HOSPITALISATION

L’infirmier "bed manager" au cœur de la gestion des lits

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Publié le 06/12/2024

Implémenté en France depuis une dizaine d’années, le métier d’infirmier gestionnaire de lits, ou “bed manager”, émerge véritablement depuis la crise du Covid-19. Sa mission : la gestion des parcours des patients, des lits d’aval et d’amont, dans un contexte de réduction de lits et de ressources humaines contraintes. Retour d’expérience au sein du GHT du Cantal.*

La difficile gestion des lits d'hospitalisation

Crédit photo : Andrea Piacquadio: https://www.pexels.com/fr-fr

« Bonjour, j’ai besoin d’un lit. J’ai un patient qui vient de se casser le col du fémur et qui va nécessiter une intervention chirurgicale ». Au bout du fil, le médecin urgentiste du service des urgences du CH de Mauriac (l’un des six établissements du GHT du Cantal) formalise sa demande auprès de la cellule de gestion des lits territoriale. À l’autre bout du combiné, Alexandra, infirmière “bed manager” en profite pour établir un recueil de données circonstancié (identité, âge, traitement médicamenteux…) afin d’aiguiller au mieux la prise en charge. Sachant qu’elle doit trouver le bon lit au bon moment et dans l’établissement du GHT le plus adapté afin de garantir la qualité et la sécurité des soins.

Une gestion centralisée des flux de patients

Une tâche qui se répète plusieurs fois par jour pour les deux infirmières gestionnaires de lit de cette cellule à dimension territoriale mise en place en janvier 2023 et qui fonctionne en journée. Ses horaires : 9h-18h en semaine jusqu’à ce que le cadre de nuit prenne le relais et astreintes le week-end (tél portable à domicile et déplacement deux fois par jour pour faire le point sur l’état des lits, plus si nécessaire). Les objectifs visés de ce “service support” sont à la fois de fluidifier la gestion des lits au sein des différents établissements du GHT, coordonner l’offre d’aval afin d’éviter les tensions, le report d’entrées programmées, le transfert de patients hors GHT faute de place et l’engorgement des unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD) et des urgences. L’enjeu est aussi de participer à la diminution de la durée moyenne de séjour (DMS) dans les unités d’hospitalisation afin de permettre aux urgences d’admettre les patients sur les lits dédiés. Soit une gestion centralisée des flux de patients qui s’intègre pleinement dans un objectif de pertinence des soins : le bon soin, au bon endroit, au bon moment.

Il s’agit de développer une culture d’anticipation du devenir

« Sollicitées par les cadres de proximité des services, nous suivons aussi les patients complexes afin d’aider à la recherche de solutions pour leur devenir »,  indique ainsi l’IDE bed manager. « Il s’agit de développer une culture d’anticipation du devenir ». Ce qui passe par une réflexion anticipée du projet de sortie du patient ; ce qui n’est pas encore ancrée au sein des services.

Autre défi à relever pour la cellule : être en capacité de faire face à une affluence importante de patients nécessitant une hospitalisation (une épidémie de grippe en période hivernale par exemple), avec une capacité en lits limitée et des ressources humaines contraintes.

Des outils collaboratifs essentiels

Reste que pour y parvenir, il faut être en mesure de savoir en temps réel le nombre de lits disponibles. D’où « l’utilisation d’outils collaboratifs qui nous permettent d’avoir une vision des disponibilités des lits en temps réel… et parfois de répartir la charge d’hébergement sur les établissements », précise ainsi Alexandra. Et pour faciliter un peu plus les choses, un référent de la cellule par établissement a été identifié, permettant ainsi « d’avoir un interlocuteur privilégié ou un suppléant qui a directement accès à l’état des lits », ajoute Marion, la cadre de santé de la cellule qui a aussi des missions transversales à la direction des soins au sein du CH Henri-Mondor d’Aurillac (15). « Nous temporisons entre les services d’urgences et les services de soins. Nous avons des structures qui n’ont que des services de soins médicaux et de réadaptation (SMR). Mais lorsque nous sommes en tension, ces structures peuvent prendre en charge des patients rapidement de par leur nombre de lits disponibles. »

Le traitement des indicateurs

En toile de fond, le travail de lien sur le terrain semble finir par payer. Parfois même, quand le lit trouvé n’est pas idéal car éloigné du lieu de résidence du patient/de la famille, les infirmières de la gestion des lits poursuivent alors leurs investigations. Parmi les précieux outils collaboratifs : les extractions de données afin de traiter les indicateurs. Utilisées au quotidien dans les services de soins ou pour la gouvernance, elles peuvent bien se révéler utiles dans le cadre d’un “benchmark" (analyse comparative) des meilleures pratiques en matière de gestion des lits, Un projet a ainsi été initié à cette fin en septembre 2023 par l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) auquel le CHHMA participe.

Négociation et médiation

Une gestion de lits qui suppose surtout au quotidien de la négociation, de la médiation avec les établissements, les médecins et les professionnels de terrain. Bref que tout le monde joue le jeu, avec une vraie logique d’entraide entre les services et/ou établissements, facilitant l’acquisition d’une réelle culture de gestion des lits. « La demande d’hospitalisation vient de tous les services : hospitalisation de jour, urgences, médecine libérale.... Le plus grand biais, c’est l’humain. S’il ne rentre pas la donnée correctement, évidemment… Il faut que les infirmières de gestion des lits soient proches des services pour les inciter à mettre à jour leurs données. »

Une thématique au cœur des enjeux de santé publique

Bref, une gestion des lits aujourd’hui plus que jamais d’actualité au niveau local mais aussi national depuis la crise sanitaire du Covid-19 associée au manque de ressources humaines en ville comme à l’hôpital. Des incitations nationales en la matière sont d’ailleurs apparues ces dernières années via le Pacte de refondation des urgences, la mission flash sur les urgences et soins non programmées pilotée par l’ex-ministre de la Santé, François Braun, des instructions ministérielles…

Quel profil pour devenir bed manager ?
Il n’existe pas de profil type ni de profil idéal de bed manager. Toutefois, les soignants (cadre de santé, infirmier, aide-soignant) sont souvent représentés. C’est le cas au sein du GHT 15 qui a choisi d’intégrer des bed managers issus en particulier de la formation initiale infirmière afin que les parcours patients au sein du groupement puissent être optimisés par leur connaissance des organisations et leurs compétences terrain. Parmi les compétences requises ou à acquérir pour ce poste :
- Disposer d’un parcours professionnel riche, permettant une approche juste des besoins du patient selon le type de pathologie
- Avoir développé son raisonnement clinique en lien avec le parcours de soins selon la population, les chemins cliniques et des modes opératoires
- Bien connaître l’offre de soins du territoire et les besoins en termes de parcours de soins
- Posséder des aptitudes relationnelles et de dialogue interdisciplinaire (médiation)
- Être organisé dans son travail, savoir prioriser des tâches et la notion de l’urgence (tension en lits)
- Disposer de la capacité à coordonner plusieurs missions transversales simultanément
- Être pourvu d’un esprit d’équipe, de réactivité et d’adaptabilité
- Savoir collaborer avec les différents acteurs de soin (pluridisciplinarité inter-établissements GHT)
- Avoir l’esprit d’initiative
- Maîtriser les outils informatiques et outils collaboratifs encadrant les prises en charge et les parcours patients
La cellule de gestion des lits territoriale du GHT du Cantal est rattachée au CH Henri-Mondor d’Aurillac (CHHMA) ,qui en est l’établissement support et qui abrite le plateau technique polyvalent. Cette cellule est financée par l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes (AURA).
Textes réglementaires relatifs à la gestion des lits :
  • Mesure 12 du Pacte de refondation des urgences : mise en place d’un dispositif de gestion des lits à l’échelle des GHT.
  • Circulaire n° DGOS/R2/2019/235 (7 nov. 2019) : mise en place de l’anticipation des tensions liées aux hospitalisations non programmées et du déploiement du Besoin journalier minimal en lits (BJML) dans tous les établissements publics et privés et GHT.
  • Recommandations n°38 “Mise en place obligatoire de la fonction de bed manager dans tous les établissements de santé siège de services d’urgences” et n°39 “Mise en place d’une gestion territoriale des lits d’aval sous la responsabilité de l’ARS” (axe 4) dans le cadre du Rapport Braun (juin 2022) 
  • Réforme des autorisations sanitaires (juin 2023) : l’incitation des établissements à structurer la gestion des lits est renforcée dans le cadre de cette réforme, introduisant la notion de “gestion des lits” dans plusieurs décrets relatifs aux conditions techniques de fonctionnement
  • Instruction n° DGOS/R2/2023/103 du 26 juin 2023 relative à la mise en place de plans d’actions territoriaux pour fluidifier les parcours d’aval des urgences en prévision de l’été.(Source : ARS Auvergne-Rhône-Alpes (AURA)- Sept. 2023)

*Article rédigé à l’issue d’une présentation dans le cadre du Salon infirmier 2024 et d’information recueillies auprès de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes (AURA)


Source : infirmiers.com