement, le soignant recherchera auprès du médecin l’éventuelle modification de l’ordonnance (présentation galénique, horaire des prises…) ou/et l’appui de l’aumônier de l’établissement public de santé9 ou de l’autorité religieuse du patient. D’autres facteurs que les croyances influencent l’observance des traitements par les patients : complexité d’une prescription, nombre de prises quotidiennes, plus de 4 médicaments prescrits... A noter, toutes les communautés culturelles ne déjeunent pas à la mi-journée. Parfois, le frein provient de la mauvaise compréhension de la langue française par le patient. Le décodage de son ordonnance l’aidera dans son suivi : créer un planning avec des soleils ou des lunes pour symboliser les horaires des prises, des bâtonnets pour le nombre de comprimés ou gélules à prendre, une assiette pour indiquer la prise lors d’un repas... Et pourquoi ne pas scotcher à même une copie de l’ordonnance les médicaments à prendre pour exemple à suivre. En conclusion, les prescriptions les plus naturelles, simples et courtes seront les mieux respectées.
Isabelle Levy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique. @LEVYIsabelle2
Notes
- Pour soigner leurs maux, les musulmans rapportent de leur pèlerinage à La Mecque (Arabie Saoudite) de l’eau de la source miraculeuse Zamzam (ou Zemzem), celle qui sauva Ismaël d’une mort certaine par déshydratation. Elle est souvent la première boisson du nouveau-né et la dernière du mourant.
- Cité dans Religions et médicament, Le moniteur des pharmacies, n°2526, Cahier 1, 6 mars 2004.
Quand je suis malade, c’est Lui [Allah] qui me guérit.
(Coran 26, 80).- Hadith rapporté par Abû Dâwûd.
- https://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/croyances-soins/soins-infirmiers-et-ramadan-comment-accompagner-comment-proteger.html
- Certains débutent au lever du soleil pour se clore à son coucher, d’autres ont une durée de 25 heures consécutives.
- www.consistoire.org
- www.mediel.com. Guide rédigé sous le contrôle du Rabbinat orthodoxe de Paris depuis 1997, remis à jour annuellement.
- https://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/croyances-soins/aumoniers-ressource-insoupconnee-dans-demarche-soins.html
Pour en savoir plus
- Guide des rites, cultures et croyances à l’usage des soignants, Vuibert/Estem, 2013
- Connaître et comprendre le judaïsme, le christianisme et l’islam, Le Passeur Editeur, 2021
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