L’épidémie de Coronavirus a engendré une crise sanitaire sans précédent. Certaines régions ont néanmoins été davantage touchées que d’autres, notamment le Grand Est où il a été nécessaire de construire un hôpital militaire de campagne à Mulhouse pour faire face à l’afflux de patients. Christophe Selan, infirmier en réanimation polyvalente à L’hôpital de Mercy à Metz, raconte comment il a fallu réorganiser les services pour faire face à la crise et comment cela a été vécu par les équipes soignantes.
Infirmiers.com : C’est dans la région Grand Est que l’épidémie a débuté. Quand la situation a commencé à devenir inquiétante, notamment dans votre établissement ? Quel a été votre sentiment à ce moment-là ?
Christophe Selan : Lorsque le cluster en Alsace est apparu et que l’hôpital de Mulhouse notamment admettait de nombreux patients par jour atteints du Covid19 , je me suis rapidement rendu compte que l’on allait être également en première ligne. Effectivement, peu de temps après les évènements de notre région voisine, nous commencions à accueillir de plus en plus de patients contaminés dans des états critiques nécessitant de la réanimation.
J’ai été très inquiet quand tout cela a commencé. Cela engendrait beaucoup de changements d’organisation au sein du service, de nouveaux protocoles. Au début de l’épidémie, nous n’avions pas encore toutes les connaissances concernant notre prise en charge des patients Covid positif, nous ne savions pas l’ampleur que cette crise allait prendre sur notre service, et nous avions peur pour nous, soignants, d’être également contaminés, étant au plus proche du virus ; des sentiments d’inquiétude, de questionnements et d’incertitudes se mélangeaient.
IC : Quand et comment des mesures ont-elles été mises en place pour faire face au flux de patient en réanimation ?
CS : Dès les premiers patients admis dans mon service de réanimation, l’encadrement avec l’aide de nombreux de mes collègues infirmiers, aides-soignants, médecins et suivant les recommandations institutionnelles et gouvernementales ont réfléchi à la réorganisation du service. Il a fallu isoler, dans un premier temps, les personnes contaminées des autres patients et donc sectoriser notre service entre un secteur Covid uniquement et un autre secteur de réanimation classique avec tout ce que cela peut engendrer : une pharmacie dédiée, une réserve de matériel spécifique, un local nous permettant de changer de blouse entre la zone non Covid et la zone Covid pour éviter de façon rigoureuse de propager le virus via des contaminations croisées. Puis rapidement, la réanimation entière est devenue un secteur dédié aux patients touchés en lien avec leur afflux important. A ce moment, ce fut une organisation à plus grande échelle, entre les différentes réanimations de l’hôpital et la création de nouveaux lits comme en salle de réveil ou autres.
Nous avons ensuite eu des consignes et des conseils d’hygiène pour nous protéger en respectant le port du masque, d’une surblouse, de lunettes de protection, d’une charlotte, de gants à usage unique, l’ordre dans lequel il est recommandé de retirer ces protections, et sur la façon rigoureuse d’entretenir l’hygiène des mains. Puis nous avons eu un énorme soutien du corps médical nous expliquant précisément la prise en charge spécifique d’un patient contaminé par le coronavirus pour qu’elle se fasse de manière optimale.
IC : Quel est le protocole à suivre pour traiter les patients covid qui arrivent en réanimation ? Avez-vous eu des problèmes de pénuries de matériel ? Des problèmes d’effectifs ?
CS : Nous avons eu de nombreuses recommandations pour prendre en charge de façon optimale les patients Covid en plus des recommandations médicales. Des protocoles techniques (les changements de filtre du respirateur, les systèmes clos sur les sondes d’intubation, éviter au maximum d’aérosoliser le virus) ou des protocoles d’hygiènes sur la façon de nous protéger. Il s’agit généralement de patients en détresse respiratoire, nécessitant pour la plupart, un fois en réanimation, une intubation avec une ventilation mécanique. Ils ont aussi besoin d’une surveillance continue à l’aide d’un scope et de traitements spécifiques tout en étant vigilant à la survenue d’autres défaillances organiques. Notre travail infirmier envers un patient Covid n’est pas si différent de celui que l’on confère à un autre patient en détresse respiratoire aiguë . La prise en soin d’une personne sédatée avec respirateur fait partie intégrante de notre travail en service de réanimation. Les spécificités sont plus présentes du côté médical. Seulement, ce sont des patients très instables qui nécessitent des soins lourds (comme des décubitus ventraux pour faciliter le recrutement d’oxygène au niveau pulmonaire, des ECMO, des dialyses) ce qui peut rendre nos journées difficiles et chargées. Du côté matériel, il a fallu effectivement s’organiser pour ne pas arriver à des problématiques matérielles majeures, nous avons dû nous adapter et faire attention à notre consommation journalière de masques ou de surblouses.
Nous avons eu du renfort au sein de notre équipe avec l’aide d’IADE, de soignants d’autres services de l’hôpital, d’étudiants en soins infirmiers ou aides-soignants, d’anciens infirmiers de réanimation, de personnels soignants militaires faisant partie de la réserve sanitaire . Notre solidarité au sein de l’équipe a été plus qu’utile dans ce genre de situation de crise.
IC : Comment gérez-vous les proches des patients ?
CS : Les familles des patients n’ont pas l’autorisation de visiter leur proche dans notre service sauf dérogation dans des cas particuliers comme un patient en fin de vie. Elles peuvent en revanche appeler l’équipe soignante à tout moment de la journée et de la nuit pour avoir des nouvelles. Nous leur répondons en leur donnant l’état de stabilité du patient, les nouveautés dans la prise en charge. Elles reçoivent également des appels des réanimateurs du service de manière régulière afin d’avoir un suivi de l’évolution du patient. Ce n’est pas une chose facile à faire au quotidien car nous ressentons la détresse des familles et leur difficulté psychologique à ne pas pouvoir se rendre à l’hôpital. Mais, ces familles sont bienveillantes et, malgré leurs inquiétudes, elles comprennent ces décisions gouvernementales. En tant que soignants, nous avons donc un rôle de lien entre elles et leur proche.
Nous utilisons, lorsque c’est possible, une fois l’état du patient stabilisé et extubé, la visio caméra où nous pouvons mettre le téléphone au plus près des patients pour qu’ils puissent entendre la voix de leur proche. Cela peut nous aider dans la prise en charge et perpétuer le relationnel qui reste si important dans le travail avec l’humain.
IC : Comment les soignants gèrent la pression ? La survenue des décès ? Avez-vous des craintes d’être contaminé ?
CS : Nous vivons une période sous pression. Nous la gérons avant tout en essayant de consacrer des moments en équipe comme lors des moments de pause. C’est important pour la cohésion. Nous avons la chance d’être témoins d’une belle solidarité autour de nous. Par exemple, des restaurants nous offrent des repas, des livraisons de chocolat de personnes de Metz ou alentours, des familles de soignants qui nous offrent des gâteaux, ce qui égaye nos moments en équipe, des magasins nous donnent des produits de soin...
Concernant les décès, chacun réagit en fonction de sa personnalité et de son vécu. Il est certain que l’on est à chaque fois extrêmement touché. L’éloignement familial dans ces moments si difficiles est, pour ma part, un élément qui n’est pas facile à gérer. Mais, il existe un vrai soutien au sein de mes collègues avec beaucoup d’entraide dans le travail.
IC : À partir de quand l’afflux de patients a commencé à se stabiliser ? Comment qualifieriez-vous l’état actuel de votre établissement ?
CS : Cela fait maintenant un peu plus d’une semaine que la situation se stabilise. Toutefois, tous les corps de métier restent extrêmement vigilants et attentifs pour être prêts à accueillir les patients infectés de façon optimale tout en essayant de reprendre une activité normale via notamment la reprise des interventions au bloc opératoire.
IC : Pensez-vous qu’il est trop tôt pour le déconfinement ? Avez-vous des inquiétudes quant à cela ?
CS : En tant qu’infirmier, je ne pense pas disposer de tous les éléments et compétences pour savoir s’il est trop tôt pour être déconfiné ou s,i à l’inverse, c’est le bon moment. Il faudra dans tous les cas rester vigilant et respecter les consignes des différents scientifiques en fonction des avancées dans les recherches, que ce soit dans la protection de soi ou des autres.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?